D’après une annonce du porte parole du Vatican en date du 15 septembre 2009 :
« la première réunion qui marquera le début du dialogue avec les lefebvristes se tiendra dans la seconde moitié d’octobre »
L’enjeu est d’importance pour les 2 parties car le différend est ancien et empoisonne les relations entre le Vatican et les catholiques traditionalistes depuis des décennies, à ce sujet ;
1) Historique ; un processus d’excommunication en 2 phases
La
Fraternité sacerdotale Saint Pie X ou FSSPX est une société de prêtres catholiques romains, fondée en Suisse le 1
er novembre 1970, par
Mgr Marcel Lefebvre à la demande de plusieurs séminaristes français, les buts de cette fraternité sacerdotale sont « le sacerdoce et tout ce qui s’y rapporte et rien que ce qui le concerne » à l’origine le Vatican avait approuvé la constitution de cette société et de 1970 à 1975, les rapports avec la papauté sont à peu près normaux..
Comme Mgr Lefebvre continuait de stigmatiser plus ou moins violemment la politique d’ouverture de l’Église catholique suite au
concile Vatican II, en particulier en publiant fin 1974 un manifeste résumant ses positions, au printemps 1975 l’autorisation accordée à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X est retirée, malgré cela Mgr Lefebvre décide de continuer son action de formation de prêtres du séminaire d’Écone et en juin 1976, il ordonne 13 prêtres, en conséquence le 22 juillet 1976
Paul VI frappe Marcel Lefebvre d’une suspense (censure consistant à priver le clerc de son office) pour son opposition au Concile Vatican II et aux réformes qui s’y rattachent, c’est la première fêlure avec Rome, s’en suivra une seconde plus conséquente !
Mgr Lefebvre et la
Fraternité Saint-Pie-X choisissent de continuer leur action en formant des prêtres, en ouvrant des lieux de culte dans tout le monde chrétien, peu à peu, la fraternité se dote d’une structure hiérarchique distincte et séparée de l’Église romaine, les rapports sont néanmoins maintenus avec Rome, et une tentative de normalisation de la situation de la FSSPX a lieu en mai 1988, par la signature d’un accord entre le cardinal Ratzinger ( !) et Mgr Lefebvre..
Ce dernier primo reniera cet accord mais va surtout franchir un pas inacceptable en décidant de procéder à des sacres d’évêques sans l’accord de Rome, ce qu’il effectuera malgré les mises en garde canoniques le 30 juin 1988..
Cette fois-ci cela en est trop et le 2 juillet 1988 par le motu proprio (« de son propre chef » est une lettre émise par le pape de sa propre initiative) Ecclesia Dei, Jean Paul II déclare excommuniés Mgr Lefebvre lui-même, Mgr de Castro-Mayer, évêque co-consécrateur, et les quatre nouveaux évêques qui venaient d’être ordonnés et qui sont Alfonso de Galaretta, Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais et Richard Williamson ( !)
Mgr Lefebvre décèdera en Suisse le 25 mars 1991 mais la Fraternité Saint-Pie-X continuera de prospérer, revendiquant plus de 500 prêtres à ce jour dans près de 30 pays, en France son lieu de culte le plus célèbre est l’église Saint Nicolas du Chardonnet à Paris.
2) les racines de la discorde : le concile Vatican II
Le II
e concile œcuménique du Vatican, plus couramment appelé
Vatican II, est le XXI
e concile œcuménique de l’église catholique romaine, il a été ouvert par le pape Jean XXIII en 1962 (lequel est décédé en 1963) et clos sous le pontificat de Paul VI en 1965. On le considère généralement comme l’événement le plus marquant de l’histoire de l’Église catholique au XX° siècle, symbolisant son ouverture au monde moderne et c’est bien là tout le problème pour les traditionalistes !
Ces points de désaccord (on peut même parler de refus) vis à vis des résolutions du concile Vatican II sont exprimés dans une lettre de Mgr Lefebvre datant d’octobre 1987 (retranscrite sur le site de la FSSPX) où il accuse nommément les francs-maçons ( !) :
« Il y a désormais trois erreurs fondamentales, qui, d’origine maçonnique , sont professées publiquement par les modernistes qui occupent l’Église.
- Le remplacement du Décalogue par les Droits de l’Homme…
- Ce faux œcuménisme qui établit en fait l’égalité des religions…
- Enfin, le troisième acte qui est maintenant courant, c’est la négation du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la laïcisation des États …
Si l’on réunit ces trois changements fondamentaux et qui en vérité n’en font qu’un, c’est vraiment la négation de l’unicité de la religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ … Les francs-maçons ont toujours désiré cela et ils y parviennent non plus par eux mais par les hommes d’Église eux-mêmes. »
Autrement dit la FSSPX refuse ce qu’elle nomme les mesures libérales du concile Vatican II, notamment :
- la liberté religieuse qui s’opposerait à la doctrine de la royauté du Christ ;
- la collégialité, en accordant trop de pouvoir aux conférences épiscopales ;
- l’œcuménisme et ce qui serait son corollaire, l’abandon de la mission ;
- les modifications dans la liturgie, ce dernier point est très important car la FSSPX célèbre exclusivement
la messe dite « de saint Pie V » ou
rite tridentin, aujourd’hui dénommé forme extraordinaire du rite romain,
en latin !
Qu’on soit pro-traditionaliste ou pro-moderniste, impossible de nier que le concile Vatican II a fait l’effet d’un tsunami dans la classe sacerdotale et chez les fidèles en bouleversant profondément la nature du dogme de l’Église romaine et son application, à ce sujet Anthony Burgess (l’auteur d’Orange mécanique) écrivain catholique de renommée mondiale n’hésitait pas à décrire son initiateur Jean XXIII comme l’un des individus les plus malfaisants du XX° siècle ! « J’ai vu des tas de catholiques abandonner la religion, des prêtres qui ne croyaient plus en Dieu … » de tels écrits de sa part traduisent bien l’immense désarroi provoqué chez tous ceux qui ne pouvaient être que profondément attachés au catholicisme qu’ils avaient toujours connu..
3) l’évolution actuelle, les ouvertures effectuées par Benoît XVI
L’ex-cardinal Ratzinger, très au faite du litige avec la principale branche des catholiques traditionalistes (voir ci-dessus) n’ignore pas tout le bénéfice qu’il y aurait à percevoir du retour au bercail de cette portion de catholiques très fervents et très sincères, souvent brillants intellectuellement et qui pourraient en quelque sorte constituer « des bataillons d’élite de soldats du Christ », aussi depuis sa nomination en tant que successeur de Saint Pierre a t il multiplié les gestes d’ouverture en leur direction ;
Par le
motu proprio Summorum Pontificum publié
le 7 juillet 2007, le pape remet en valeur le
rite tridentin qu’il dénomme forme extraordinaire du rite romain, dans sa lettre aux évêques qui accompagne le
motu proprio, il précise que l’un des buts de ce texte est la « réconciliation interne au sein de l’Église ».
Puis par décret de la congrégation pour les évêques du 21 janvier 2009 signé par le préfet de la congrégation, l’excommunication latae sententiae (c’est à dire de facto) qui frappait les quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre à l’époque et qui sont Mgr Galaretta, Mgr Fellay, Mgr Tissier de Mallerais et Mgr Williamson, est levée, cependant la levée de l’excommunication n’est pas la réconciliation ou la réhabilitation, mais l’ouverture de la voie vers la réconciliation ; les quatre évêques demeurent suspendus, ce qui fait qu’il ne leur est toujours pas permis d’exercer leur ministère épiscopal au sein de l’Église catholique.
Du côté de la Fraternité Saint Pie X, les quatre évêques dont l’excommunication a été levée par Benoît XVI, expriment dans une lettre publiée dans la revue de FSSPX au pape leur "profonde reconnaissance pour l’acte de Sa paternelle bonté et de Son courage apostolique". Cependant à la question : "La condition posée par Rome à une réintégration de la Fraternité dans l’Eglise étant la reconnaissance du concile Vatican II, la Fraternité est-elle prête à franchir ce pas ?", Mgr Fellay répond : "Non. Le Vatican a reconnu la nécessité d’entretiens préalables afin de traiter des questions de fond provenant justement du concile Vatican II. Faire de la reconnaissance du concile une condition préalable, c’est mettre la charrue avant les bœufs".
Ainsi qu’on le voit le dialogue s’annonce ardu de part et d’autre, chacune des parties entendant défendre ses convictions, Rome devant faire montre d’autorité et la FSSPX n’ayant nullement l’intention de renoncer à ce qui fait l’objet de son combat depuis maintenant des décennies.
En conclusion le brillant intellectuel qu’est Benoît XVI dispose de plusieurs atouts dans son œuvre de réunification de l’Église de Rome, sa longue expérience, sa très bonne connaissance des dossiers ainsi que ses qualités de diplomatie, mais en plus de la réconciliation avec les catholiques traditionalistes il vise en même temps celle avec
l’Église orthodoxe et le dialogue avec les Juifs ce qui ne va pas forcément de pair..
De l’autre côté, s’il semble naturel de penser que la Fraternité Saint Pie X, lasse d’une si longue marginalisation qui inquiète nombre de ses fidèles, devrait accueillir avec joie la main tendue par le Vatican, c’est sans compter sur l’attachement farouche de ses principaux doctrinaires à la tradition ancestrale qu’ils prétendent être les seuls à vraiment défendre..
On le voit, tous les cas de figure demeurent ouverts, entre une réintégration dans l’Église de Rome (vivement souhaitée), un statu quo ou pire encore une excommunication renforcée, il conviendra d’avancer très prudemment afin de ne pas échouer dans cette occasion historique, la plus grande chance de dialogue réside certainement dans l’entente secrète qui a toujours subsisté chez les traditionalistes se situant de part et d’autre.
Hiéronymus, septembre 2009