
Si l’on en croit les commentaires qui fleurissent sur la toile à l’occasion du 500ème anniversaire de la naissance de
Jean Calvin, le grand réformateur protestant serait un homme de liberté, de fraternité et d’humanisme (voir le site de
"l’année Calvin" qui s’achève). Sans vouloir le moins du monde réveiller les guerres de religions, ni même entrer dans la querelle théologique sans fin qui sépare catholiques et protestants, penchons nous sur les racines calvinistes du capitalisme moderne, qui a envahi la planète et a semblé triompher après la mort du communisme.
Pour cela, il nous faut interroger
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme le texte fameux de
Max Weber . il montre que les protestants (et plus particulièrement les calvinistes) réussissent dans les affaires parce qu’ils croient en la
Prédestination. Ils pensent, nous dit Weber, que la réussite matérielle témoigne de la grâce divine toute-puissante. Le sociologue écrit que l’éthique protestante, « ascétique », calviniste et puritaine poursuivra sa marche inexorable « jusqu’à ce que la dernière tonne de carburant fossile ait achevé de se consumer ». Cette page, prophétique, date de 1905 !

Logiquement (c’est Max Weber qui le reconnait lui même) la conséquence de la Prédestination devrait être le fatalisme, et non le travail acharné pour réussir. En réalité, les capitalistes protestants ne sont pas rationnels . Ils n’agissent pas afin de réussir dans leurs entreprises. Ils sentent la grâce divine agir en eux.
L’éthique de l’ascèse dans le travail, assez valable pour justifier le labeur dans une échoppe de drapier en Nouvelle Angleterre, à la fin du XVIIIème siècle, prend une tout autre tournure lorsqu’il s’agit d’une multinationale du XXème. Car un tel système de valeur, prônant le travail pour le travail, comme une prière dédiée au Créateur, le réinvestissement des profits dans l’outil de production, sans jamais céder à l’oisiveté, mère de tous les vices, est d’une efficacité sans égal. Bon gré, mal gré, tout l’Occident développé a dû imiter les entreprises américaines impériales, ou du moins mimer leur organisation et leur mode de gestion.
Ce qui reste de l’éthique protestante aux Etats-Unis, ce n’est pas seulement l’invocation lancinante de Dieu dans la politique et les affaires (que les européens, même croyants, ne comprennent pas), c’est l’idée que toute réussite économique, dés lors qu’elle est honnête (si elle ne l’est pas, les américains sont alors beaucoup plus sévères avec les tricheurs que les européens), est un témoignage de la grâce divine. Alors que dans les pays latins et catholiques, en France en particulier, toute fortune insolente déclenche jalousie et suspicion.
Cela fut longtemps considéré comme une preuve d’arriération. Mais aujourd’hui, c’est peut-être un avantage, face à la crise profonde de notre modèle de développement économique. Pour les protestants, contrairement aux catholiques, il est impossible d’admettre qu’une entreprise qui réussit honnêtement puisse produire quelque chose de mauvais comme le réchauffement climatique ou l’épuisement des ressources naturelles. A la limite, la puissance américaine elle même, la force de son économie, de sa culture hollywoodienne, de sa titanesque accumulation d’armes de destruction massive, sont un témoignage de l’approbation divine. « In god we trust. »
Divine croissance
Aujourd’hui, c’est donc largement le dogme de la prédestination qui brûle, souille et détruit "la planète que nous allons laisser à nos enfants." Il ne faut pas s’étonner que les Etats-Unis aient tant de mal à accepter des limites environnementales au développement économique sans frein, qu’on leur propose par exemple avec le protocole de Kyoto, refusé par Bush, et au
sommet de Copenhague. Cette résistance est notamment forte dans les milieux conservateurs gardiens des traditions religieuses de l’Amérique mais aussi chez les néo-conservateurs passés par la gauche marxiste et retournant, par intérêt, mais aussi par conviction, aux "fondamentaux" qui ont fait selon eux la grandeur de l’Amérique. La réussite d’une entreprise, si le cours de Wall Street est bon, n’est-elle pas directement voulue par Dieu ? La croissance économique est bel et bien d’origine divine...
Le paradoxe, c’est que le capitalisme anglo-saxon, qui domine la planète, a aussi créé un mode de vie qui est à l’opposé même des principes du calvinisme et du puritanisme et en grande partie par opposition à ceux-ci. L’éthique protestante issue de la Prédestination, se renverse en culte exacerbé de la liberté. Mais la conception originelle des pères fondateurs subsiste dans le monde du travail.
Il ne faut pas reprocher aux calvinistes d’aujourd’hui les méfaits du capitalisme devenu fou et planétaire. Car toutes les sociétés modernes industrialisées se sont ralliées progressivement à leur système, si efficace qu’il a éliminé tous les concurrents, en terminant par le communisme lui même.