A quand un évêque noir en France ? Réflexions sur le « patrimonialisme » catholique
Le temps pascal est terminé depuis plusieurs semaines, mais l’atmosphère de joie procurée par la Résurrection du Christ et le retour du soleil n’en continue pas moins. En effet, s’ouvre ces jours-ci une période liturgique plus coutumière que canonique : celle des communions, professions de foi, confirmations, ordinations, etc. Les cérémonies solennelles auxquelles des milliers de familles participeront dans les semaines qui viennent, jusqu’aux vacances d’été, vont donc leur donner l’occasion de découvrir un certain visage de l’Eglise en France. Mais lequel ? La question se pose.
En France, une famille sur trois, au minimum, devrait être concernée – puisque un enfant sur trois est catéchisé dans notre pays. La plupart de ces chrétiens « sociologiques » vont très rarement à la messe – 6 à 8 % d’entre eux seulement s’y rendent une fois par mois, selon les statistiques.
Ces fêtes ne reflètent donc pas la réalité paroissiale : les églises sont pleines des oncles, tantes, cousins, parrains, marraines, amis venus pour le grand jour, affublés de caméras et appareils photos en tous genres ; les allées, le chœur, les chapelles latérales croulent sous les fleurs ; la chorale a répété pendant des semaines les chants de la cérémonie, on a même eu recours à des musiciens qui ne mettent jamais les pieds à l’église. Bref, comme dirait Charles Trenet, « y a d’la joie » et « y a d’la vie ». Mais l’envers du décor n’est pas aussi réjouissant et prometteur. En réalité, le cadavre est bien maquillé.
En dehors de ces dimanches de mai, juin et juillet où les églises se transforment en lieu de rendez-vous des familles, toute considération spirituelle mise à part, les paroisses de France sont dans un état alarmant – chacun le sait. A la campagne, seuls les vieux vont à la messe. En ville, et surtout à Paris, quelques paroisses très vivantes – souvent caractérisées par une sociologie particulière : classes moyennes supérieures, conformisme social, forte emprise de réseaux de sociabilité bien précis (scoutisme, mouvements spirituels, groupes militants, mondanités communes…) – émergent sur un océan dont l’eau croupissante s’évapore à vitesse grand V.
Et pourtant, des foyers de renouveau existent qui interdisent le défaitisme absolu. On le sait, parce que des observateurs et des spécialistes les ont vaguement repérés. Mais, surtout, on y croit, parce qu’on croit en « l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique », contre laquelle « les portes de l’Enfer ne prévaudront pas » (Mt 16, 18) et qui est « semper reformanda », c’est-à-dire en continuel renouvellement.
En réalité, ce dernier argument – qui n’est souvent qu’une posture, faute d’être une conviction – est bien commode. Sous les oripeaux de la confiance dans la Providence et son action au cœur de l’histoire, il dissimule peut-être une contradiction qu’on répugne à mettre sur la table. Travailler trop activement au renouveau de l’Eglise, dans une optique strictement religieuse et politiquement désintéressée, pourrait se révéler embarrassant pour certains catholiques… En effet, l’assurance d’un renouveau de l’Eglise catholique – ou en tout cas d’un enrayement de son déclin – ne tient pas tant à l’exercice automatisé de la vertu d’espérance (qui a le dos large !) qu’à certaines données démographiques et sociologiques.
La situation des paroisses françaises est catastrophique, avons-nous dit. Nul ne le contesterait. C’est le cas partout en Occident. De fait, l’Eglise catholique ne connaît de croissance – elle est d’ailleurs vive et semble durable – qu’en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Cette différence de situation entre – pour faire court – le Nord et le Sud n’est pas indifférent à notre question. Elle appelle certaines précisions. En effet, si certaines paroisses occidentales déclinantes résistent encore à l’appel du vide, c’est bien souvent grâce aux populations immigrées – notamment africaines. En somme, c’est par de micro-infusions de la vitalité du Sud que de nombreuses églises du Nord survivent. A l’appui de ce constat, on pourrait également évoquer le nombre grandissant de prêtres étrangers qui officient en France et la situation d’un diocèse occidental par excellence – celui du comté d’Orange County, en Californie, le plus riche, le plus bling-bling, le plus matérialiste des Etats-Unis – où depuis plusieurs années la quasi-totalité des nouveaux prêtres sont issus de la communauté vietnamienne immigrée.
Pourquoi est-il difficile d’évoquer cette réalité, auprès de certains responsables catholiques, clercs et laïcs ? A cause du patrimonialisme. Le patrimonialisme, c’est l’idée selon laquelle la conservation du patrimoine culturel, social, philosophique voire religieux de la nation relève du domaine politique et que l’entretien des « trésors du passé » compte autant que la mise en forme des « pressentiments d’avenir », pour parler comme Simone Weil. Quant à ce patrimoine, même si tous les patrimonialistes – il y en a à droite et à gauche – ne s’accordent pas sur son contenu, il est celui des « Français de souche », les Souchiens, la nouvelle chimère à la mode.
Tel qu’ils l’imaginent, les catholiques français sont particulièrement attachés à ce patrimoine, car il puise, paraît-il, dans les « racines chrétiennes de l’Europe ». Le général de Gaulle ne l’a-t-il pas dit lui-même, d’ailleurs : « La France est un pays de race blanche, de culture gréco-latine et de religion chrétienne » ? Comment accepter, dès lors, que le sang nouveau des paroisses catholiques françaises – que l’on désire si ardemment, ne serait-ce que pour faire la nique à l’islam ! – provienne des confins du Sahel ou de Cochinchine ?
En réalité, les catholiques, comme les autres, vont devoir choisir – ou plutôt ils vont devoir accompagner et profiter au mieux d’une évolution que les circonstances ont déjà imposée : soit une nation culturellement homogène, porteuse d’un seul et même patrimoine, et donc fermée aux grandes migrations humaines, soit des communautés chrétiennes disposant des ressources nécessaires à leur renaissance. Autrement dit, la « France idéale » ou l’Eglise renouvelée. Mais pas les deux. Vivement la nomination du premier évêque noir de France métropolitaine !
Matthieu Grimpret
Professeur d’histoire et essayiste
Dernier ouvrage paru : Traité à l’usage de mes potes de droite qui ont du mal à kiffer la France de Diam’s
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