Il faut développer les recherches en théologie !
Voici un plaidoyer inattendu pour la théologie. Quel intérêt à développer la théologie, un savoir que d’aucuns pensent être inutile et mort, comme les langues mortes du reste, et qui amène à fermer le dossier ? Eh bien non, deux révolutions majeures vont advenir en théologie.
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La religion, un trait des civilisations,
de tous temps et en tous lieux. Mais aussi un thème de société très en vue ces
temps-ci, et d’ailleurs jamais perdu de vue. Et la théologie ? Inconnue du
grand public qui pense qu’elle est ou bien un savoir sectaire, une lubie des
religieux, voire une somme ésotérique aussi incompréhensible qu’un traité de
mécanique quantique. Pourtant, la théologie, pour ceux qui peuvent entrer dans
cette discipline, s’avère un univers riche, autant que peut l’être la
philosophie, la psychanalyse, la sociologie ou la littérature. Hélas, ce qu’on
peut appeler les égarements prosaïques et moraux de la religion n’incitent pas
à entrer dans les textes théologiques, ni à interroger ce savoir sur ce qu’il
offre, représente, signifie et son éventuel progrès. C’est un peu comme si
Hiroshima, Tchernobyl et le sang contaminé devaient nous écarter des traités de
mécanique quantique et de biologie. Ainsi, pour commencer ce propos,
pourrions-nous concevoir la théologie comme un savoir dont l’application serait
la religion, élaborée comme un ensemble de pratiques censées découler des écrits
théoriques sur Dieu, rituels, observances morales, prières, cérémonies. Ce
n’est pas un scoop, si la religion a servi de béquille à l’humanité, l’homme ne
s’est pas privé de dévoyer la religion. Ce qui ne nous empêche pas d’interroger
à nouveau la théologie.
La théologie est-elle un savoir du
Dieu ? Pour qu’elle le soit, il faut admettre que Dieu est une instance
déterminée sur laquelle il est possible de formuler un discours. C’est
notamment le cas de la théologie chrétienne telle qu’elle a été élaborée au
Moyen Âge par les docteurs de l’Eglise dont le plus connu est saint Thomas,
auteur d’une somme théologique considérable par son volume et ses sujets
abordés. Il va de soi qu’un Dieu personnel se prête à une investigation
théorique pour peu qu’on dispose d’éléments empiriques reconnus tangibles, ce
qui est le cas avec les Ecritures. Depuis, la théologie chrétienne s’est
considérablement enrichie et on doit se demander, en calquant son cheminement
sur la science, si elle ne devrait pas évoluer comme le fit la physique, avec
les nouveaux faits constatés dans les laboratoires ou alors des inventions
formelles inédites. Pour ce qui est des faits, cela supposerait que Dieu se
soit manifesté depuis. Chose difficile à admettre pour un théologien
traditionnel, quoique, bien des expériences mystiques ayant été intégrées par
la théologie. Le parallélisme entre science et théologie paraîtra incongru voire
choquant et, pourtant, les modes opératoires se rejoignent, ne serait-ce que
parce que la théologie a utilisé la philosophie, qui fut sa
« servante » au Moyen Âge, alors que les sciences de la nature se
servent bien des mathématiques, notamment la physique, laquelle a suscité une
véritable révolution épistémologique en abandonnant la conception d’un monde
purement objectif que la science peut observer sans le perturber. L’observé
et l’observant ont partie liée, entrelacée, ainsi l’énonce la mécanique
quantique. Pareillement pour le sondeur et le sondé. Alors...
I. Etre et verticalité. Proposons une
révolution en théologie en partant de l’idée que l’homme de foi et Dieu sont
entrelacés, si bien que la théologie prend un sens nouveau. Elle n’est plus le
savoir d’un Dieu pris comme une entité indépendante, Objet ou Sujet
transcendant, mais le savoir du rapport entre l’homme et un Ordre qu’on dira
transcendant. De ce fait, l’homme et Dieu sont entrelacés selon des liens que
la théologie devra élucider, expliciter, théoriser. Ainsi, l’homme est partie
prenante dans son lien avec Dieu, y compris quand ce rapport se manifeste par
des phénomènes d’ordre prophétique. Ainsi, la parole de Dieu n’est plus qu’une
parole de l’homme, mais élevée à la puissance de la transcendance par la grâce
de Dieu. Avec Dieu, l’homme sort de la finitude trop humaine et l’Infini
descend et se manifeste en le liant aux interstices de l’humain perfectible, il
épouse en quelque sorte la forme humaine. Cette descente de Dieu est désignée
comme kénose en théologie. On peut aussi le voir à travers le symbole de
l’échelle de Jacob, pont entre le ciel et la terre permettant une circulation
réciproque, le divin descend les marches et l’âme humaine les montre. Mais ces
êtres (les anges, les âmes) parcourant l’échelle ne seraient-ils pas composés de
deux éléments, l’un de nature humaine, l’autre de nature divine, avec sans
doute des degrés divers, un peu à l’instar des boissons alcoolisées dont le
degré augmente, depuis le cidre fermenté jusqu’aux spiritueux qui portent bien
leur nom.
II. Temporalité. Le premier principe à
admettre, pour un théologien en quête de savoir, c’est que la théologie doit
porter sur le lien (réciproque s’entend) entre l’humain et le Transcendant.
C’est une manière de bien conjecturer le rapport entre l’immanence et la
transcendance. L’autre point d’achoppement de la théologie, c’est la dimension
du temps et là aussi, une réflexion s’impose. La question théologie, elle est
de deux ordres, d’une part le rapport entre immanence et transcendance, entre
l’homme et ce qui le dépasse et sans doute, lui permet de se dépasser. Laissons
de coté la nature. Or, l’homme n’est pas un être naturellement fixé, bien qu’il
ait une dimension animale, naturelle, biologique (et d’ailleurs, les animaux ne
sont pas fixés, ils évoluent). L’homme est un être qui se construit dans
l’expérience dans la nature et, surtout, à travers une expérience sociale, ce qui
implique une dimension fondamentale, le temps. L’animal se transforme, l’homme
aussi, mais pas de la même manière, car la vie sociale, intellectuelle et
technique modifie profondément son essence alors que sa conscience, son esprit
changent, selon les époques et aussi au cours d’une existence. Et donc, si
l’essence de l’homme change, le rapport avec le Transcendant également. Voilà
une seconde orientation permettant de rectifier les égarements des anciennes
théologies.
La théologie doit accomplir sa seconde
révolution épistémologique avec la question du temps. Et emprunter le sillon de
Darwin et du transformisme. Les espèces n’ont pas été créées, mais sont le
résultat d’un processus déroulé sur des centaines de millions d’années. L’homme
ne naît pas homme, il le devient, à la fois dans son chemin existentiel, mais
aussi en tant qu’homme d’une époque. Les anciennes théologies n’ont pas pu
comprendre ce fait. Elles n’en avaient pas les moyens. Alors, elles ont spéculé
sur Dieu et l’homme en alliant révélations et constatations. Notamment sur la
question du bien et du mal. Ainsi, l’explication par le péché originel
construite faute de mieux par la théologie chrétienne, sorte de bricolage
permettant de créer un mythe alliant une humanité déchue et un Dieu rédempteur.
De quoi répondre aux questions d’une époque, mais plus maintenant. Dans un ordre
d’idée parallèle, la doctrine révélée par Zoroastre prévoit également un
élément antécédent (carrément ontologique) pour expliquer le cours du monde,
avec deux principes toujours présents et se combattant, le bien et le mal. On
comprend aisément comment cette explication rend compte du déroulement des
affaires humaines, des réalisations radieuses autant que des conflits, des
haines, des destructions. S’il en est ainsi, c’est parce que les uns sont nés du
côté du mal et les autres du bien. Mais dans le contexte d’une inversion
temporelle, le bien et le mal deviennent non plus des principes antécédents et
ontologiques, mais des résultats de l’expérience humaine. Auschwitz et le Rwanda,
Bible et Mahabharata ! C’est moins confortable à admettre, mais plus en
phase avec les philosophies de la liberté et du processus. Le mal est une
production de l’homme, comme le bien du reste. Quoiqu’il y sait sans doute une
réception du bien par l’homme mais c’est... Justement. La question théologique,
c’est de savoir quel rôle le Transcendant joue dans cette partie. Les
connaisseurs verront à cette occasion une possible allusion à la controverse
entre Pélage et Augustin. Et une question, comment s’ancre le mal en l’homme ?
Car nul ne peut plus botter en touche et croire aux mythes des anciens. Une
idée, la haine rend un peuple indestructible disait un résistant communiste.
Est-ce à dire que l’épreuve du combat, de l’existence, du conflit, a fait de l’homme
un être possédant des gènes de la haine, et donc du mal qui en découle ?
Et quelle instance peut nous aider à sortir de ce destin de décivilisation que
l’humanité a connue en 1940 et qui peut rejaillir sous une forme inédite ?
A méditer !
Quel peut être l’intérêt de cette
nouvelle théologie qui, en fait, se conçoit tout aussi bien comme une
philosophie qui reconnaît le Transcendant sans en faire une entité objet de
savoir, mais une instance verticale et donc capable d’élever l’homme ? Eh
bien la réponse est partiellement dans la question. Il s’agit de comprendre
le sens de tout ça, pourquoi cette vie, nous qui sommes nés sans l’avoir
demandé ; rien que cet enjeu ne peut qu’élever l’humanité à la dignité de
son dessein, à moins qu’elle ne préfère s’annihiler et s’abandonner aux séductions
du fétichisme consumériste et des hochets du pouvoir alliés au narcissisme de la
position et des prébendes qui lui sont accordées. Bref, connaître et exister pleinement
ou bien faire de sa vie un long suicide sans âme.
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