Jésus était-il Dieu ?
En fait, Jésus donne lui-même la réponse à cette question. Accusé par les juifs de "se faire Dieu" (Jean 10 : 33), de se proclamer fils de Dieu, ce qui correspond à leurs yeux à une forme de blasphème, il leur répond en citant les Psaumes "J'ai dit vous êtes des dieux" (Ps. 82 : 6), indiquant que les hommes sont appelés à manifester la nature de Dieu en tant que fils et filles de Dieu.
En d’autres termes, Jésus ne répond pas en affirmant sa supériorité par rapport au commun des mortels mais en affirmant la dignité de l’homme créé en tant que fils de Dieu selon la Bible.
Ainsi la généalogie de Jésus selon l’évangile de Luc se termine par « Seth fils d'Adam, fils de Dieu » (Luc 23.38), affirmant que le premier homme a été créé comme fils de Dieu avant la chute.
Jésus refuse l'identification de sa personne à Dieu, tout en affirmant son rôle auprès de ses disciples en tant que Messie ou Christ en grec sauveur de l'humanité. Ainsi il répond à un chef religieux juif qui l'appelle "bon maître", "pourquoi m'appelles-tu bon ? Seul Dieu est bon (Luc 18 : 19).
Dans Jean 14 :28, exhortant ses disciples avant sa mort, Jésus fait aussi une claire distinction entre lui et Dieu « ..vous vous réjouiriez ce que je vais vers le Père car le Père est plus grand que moi ».
Bien sûr, on trouve des passages où Jésus semble s’identifier au Père ainsi quand Philippe lui demande « de lui montrer Dieu » peu avant la crucifixion, il répond dans Jean 14 :9 quelque peu excédé par cette demande « …celui qui m’a vu a vu le Père » indiquant par là que tous ses faits et gestes au cours de sa vie publique manifestaient la volonté de Dieu.
Si l’on prend l’Ancien Testament et l’enseignement du judaïsme, il est clair que le Messie attendu doit être un homme et non Dieu, celui qui est appelé à régner sur le trône de David et établir le Royaume de Dieu, un royaume de justice et de paix.
A la fin de sa vie terrestre, Jésus insiste sur la proximité qu'il ressentait vis-à-vis de ses disciples déclarant dans Jean 15 :13 Je ne vous appelle plus serviteurs parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son seigneur, mais je vous ai appelés amis parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père".
L’humanité de Jésus
On a trop souvent donné une image de Jésus comme d'un être impassible, au-dessus des difficultés quotidiennes, ce qui pouvait correspondre à une certaine époque à l'idée d'un Dieu impassible développé par certains théologiens inspirés par la philosophie grecque, en particulier Platon ou Aristote alors que les hommes ordinaires sont considérés avant tout comme de pauvres pécheurs souffrant des conséquences du péché originel. Mais on crée ainsi une distance entre Dieu et l'homme qui ne correspond pas aux paroles de Jésus selon lequel l'homme a été créé à l'origine pour s’unir à Dieu et manifester la nature divine. C’est ainsi que lors de la prière sacerdotale peu avant la crucifixion dans Jean, il insiste sur l’unité entre les disciples, lui et Dieu « moi en eux et toi en moi » (Jean 17 :23) terminant par « afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et que moi je sois en eux. »
Dans les évangiles, Jésus exprime toute la gamme des émotions humaines, joie ("j'ai vu Satan tomber du ciel"), déception, par exemple devant le jeune homme riche qui refuse de le suivre, colère devant la dureté de cœurs des villes comme Capharnaüm qui malgré tous les miracles qu'il y a fait, ne se sont pas repenties et ne l'ont pas reconnu ou avec encore plus de force, contre les marchands du temple avant la crucifixion, le sentiment d'abandon ou de déréliction en particulier sur la croix ("Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné"), tristesse ("Mon cœur est triste à en mourir"), etc.
Certains théologiens, et pas des moindres, comme Hans Kung (Être chrétien) ou avant lui, Albert Schweitzer (A la recherche du Jésus historique), ont posé la question de savoir si Jésus pouvait se tromper, en particulier concernant l'avenir. Et en effet, avant d’annoncer sa crucifixion, vers la fin de sa mission, en particulier à partir de la transfiguration, Jésus se montre plein d'espoir pour le développement de son mouvement. On parle de printemps galiléen pour la première période du ministère public de Jésus dans lequel il annonce la proximité du Royaume « le Royaume est à portée de main ». Ainsi, il envoie ses disciples en mission, leur annonçant qu'avant qu'ils aient fait le tour de la Galilée le fils de l’homme viendrait dans sa gloire.
Par contre, au moment de la crucifixion, Kung souligne que Jésus éprouve un sentiment d’abandon total de Dieu ainsi que d’échec par rapport à son annonce de la venue imminente du Royaume.
« Un seul médiateur, Jésus Christ homme »
Paul fait clairement la distinction dans ses épîtres entre Dieu créateur de toutes choses et le « seul Seigneur Jésus-Christ » (1 Cor. 8 : 6) parlant pour l'un de Dieu notre père et employant le terme Seigneur (Kyrios) pour Jésus.
Comme Jésus, Paul met l’accent sur la dignité originelle de l’homme déclarant dans 1 Corinthiens 3 :16 « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?" Et dans Corinthiens 6 :3 à propos des disputes dans la communauté chrétienne, il dit "Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? », incitant les chrétiens à régler pacifiquement entre eux leurs différends.
La raison principale de l'humanité nécessaire du Messie est exposée clairement dans l’épitre aux Romains de Paul.
Il y explique longuement que « ... comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort s'est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché (5:8),..., comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul (homme) beaucoup seront rendus justes. (5 :20) ».
Adam, qui a chuté suite à la tentation de Lucifer, est à l'origine fils de Dieu, ce qui amène au parallèle entre l'Adam déchu, arbre de mort qui a amené la mort et l'Adam arbre de vie (Jésus) qui apporte la vraie vie. [1]
Cette théologie du péché originel et de la rédemption amène Paul à insister sur l'humanité de Jésus avec une logique claire assez typique chez l’apôtre des païens : le mal ou la faute originelle a été causé par un homme et donc, seul un homme peut restaurer la situation d'origine entre Dieu et l’humanité.
C’est pourquoi, dans sa lettre à Timothée (1 Timothée 2 : 5) il déclare "Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ homme » (ou "l'homme Jésus Christ" selon d'autres traductions).
Cette humanité de Jésus fait qu’il a été tenté comme tout homme et amène Paul à écrire "Car nous n'avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse compatir à nos faiblesses ; au contraire, il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché". (Hébreux 4 :15)
Selon Paul, l'homme a chuté et doit se libérer du mal, de la corruption, l'injustice et l'idolâtrie. Dieu ne peut le faire à sa place car Il doit respecter sa liberté, l'homme ayant été créé à l'origine comme fils ou fille de Dieu, libre et cocréateur avec Dieu et seul l’homme peut décider de retourner à Dieu.
Par la suite, notamment suite aux premiers conciles (Nicée, Ephèse), le Christianisme a eu tendance à diviniser Jésus, l'éloignant ainsi des hommes plongés dans leurs péchés.
Mais ainsi, on s’éloigne de la théologie de Paul pour lequel un être surnaturel, genre superman, mi-homme mi-Dieu, ne pourrait sauver les hommes si ces derniers ne peuvent s'identifier à lui.
Si un tel être surnaturel pouvait résoudre le problème du mal, de la nature pécheresse de l'homme, il n'était pas besoin d'attendre si longtemps pour l'envoyer sauver les hommes, pas besoin de toute l'histoire de l'Ancien Testament pour sortir l'homme de l'ignorance où l’avait plongé la chute, lui faire découvrir pas à pas la nature de Dieu, l'enseigner sur la réalité du bien et du mal, pas besoin de l'esclavage en Egypte, de la loi reçue au Mont Sinaï, d'exil à Babylone puis des dominations étrangères pour punir Israël de ses crimes, son injustice et idolâtrie.
Bien sûr, Jésus, selon la théologie chrétienne comme selon les évangiles, n’est pas un homme quelconque mais le fils de Dieu. « Tu es mon fils bien aimé objet de toute mon affection » dit une voix tombée du ciel dans Luc 3 : 22, ce qui est répété lors de l’épisode de la transfiguration (Matt. 17 : 5). Il parle de son Père dans les Cieux d'une façon unique et personnelle qui surprenait ses contemporains et choquait les pharisiens et prêtres qui y voyaient une forme de blasphème.
Mais ce titre de fils de Dieu comme pour Adam qui parlait librement avec Dieu et les anges avant la chute, ne lui retire pas son humanité.
Frères et sœurs de Jésus, dogmes mariaux
Parmi les dogmes développés au fil des siècles qui ont eu tendance à accentuer l’aspect divin de Jésus au détriment de son humanité, on a en particulier le dogme de la naissance virginale.
Pourtant, ce dogme n’est pas reconnu dans ce qui est un des passages les plus anciens du Nouveau Testament daté de 52-54 concernant la naissance de Jésus, la lettre aux Galates. Ainsi, Paul écrit « Lorsqu’est venu la plénitude des temps, Dieu a envoyé son fils, né d’une femme (dans le texte grec « Gynée » et non parthénos vierge) et soumis à la loi de Moïse (Ga 4 : 4).
A plusieurs reprises, les évangiles et les Actes des apôtres parlent des frères et sœurs de Jésus, l’un d’entre eux, Jacques prenant après la résurrection la position de chef de l’Eglise de Jérusalem. Certains ont dit que ces termes de frères et sœurs correspondait à une compréhension élargie de la famille, les auteurs employant le terme de frères et sœur à la place de cousins. Mais pour la plupart des théologiens cette explication ne tient pas la route. En effet, Paul parlait le grec, allant jusqu’à prêcher à Athènes et ses épîtres sont en grec. Or il utilise le terme cousin (anepsios) quand il le faut. Ainsi il parle de Marc qui l’accompagne comme le cousin (anepsios) de Barnabé, un autre disciple mais utilise le terme frère (adelphos) pour Jacques (Gal. 1 :19), « le frère du Seigneur » et chef de l’église de Jérusalem qu’il considère avec Pierre et Jean comme l’un des « trois piliers » de l’église.
En araméen, il n’y a pas de distinction nette entre frère et cousin mais dans la Bible, s'il s'agit de cousins, on précise le degré de parenté en remontant aux ancêtres communs. Les textes du Nouveau Testament nous ont été transmis en grec par des personnes écrivant en grec, langue dont ils connaissaient les nuances, or c’est toujours le mot grec "adelphos" (frère) qui est utilisé à propos des frères de Jésus et non anepsios (cousin).
Marc mentionne l’existence des frères (adelphos) et sœurs de Jésus à propos de la visite de Jésus à Nazareth, expliquant qu’il ne put y faire de miracles à cause du manque de foi des habitants dans son village natal (Marc 6 :1-6).
D’autre part Matthieu (1,25) dit que « Joseph prit chez lui Marie mais ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté d’un fils auquel il donna le nom de Jésus », ce qui sous-entend qu’il la connut (au sens biblique) après et Luc (2, 7) parle de Jésus comme du « fils premier né » de Marie et non de son fils unique.
Par ailleurs, la conception de la virginité de Marie pourrait résulter d’un problème de traduction. En effet, Matthieu cite un verset d’Isaïe (7 :14) « Voici que la vierge sera enceinte d’un fils », tiré de la traduction grecque dite des Septante de la Bible alors que le texte original en hébreux utilise le mot « almah » ou jeune femme qui a été traduit par parthenos ou vierge dans la version des Septante.
Bien sûr, cette mise en cause du dogme de « Marie toujours vierge » ne diminue en rien la grandeur de Marie. Elle a été cette jeune fille pleine de foi et de courage qui lors de sa visitation à sa cousine Elisabeth affirme avec force les versets révolutionnaires du Magnificat (Luc 1 : 46-55) et n’hésite pas à risquer sa vie en bravant l’opinion publique et les normes sociales pour accomplir la volonté de Dieu.
Par la suite, les dogmes sur Marie se sont développés, en particulier au sein de l’église catholique, allant de celui ancien de son assomption (ascension au ciel avec son corps physique) à la proclamation de « la conception immaculée » en 1854, idée que l’on ne retrouve nulle part dans la Bible, le développement de ces dogmes allant de pair avec un renforcement de l’autorité papale.
Retrouver le sens du message de Jésus
Il ne s’agit pas dans cet article de faire un étalage de connaissances théologiques, forcément limitées d’une façon ou d’une autre, mais plutôt de réfléchir à ce qui fait le centre de gravité du Christianisme et voir ce qui le menace.
On peut se dire qu’après tout, les gens croient à ce qu’ils veulent, l’important n’étant pas forcément d’avoir le bon credo mais de bien vivre. Que l’on soit protestant, catholique ou orthodoxe, sans compter tous les différents courants au sein de ces grandes confessions, on peut toujours mettre en pratique l’amour de Dieu et du prochain ains que d’autres enseignements du Nouveau Testament et c’est sans doute là l’essentiel.
Toutefois, si l’on insiste trop sur la divinité de Jésus, en faisant une sorte d’être mi-Dieu mi-homme, on risque d’en donner une image qui l’éloigne des hommes ordinaires, ce qui n’est certainement pas le désir du fondateur du Christianisme.
La divinisation d’un fondateur de religion comporte un danger, c’est la récupération de cette divinisation par une institution religieuse servant de médiateur entre le divin et le peuple par le biais de cérémonies ou mystères et la distinction entre religieux et laïcs, ceci allant avec le sentiment que le chemin de vie que ce fondateur propose n’est pas pour tout le monde mais une élite de religieux ou religieuses respectant des règles comme le célibat ou le vœux de pauvreté qui les éloigne de la vie commune.
Or Jésus s’adressant aux foules leur déclarait « Prenez sur vous mon joug, et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau léger » (Matt. 11 :28-30). C’est un message adressé au commun des mortels, chaque homme a besoin de trouver le repos de l’âme et non une minorité de religieux.
Bien sûr, il est normal que les chrétiens, pour transmettre le message de Jésus dans le monde, créent des organisations éducatives, caritatives, sociales ou politiques et au sein de ces organisations, il est nécessaire d’avoir une certaine hiérarchie. Un professeur dans une école n’est pas sur le même plan qu’un élève. Mais que seul un prêtre de sexe masculin puisse célébrer une communion ou confesser ou autres cérémonies y compris dans certains cas prononcer un sermon ne semble ne pas correspondre au message originel du Christ qui avait déclaré aux principaux sacrificateurs et anciens de son temps que les prostituées entreraient avant eux dans le Royaume de Dieu (Matt. 21 :31).
Le pape François a à plusieurs reprises souligné le danger du « cléricalisme » et appelé à un engagement de tous les chrétiens à travers des synodes ou autres.
Bien sûr, on peut critiquer François pour ses prises de position sur des sujets à la mode comme le réchauffement climatique ou la vaccination contre le Covid. Ainsi pour lui, cette vaccination n’était rien moins qu’un « geste d’amour » vis-à-vis des autres. On pourrait lui répondre qu’avec un vaccin qui ne protège ni contre l’infection, ni contre la transmission, ce geste d’amour perd beaucoup de sa valeur ou, concernant le réchauffement climatique, que le rôle du CO2 dans ce réchauffement est loin d’être précisément connu.
Mais après tout, le pape n’est pas supposé être un expert scientifique, il est limité comme tout un chacun et par contre son appel à l’engagement de chaque chrétien pour sortir du cléricalisme, une conception traditionnelle de la théologie et de l’église comme une organisation hiérarchique, et ainsi mieux vivre l’évangile dans notre monde est sûrement une bonne chose.
Concluant sa conférence sur « L’affaire Jésus » dans laquelle il se montre critique vis-à-vis de la théologie traditionnelle et quelque peu fasciné par le personnage de Jésus et son enseignement, l’historien Henri Guillemin déclare que « Le Christianisme est une proposition qui est faite en permanence à ce que Shakespeare appelait le cœur de notre cœur ». Cette idée a besoin d’être développée mais il y a là un bon point de départ.
[1] Bien sûr la question du péché originel et de l’existence même d’Adam et Eve a été remise en question par la théorie de l’évolution au 19ème siècle. Ainsi un théologien scientifique comme Pierre Teilhard de Chardin voyait l’homme progressant au cours de l’évolution vers un « point oméga » où il serait pleinement à l’image de son créateur. Mais cet article se place dans la perspective classique du péché originel et du salut qui est toujours celle de l’église catholique comme de la plupart des églises chrétiennes. Par par ailleurs, j’ai écrit un article sur le thème de l’évolution dans Agoravox (voir : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/evolution-creation-et-droits-de-l-178440)
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