Ces persécutions des femmes, où qu’elles soient perpétrées, menacent directement les sociétés démocratiques...
Patrick Banon, écrivain, essayiste, spécialisé dans l’étude des systèmes de pensée religieux, auteur du livre Ces femmes martyres de l’intégrisme.
A l’occasion de la journée internationale contre les violences faites
aux femmes du 25 novembre, il a accepté de répondre à nos questions, sur
le propos de son livre ; la situation des femmes victimes de
l’intégrisme religieux.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à traiter le sujet des femmes martyres de l’intégrisme ?
Quelles sont les objectifs poursuivis en écrivant ce livre, est ce que c’est pour mobiliser les opinions ou les politiques ?
Patrick Banon : Ces persécutions des femmes, où qu’elles soient perpétrées, menacent directement les sociétés démocratiques. La démocratie moderne se construit sur un principe fondamental d’égalité entre hommes et femmes, alors que le totalitarisme se nourrit de l’inégalité et d’une hiérarchisation des différences. La pensée démocratique s’inscrit dans une quête de justice alors que le totalitarisme s’inscrit dans une quête de pureté. Nous ne vivons donc pas une guerre de religions mais un véritable affrontement entre types de sociétés qui se révèlent incompatibles. Il m’a paru essentiel de montrer que le statut égalitaire du féminin reste la clé de la démocratie, car impliquant l’acceptation de l’altérité, de la différence et donc de toutes les différences. J’ai voulu avec ce livre et les nombreuses conférences que j’anime sur thème, alerter et mobiliser l’opinion publique sur ces persécutions faites aux femmes "légitimées" par des traditions. Il ne s’agit pas de faits divers tragiques isolés, mais d’un système politique dont les femmes sont l’enjeu et le butin. Nos responsables politiques doivent comprendre qu’il s’agit ici d’un véritable apartheid, la moitié de l’humanité asservie par l’autre. Si les démocraties n’œuvrent pas pour mettre un terme à ces persécutions et pour protéger les femmes qui en sont victimes, et bien les démocraties n’y survivront pas. Il s’agit en effet d’un véritable crime contre l’humanité qui dure depuis bien trop longtemps dans une indifférence internationale. S’indigner ne suffira pas.
Vous êtes un spécialiste de la pensée religieuse, pensez-vous que certaines religions sont nocives pour la liberté des femmes ?
Patrick Banon : Contrairement aux idées reçues, la persécution des femmes, la perpétuation d’un statut inégalitaire avec les hommes, obéissent à un système de pensée patriarcal archaïque bien antérieur à nos religions contemporaines. Les monothéismes, judaïsme, christianisme, islam, ont en leur temps, dans leur région, tenté de s’émanciper de ces traditions. Les "intégristes" d’aujourd’hui ne représentent pas une religion plus intègre, mais tentent de préserver des traditions antérieures aux religions dont ils se réclament. En fait, ces religions lors de leur édification se sont installées sur des terres déjà organisées autour de ces traditions, et ne sont pas parvenues à les faire disparaitre. Aujourd’hui, c’est aux démocraties de relever ce défi.
Pour cela, il nous faut d’abord réinvestir activement les instances internationales sur ce sujet. Les régimes totalitaires l’ont bien compris. A l’ONU, diverses commissions chargées des droits humains ou de l’amélioration du statut du féminin (où siègent l’Iran, le Pakistan, le Congo...) ont voté des résolutions visant à préserver l’héritage des traditions et des coutumes sur les avancées humanistes des démocraties. Ces traditions patriarcales archaïques sont organisées autour de la marchandisation des femmes, des mariages forcés, de l’excision, des crimes "d’honneur". Ces coutumes couvrent les femmes, leur interdisent le plus souvent de s’instruire, de voyager librement, de se marier librement. L’intégrité de leur corps leur est refusé, le viol n’y est pas reconnu et la notion de viol conjugal inconcevable.
Le statut des femmes n’est pas un enjeu religieux mais désormais un enjeu politique : Totalitarisme contre démocratie. La moindre entaille au principe d’égalité hommes/femmes, le moindre renoncement à un seul article de la charte universelle des droits humains seraient fatals aux démocraties.
Patrick Banon : La mondialisation des cultures, l’interaction des traditions sur des terres désormais partagées, créent des zones de friction de plus en plus violentes, où que ce soit dans le monde. La persécution des femmes, la revendication d’un statut féminin inégal avec le masculin, fut longtemps associée à l’illettrisme, à la misère populaire et à un retard technologique. Ce n’est en réalité qu’un terreau favorable à cet archaïsme, mais le progrès économique ne met pas automatiquement un terme à ces pratiques d’un autre temps. Même si des femmes, en Iran, en Turquie, en Arabie saoudite, en Inde... ont accès à l’université et parfois assument des responsabilités professionnelles importantes, cela ne change pas l’organisation patriarcale de leurs sociétés. Il n’existe pas « d’ailleurs » possible puisque désormais, en Europe, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique notamment le statut féminin est mis à mal avec notamment la multiplication des conflits familiaux pour mariages forcés, la pratique de l’excision, l’exigence grandissant de virginité et de non mixité.
A titre personnel, comment qualifierez- vous en deux mots l’intégrisme religieux ?
Patrick Banon : Il est essentiel de faire la distinction entre la pratique orthodoxe d’une religion - qui ne concerne que l’individu et sa propre conscience religieuse, et l’intégrisme, qui est une démarche politique dont la vocation est de rendre tout environnement compatible à ses exigences traditionnelles ou philosophiques. La pratique orthodoxe ne concerne que l’individu alors que l’intégrisme s’adresse à la collectivité. En fait, la démocratie protège la vie privée alors que le totalitarisme dont l’intégrisme est le ferment rend la vie privée publique au jugement collectif. La pensée intégriste se construit sur des valeurs de pur et d’impur alors que la pensée démocratique se fonde sur des valeurs de juste et d’injuste.
Dans votre livre, vous donnez l’exemple de Yasmine, exécutée par son frère parce qu’elle a été violée...Lequel des témoignages que vous avez recueillis vous a le plus choqué ?
Patrick Banon : Il s’agit, à travers les portraits tragiques de ces femmes martyres de l’intégrisme, de montrer les différents visages de la persécution du féminin. Chacun de ces destins brisés est inacceptable. Il ne peut exister de hiérarchie dans l’horreur. Tout acte qui conduit à une ségrégation du féminin, à la marchandisation des femmes, au déni de l’intégrité du corps féminin, au statut inégal des femmes est une tragédie et une atteinte aux valeurs universelle des droits humains.
Quel est votre point de vue sur la situation des femmes en France ?
Patrick Banon : L’égalité entre hommes et femmes, quelles que soient leurs différences, relève d’une quête. Il s’agit dans la pensée démocratique d’un état d’esprit, d’un véritable graal à poursuivre sans cesse. Cette quête d’égalité s’appuie sur une volonté d’humanisation de la société alors que le totalitarisme s’appuie sur la nature des choses et des apparences. La France porte en elle une exigence d’égalité qui est indiscutable. La multiplication des violences faites aux femmes y reste une plaie ouverte dans cette espérance. Notons néanmoins que cette violence en France est illégale, alors que celle subie par des millions de femmes à travers le monde est trop souvent encore légitimée par les traditions ou les codes de lois. Sans doute faudrait-il considérer toute violence faite à une femme pour sa féminité comme une circonstance aggravante de ce crime, au même titre que des violences motivées par le racisme ou l’antisémitisme.
Pour finir, que pensez-vous de la loi contre le port du voile en France ?
Patrick Banon : Toute société démocratique possède le devoir de préserver les valeurs fondamentale qui l’animent et de protéger ses citoyens et citoyennes, y compris contre eux-mêmes. Renoncer, ne serait-ce que furtivement, au principe fondamental d’égalité hommes/femmes, accepter une vision sexuée de la société reviendraient à permettre la légitimation de valeurs patriarcales archaïques. Le voile intégral n’est pas une liberté des femmes, mais l’intériorisation d’un statut d’infériorité. En fait, pour celles qui le revendiquent comme une liberté, il s’agit tout simplement du syndrome de Stockholm, qui pousse des victimes à adhérer à la cause de leurs tortionnaires.
Propos recueillis par Anne-laure DEMEZUCK
Livre : Ces femmes martyres de l’intégrisme (Broché) Patrick Banon Armand Colin - Paru le 15/09/2010 Prix éditeur : fr : 17€
Cet interview a déjà publié sur le site internet de l’Association Française sur la santé et le bien-être de la femme et du couple www.femmes-pourtoujours.com
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