Fête de l’Aïd et autres : le législateur peut-il jouer son rôle ?
En ce temps de l’Aïd-el-Kebir, nombre de musulmans revendiquent l’attribution d’un jour férié destiné à la pratique de leur religion. Devant une telle demande, les passions s’exacerbent. Le législateur peut-il apaiser les esprits ?
L’Etat doit garantir le libre exercice des cultes : tel est l’un des fondements de notre laïcité, figurant à l’article n°1 de la loi de 1905. La formule est certes générale, mais tout le monde comprend bien qu’à l’époque, ce sont les religions chrétiennes (catholicisme, protestantisme, etc.) auxquelles on devra garantir, en pratique, cette liberté. Or, les structures pour le faire sont en place : lieux de culte et jours chômés républicains qui, oh ! miracle, coïncident avec les fêtes chrétiennes. Il suffira à la République de séculariser ces jours de fêtes de constituer un calendrier républicain pour la société toute entière. Ainsi, l’honneur des laïcs est sauf, et la paix sociale assurée. Avec la déchristianisation de notre société, à laquelle on assiste depuis des décennies, la pertinence de cet argument s’est trouvée renforcée : effectivement, les Français non pratiquants n’ont pas l’impression de fêter un événement religieux à Noël, ni d’exprimer une revendication religieuse lorsqu’ils protestent à l’occasion de la suppression du lundi de Pentecôte ! Mais du fait que les calendriers des fêtes républicaines et chrétiennes coïncident, les chrétiens sont, eux aussi, satisfaits : ils ont, en effet, une très large possibilité de pratiquer leur culte, la loi leur garantissant les jours chômés nécessaires.
Pourquoi cette situation n’est-elle plus satisfaisante ? La société française est en profonde mutation, et on a assisté, au cours des dernières années, à une augmentation importante du nombre de pratiquants de religions non chrétiennes, c’est un fait indiscutable. Ce sont principalement, tout le monde le sait, les pratiquants juifs et musulmans.
Ces derniers jugent la situation actuelle profondément injuste : pourquoi les fidèles de religions qui totalisent plusieurs millions de pratiquants dans le pays n’ont-ils pas de garantie légale de pouvoir consacrer ne serait-ce qu’une journée par an à leurs pratiques religieuses, et ceci alors que les catholiques peuvent le faire et très largement ? N’y a-t-il pas là une entorse au principe de laïcité, qui garantit la liberté de culte ? Dans le climat que l’on connaît, ce genre de débat a tendance à s’envenimer très vite. La situation fait manifestement problème, et c’est ce qui avait amené M. Bernard STASI, qui n’a rien d’un fondamentaliste, à proposer que les grandes fêtes des principales religions soient légalement chômées.
A cela, les autorités, appuyées par les laïcs, répondent que le calendrier français n’a plus rien de religieux, si ce n’est son origine historique ; que les Français ont bien assez de jours fériés comme cela, et qu’en ajouter coûterait cher à notre économie ; qu’on ne légifère pas sous la pression de religions, toute respectables qu’elles soient ; que, le doigt mis dans l’engrenage, toutes les religions, même très minoritaires, revendiqueraient des jours fériés pour leurs fêtes et que, dans ce cas, il serait logique de traiter tous les cultes de manière égalitaire, et, bref, qu’on ne s’en sortirait plus...
La proposition des autorités : une circulaire pour l’école, invitant les chefs d’établissement à la compréhension, et l’assurance que le monde du travail traitera ces problèmes avec compréhension.
Cela n’est certes pas satisfaisant. Pour l’école, on assiste à une grande disparité des comportements : dans certains quartiers, à forte population émigrée, la compréhension (forcée ?) est la règle. Une collègue me confiait que, dans son établissement, la majorité des élèves sont absents le jour de l’Aïd, ainsi que de nombreux professeurs. Ailleurs, la rigueur laïque la plus stricte est appliquée, rigueur qui est ressentie comme une sorte de persécution, puisqu’il n’y a pas de vraie règle. Les autorisations d’absence devant être motivées, un élève désireux de s’absenter un jour de fête religieuse doit, en quelque sorte, confesser sa religion au chef d’établissement, ce qui est contraire au principe de laïcité, la pratique d’une religion relevant strictement de la sphère privée. De plus, ce flou permet de nombreuses polémiques au sujet des préférences supposées des chefs d’établissement pour telle ou telle religion.
Dans le monde du travail, les pratiquants désireux de s’absenter pour un motif religieux peuvent toujours essayer de poser un jour de congé mais, là encore, leur employeur a le pouvoir de le refuser, si cette absence représente une gêne, ou s’il n’a simplement pas envie de montrer de la bonne volonté à l’égard d’une demande de ce type. Les personnes concernées sont donc soumises à une grande diversité de réactions, et cela provoque inévitablement des tensions.
Dans cet embrouillamini très passionnel, où tout le monde semble avoir raison, que peut faire le législateur ? Tout d’abord, assurer la mission d’un Etat de droit, c’est-à-dire édicter des règles claires et cohérentes, qui évitent l’arbitraire. Il me semble donc indispensable, constatant les mutations évidentes de la société et l’importance prise par ces problèmes religieux (que cela plaise ou non), que l’Etat légifère. Risquerai-je une proposition ?
Assurer à tout salarié, de tout secteur, et par la force d’une loi, la possibilité de choisir librement une journée par an prise sur ses congés (et non pas en plus) sans que son employeur puisse s’y opposer. Assurer à tout écolier, lycéen ou étudiant, la possibilité d’une seule autorisation d’absence par année scolaire, qui n’aurait pas à être motivée. Autorisation qui serait accordée automatiquement par le chef d’établissement.
En ce qui concerne la laïcité, une telle loi n’a, dans son principe, aucune connotation religieuse : il est bien évident que cette journée au choix serait utilisée pour une grande variété de motifs. En ce qui concerne l’école, quel parent ne sollicite pas, au moins une fois dans l’année, une absence pour son enfant en rapport avec des convenances personnelles (peut-être pour une fête religieuse mais aussi retour tardif d’un voyage, etc.) ? Cette clarification des choses permettrait aux chefs d’établissement d’être plus pointilleux pour les demandes supplémentaires. Et quant aux pratiquants des diverses religions, il me semble que la proposition pourrait avoir leur agrément : il n’y a, en effet, et pour la grande majorité des religions, qu’une seule grande fête par an qui nécessite une journée entière de pratique. Et quant à sacrifier un jour de « congé payé », la majorité des pratiquants pensent, sans nul doute, que leur religion le vaut bien. En tout cas, ce serait pour eux la certitude de n’être plus embêtés, empêchés, et parfois humiliés dans leurs pratiques religieuses.
Quelles seraient les conséquences d’une telle mesure ? Pour l’école, cela ne ferait que clarifier des consignes de souplesse bien floues, et cela rendrait bien service aux chefs d’établissement qui pourraient s’en référer à la règle plutôt que de décider laborieusement au cas par cas. Pour les entreprises ou l’Etat, le coût serait très réduit, car la mesure ne changerait pas la durée globale du travail. Pour la République, la loi rendrait enfin possible une véritable et équitable application de l’article 1 de la loi de 1905.
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