La BIBLE : Le poids de L’IMAGINAIRE - ( Partie III )
Cet Article propose d'explorer les douloureuses difficultés rencontrées en Pays de Canaan, et d'aborder les orientations et démarches qui ont été imaginées pour sortir de l'ornière.
Il s'agit d'une démarche théologique initialement respectable qui a fini par être détournée-exploitée vers des finalités qui ne l'étaient pas. (84) Ainsi, sur le petit territoire Perse de Yehud, l'ère de post-vérité commencera quand le Politique mettra en œuvre une propagande (qui s'appuie sur une infox pseudo-Théologique) préparée en vue de frayer un passage pour ses plans de domination en Yehud et au-delà. (ces derniers aspects sont analysés en (84 D) )
Le Temps en vint à bout - (Photo JPCiron)
Tout le Croissant Fertile (du Nil à l'Euphrate au Golfe Persique) a été, durant des millénaires, un lieu de passages et d'échanges commerciaux, culturels, spirituels, militaires. Et, durant le dernier millénaire avant JC, il n'est pas une ville qui n'ait pas été sous le contrôle de divers Empires ou puissances. Jérusalem est une de celles qui a été 'comblée', de ce point de vue : Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses ; Grecs , Séleucides, Romains, Arabes, Croisés, Mamelouks, Ottomans, ...
Cet Article fait suite à :
« La BIBLE : USURPATIONS et Emprunts » - ( Partie II )
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-bible-usurpations-et-emprunts-257093
Voici le plan de l'Article :
>> La douloureuse histoire
des Cananéens des temps Bibliques <<
> L'apparition des Proto-Israélites
> Les Israélites et leurs dieux
> Le déferlement des empires en Canaan :
Assyriens > Babyloniens > Perses
> La ''Guerre Sainte'', un concept éternel
>> Le fabuleux récit Biblique
''fabriqué'' durant l'Exil à Babylone <<
> Crise d'identité des Judéens ?
> L' Analyse des savants, et leurs conclusions.
> La pseudo-découverte du Livre de la Loi
par le Roi Josias (vers 630 av. JC)
>>> LA DOULOUREUSE HISTOIRE
DES CANANÉENS DES TEMPS BIBLIQUES <<<
L'agriculture commence huit à dix mille ans avant JC. Après ''l’événement climatique'' intervenu vers 6200 av. JC (avec une fort longue période de refroidissement), l'agriculture se réinstalle. Cependant, au Levant, la limite entre zones arides et zones à précipitations satisfaisantes fluctue d'une année à l'autre. Ces fluctuations étaient inexplicables aux populations d'alors, qui se sont créé des divinités atmosphériques qui devaient être adorées ou apaisées. Baal est un dieu considérable au Levant sans doute depuis le III millénaire av. JC. Baal étant un des 70 enfants d'une grande famille divine cananéenne...
Hyksos signifie ''chefs étrangers'' (et non ''rois-pasteurs''). C'était un groupe pluriethnique, principalement originaires de la région syro-palestine, arrivés par vagues dans le delta du Nil vers 1900 - 1700 av. JC.. Ils formèrent la XV dynastie égyptienne, installés à l'Est du Delta et en moyenne Égypte. Leurs dieux étaient initialement typiquement cananéens, mais se ''mixèrent'' sur place avec ceux égyptiens. Les Hyksos furent expulsés d’Égypte, vers 1500, en direction de Canaan. (note : les sacrifices humains qu'ils avaient importés furent alors illico interdits côté égyptien). Flavius Josèphe cite Manéthon (III s av. JC) qui relate qu'après leur expulsion, les Hyksos ont fondé Jérusalem. Cette information ne fait pas partie des récits sur les origines retenus dans la Bible pour identifier les ''proto-Israélites''.
Ramsès II offrant du vin à Seth-Baal.
Seth a ses attributs de dieu égyptien : signe de vie + sceptre de puissance
Mais il n'a pas la tête traditionnelle de ''l'animal de Seth'' (longues oreilles)
A la place, une tête de cananéen, avec la tiare à cornes et ruban typique de Baal.
(la stèle indique bien que les noms de ces deux personnages)
(Stèle des 400 ans) - https://fr.wikipedia.org/wiki/Seth
Les divinités Cananéennes étaient donc bien implantées en Judée, comme l'atteste aussi l'archéologie, et comme le confirme la Bible. Du temps de Ramsès II, Baal est même parvenu à être intégré-assimilé à Seth, l'antédiluvien dieu égyptien.
> L' APPARITION DES ''PROTO-ISRAÉLITES''
La Bible nous propose deux mythes pour expliquer ''l'apparition'' des israélites en pays de Canaan. Tout d'abord, le plus ancien, typique des sociétés tribales, basé sur la généalogie de Jacob (Genèse 25-35). Ensuite celui de l'épopée de Moïse, mis en avant par des prophètes fondamentalistes qui prônent un idéal religieux. Au final le second mythe s'est accolé sur le premier, grâce à la ''dissolution'' de la descendance de Moïse dans la tribu de Lévi (1Chro 23:14-24).
En fait, les ''Hautes Terres'', près du Jourdain, ont fait l'objet de plusieurs vagues de peuplement :
Une ''première'' à partir de 3500 av JC, suivie d'abandon progressif (2200 - 2000). Puis nouvelle vague à partir de 2000 suivi d'un nouvel abandon (1500 – 1200). La vague suivante a commencé vers 1200. Dans cette nouvelle strate archéologique, on observe que le plan de construction de nombre d'habitations était ovale, ce qui suggère une tradition nomade. Une partie de cette population aurait donc une origine nomade.
On parle là d'une population des hautes terres qui serait passée de 10-12000 âmes (30 sites) vers 1200 av JC, à 45-75000 habitants en hautes terres (250 sites) vers 1000 av JC. (ref. Israël Finkelstein)
Notons que l'absence d'os de porc dans nombre de fouilles n'est pas uniquement explicable par des raisons religieuses, loin de là. Il y a aussi les contraintes de l'élevage dans le milieu, etc. Cependant, certains ont voulu voir là la ''marque'' d'un ''peuple'' de proto-Israélites qui se serait installé là à cette époque, venant d'on ne sait où.
1200 av. JC, c'est l'époque de l'arrivée-invasion des ''peuples de la mer'' sur la côte méditerranéenne au Levant, qui ont eu un fort impact en Canaan : abandon de certains sites côtiers au profit des plus hautes terres et, simultanément, accroissement de la population côtière. Globalement, la population en Canaan s'accroît significativement. Le nombre de divinités présentes augmente aussi.
La partie de population Cananéenne qui se retrouve dans les hautes terres provient donc de groupes disparates qui s'installent dans des petites unités autonomes, dont une partie formera progressivement des villages puis des villes.
Les archéologues ont retrouvé des objets de culte sur cette période dite ''proto-israélite'' : ce sont des déesses de la fertilité, des représentations animales de divinités, et l'incontournable Ashéra, épouse du Grand Dieu Cananéen El, mère de 70 enfants divins, dont Baal et son symbole = le taureau. Yahvé n'apparaîtra que bien plus tard, d'abord fort modestement, ponctuellement, à Teman (Edom), Éléphantine (Égypte), Shomron (Samarie), Idumée (dont la position en fin de route caravanière vers Gaza a pu favoriser l'arrivée de quelques adeptes de Yahvé en provenance d'Arabie).
Il est donc très clair que ces ''proto-israélites'' n'avaient pas de religions autres que celles du Pays de Canaan de l'époque.
La recherche archéologique semble avoir établi que l'émergence éventuelle des proto-Israélites résulterait d'une évolution interne de la société cananéenne.
Et la génétique confirme : l'étude, publiée dans ''Cell'' montre que les migrants des lointaines montagnes du Caucase se sont mêlés aux populations natives pour forger la singulière culture cananéenne qui a dominé la région entre l'Égypte et la Mésopotamie pendant l'âge du bronze (environ 3000 avant J.-C. à 1200 avant J.-C.). » (76)
« Sur la base des études disponibles, il semble que les Palestiniens modernes et les Juifs orientaux (mizrahim) soient les plus proches génétiquement des anciens Hébreux » (77)
> LES ISRAÉLITES ET LEURS DIEUX
On sait par la Bible que les pères d' Abram servaient d'autres dieux (Josué 24:2).
Après que l’Éternel eut tué l'enfant né de l'adultère de David, ce dernier se rendit au Temple pour se prosterner (2Samuel 12:20). Plus tard, la femme de David enfanta Salomon, et l’Éternel décida que ce sera Salomon qui fera construire son Temple (1Rois 8 :17-19). La Bible nous dit donc -en creux- que David s'est bien prosterné dans le Temple de Baal, le seul Temple d'alors, qui est, encore de nos jours, présenté comme le ''Premier Temple'' de la tradition israélite.
La période des règnes de David & Salomon (1010 – 930 ?) est très particulière car, historiquement, on n'en sait-pas grand chose. Sauf par les récits de la Bible qui nous dit que la coutume pour le peuple de servir d'autres dieux s'est tranquillement perpétuée à travers les siècles. Ainsi, Salomon suivait d'autres divinités : Astarté, Milcom, Kemosh, Moloc,... (1Rois 11 : 5-7).
Plus tard, Jérémie avait constaté que le peuple suivait toujours Baal et d'autres divinités , tant en Israël qu'en Juda, et il avançait l'idée de la prochaine venue d'un temps des malheurs (Jérémie 11). Ces malheurs viendront effectivement.
Ce n'est que trois siècles après Salomon, en Judée, que le roi Josias ordonnait (2Rois 23 : 4-14) de sortir du Temple tous les ustensiles faits pour Baal, pour Astarté, pour les dieux Soleil et Lune, et pour l'armée des cieux ; il chassa aussi les prêtres de Baal ; il abattit les maisons des prostitués qui étaient dans le Temple ; il fit que personne ne fasse plus passer son fils ou sa fille par le feu en l'honneur de Moloc, et il brûla l'idole de Astarté.
Jérémie s'était lamenté qu'Israël avait abandonné l’Éternel (Jérémie 2 : 1-37). Esaïe dénonçait la ''race du mensonge'' qui suivait toujours d'autres divinités (Esaïe 57 : 3-11).
La Bible témoigne donc que, comme l'archéologie, et ce depuis toujours, le peuple a suivi une variété de divinités et que l’Éternel était quasi ''abandonné''. Ou bien n'a-t-il simplement jamais été suivi en masse par les peuples de Judée-Samarie, jusqu'à ce qu'il soit (rétroactivement) ''introduit'' plus largement par les textes travaillés durant l'Exil à Babylone, qui seront plus tard regroupés dans la Septante grecque par un roi égyptien.
> LE DÉFERLEMENT DES EMPIRES en Canaan.
Historiquement, rappeler que « Jérusalem demeura indépendante, non soumise aux rois séleucides (…) jusqu 'à l'apparition des chefs romains en Palestine (...), c'est signaler, d'une façon très claire et tout à fait conforme à l'histoire, cette période d'une centaine d'années (de 164 à 63) où Jérusalem fut la capitale d'un pays libre. » (64)
Après la période initiale David-Salomon, trois Empires prennent successivement position dans le Croissant Fertile. Ce sont les Assyriens (930>), les Babyloniens (625 >), puis les Perses (525 >). A ce propos, regarder les intéressantes cartes de e-talmud.com (lien en (79) )
Notons en passant leur affirmation : « En l’an 70, les Romains détruisent Jérusalem et le second Temple. Tous les Juifs sont exilés et dispersés à travers l’empire romain. » Ceci est un mythe tenace. En réalité, les Romains ont expulsés les Juifs de Jérusalem. Ces derniers se sont donc retrouvés dispersés en Palestine. Aucun document romain ou autre n'atteste une dispersion romaine dans l'empire.
« Dès l’époque perse existent deux diasporas importantes : celle de Babylone (...) et une diaspora égyptienne dont les origines remontent peut-être à la fin du VIII siècle, après la destruction du royaume d’Israël par les Assyriens. Ces deux lieux furent des centres économiques et intellectuels importants du judaïsme ancien. » (80) L'essentiel du reste de la diaspora ne provient pas d'exils imposés.
Il n'en demeure pas moins que, comme pour bien d'autres cités du Croissant Fertile, Jérusalem et Samarie ont durement souffert du déferlement des empires.
> Samarie / Assyriens (734 >>)
« Les rois assyriens savaient où se trouvaient les territoires intéressants à contrôler et qu'on exploitait mais sans les pousser jamais à la ruine (…) Par contre, les territoires qui ne présentaient pas d'intérêt économique (Est Anatolien,...), ou qui manifestaient une trop forte tendance à la rébellion (...) furent l'objet d'une politique de neutralisation et de terreur, par le biais de destructions et de déportations massives de leurs populations. » (78) Ce qui constituait aussi , ''diplomatiquement'', un avertissement, pour les autres contrées.
En 734, les parties Nord, Est et Ouest de la Samarie sont conquises par les Assyriens. La capitale Samarie résiste. Elle tombera en 722 (Sargon II), avec le reste du royaume. La Samarie est alors découpée en quatre provinces assyriennes.
Sargon II enrôle les corps complets de l'armée des vaincus samaritains : charrerie, cavalerie, etc. (Ref. : S. Dalley, ''Foreign Chariotry and Cavalry in the Armies of Tiglath-pileser III and Sargon II''). Ces troupes suivent alors un destin ''assyrien''.
« En -722, le royaume du Nord est détruit et sa population entièrement exilée. C’est ainsi que dix tribus d’Israël ont définitivement été perdues : il n’est plus resté que les tribus de Juda et de Benjamin qui vivaient dans le royaume du Sud. » (79) (e-Talmud)
Les archives assyriennes indiquent que, sous Sargon II, nombre de tribus Arabes de remplacement furent déportées en Samarie, vers 715 : « Les Tamoudes, Ibadides, Marsimans, Khayapa, Arabes lointains du désert » (51)
Il n'est pas étonnant que les Judéens considèrent dès lors les ''nouveaux Samaritains'' comme des gens d'autres nations, venus avec leurs propres dieux (2Rois 17:24-33). Des étrangers donc.
> Judée / Babyloniens (626 >> )
Les invasions Babyloniennes (de 597 et 587/586 av. JC) « produisirent sans aucun doute une crise majeure de l’identité collective judéenne. Étant donnés l’importance des destructions et des mouvements de population, cette crise est bien réelle. » En effet, « les piliers traditionnels, supportant la cohérence idéologique et politique d’un État monarchique dans le Proche-Orient ancien, s’étaient écroulés. Le roi avait été déporté, le temple détruit et l’intégrité géographique de Juda pulvérisée du fait des déportations et émigrations volontaires. L’écriture fut alors l’un des moyens de reforger l’identité judéenne. » (73) (Thomas Römer)
Notons que l'exil à Babylone ne concerne que les élites judéennes. Et elles y ont été traitées correctement. D'ailleurs, la plupart s'y établirent.
> Perses / Judéens ( 539 >> 332)
« Les Achéménides ne pratiquaient pas de déportations, mais permettaient aux populations exilées le retour dans leurs pays respectifs et favorisaient même la reconstruction des sanctuaires détruits par les Babyloniens. (…) Un texte comme Esdras 7 semble même suggérer qu’ils considéraient les divinités des autres peuples comme des manifestations locales [imparfaites] du grand dieu Ahura-Mazda. » (80)
La plupart des exilés à Babylone ont préféré y rester plutôt que de ''retourner'' en Yehud.
Après le retour d'exil, Jérusalem a bénéficié d'une autonomie relative sous l'Empire perse, qui nomme ses fonctionnaires israélites de confiance (comme Zorobabel et Néhémie) aux postes de gouverneurs de la province Perse de Yehud.
> LA ''GUERRE SAINTE'', un concept devenu éternel
Dans son ouvrage ''Guerre et Paix en Assyrie'', (74) Mario Fales souligne que, dans la palette d'outils permettant le règlement des rapports à l'inter-national, figuraient les alliances et les paix négociées, mais aussi la guerre... et le sous-titre de l'ouvrage (''Religion et Impérialisme'') précise explicitement les ambitions politico-religieuses assyriennes. Bien d'autres nations antiques et modernes se sont depuis inspirées des idées novatrices de l'Assyrie, en les adaptant.
« La « guerre sainte » des Assyriens (...) est celle du peuple, comme le culte d’Assur est un culte de la collectivité nationale ; la « guerre sainte » en Assyrie est finalement une manifestation religieuse de l’adhésion à la politique impérialiste du peuple assyrien, personnifié par son monarque terrestre. » (…) « Mais, [individuellement] dans son espace domestique, tout Assyrien semble avoir été, en général, libre d’adopter les croyances traditionnelles de sa famille ou de sa lignée, de s’adonner à des cultes particuliers et domestiques, y compris à ses ancêtres divinisés. » (74)
Les peuples soumis pouvaient aussi continuer à pratiquer leur culte traditionnel. En effet, il était considéré que la défaite était toujours préalablement convenue entre Assur et le dieu local (pour quelque motif imputable au peuple à soumettre), et la défaite était censée être administrée par le dieu local lui-même (la Bible témoigne de la pratique en 2Rois 18). Lequel dieu local était donc reconnu par les Assyriens, restait en place, avec (souvent, pas toujours) ses temples et représentations, en vue du temps de la ''paix assyrienne'' (et de la nécessaire stabilité locale) à venir.
Avant toute chose, il est clair à chacun que, dans une guerre ''Sainte'', tout est ''Saint'' : l'engagement de l'Entité Supérieure (le dieu Assur), le représentant sur terre de cette Entité (le roi assyrien), sa stratégie, son armée, ses armes, ses soldats, les actions des soldats, y compris leurs éventuelles violences inhumaines.
Durant le temps de guerre, l'Entité Supérieure, via son représentant terrestre, assure à tous les participants un soutien total et permanent, qui prime sur toutes les divinités/ sensibilités des parties en présence. Et ceci, « Jusqu'à l'épisode final : la victoire. C'est la sanction divine qui fait de la guerre une action juste et inévitable. Elle est légitime et ''juste'' parce qu'elle est ''Sainte''. » (74)
On notera que le concept moderne de ''fait accompli'' reflète la même logique de guerre assyrienne : le fait accompli est censé être là par la volonté divine, ce qui justifierait à postériori tout le processus qui a généré ledit fait accompli (lequel comprend toutes les actions de toutes natures qui font partie du long processus).
Cette partie ''opérationnelle'' semble plutôt exclusiviste car le sort de l'ennemi désigné est finalement sans importance. Après la guerre sainte, qui ne peut qu'être victorieuse pour Assur, vient le temps de la paix (aux termes des pactes et serments de fidélité qui étaient alors conclus) et la justice était garantie pour tous, y compris donc pour les peuples soumis. En cela, on peut voir un trait de finalité clairement universaliste pour « un pouvoir unique et universel ayant pour vocation de gérer le monde. » (75)
L'adaptation moderne de l'approche Assyrienne est facile, par exemple en remplaçant Assur par un autre dieu (ou même par un concept comme ''le Bien'' ou ''la Providence''). Et n'importe quel leader politique puissant peut se constituer Grand Défenseur du Bien. Le risque dans les Républiques démocratiques, c'est d'élire un Président pour des motifs ayant principalement trait, par exemple, à l'économie, et de se retrouver avec un Président ayant comme Domaine Réservé les armées et les relations internationales : un saut dans l'inconnu ! Avec, en pratique, les actions des soldats (les leurs, ceux de leurs alliés, ceux de la partie adverse) qui pourraient se faire avec l'idée de totale impunité, comme en ''guerre sainte''. Globalement, un recul de 3000 ans ! Alléluia !
Evocation florale de l'idée de ''ver dans le fruit'' (Photo JPCiron)
« Je ne les ai point envoyés, dit l'Éternel, et
ils prophétisent le mensonge en mon nom »
(Jérémie 27:15)
LES FABULEUX RÉCITS BIBLIQUES
''FABRIQUÉS'' DURANT L' EXIL A BABYLONE
L’Exil sera un choc et une remise en question des piliers de la société judéenne. Cette « crise d’identité va devenir le point de départ pour une nouvelle trajectoire ». (51) Avec une préparation qui nécessitera une paire de siècles, essentiellement réalisée à Babylone par la confrontation-combinaison de différentes visions/ courants/ sensibilités.
> CRISE D'IDENTITÉ DES JUDÉENS
Nos habitants de Judée (quelles que soient les origines de leurs pères), on vu, siècle après siècle, tous les mastodontes de la région venir et prendre possession du pays. Ils se sont donc factuellement trouvés, siècle après siècle, successivement soumis aux Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses. Ils assuraient directement la gestion de leurs différents locaux avec leurs voisins immédiats, à travers leurs Rois du moment. Lesquels faisaient leur affaire de la relation avec les Dieux (via les prêtres).
D'un coup : plus de Roi ! Les élites éduquées (forgeron, serrurier, scribe, prêtre, roi, … etc) sont coupées du peuple qui, déjà, tâtait d'un peu toutes les divinités du coin.
Dans ce fatras, comment (re ?) constituer une identité Judéenne ?
La première idée (novatrice & géniale) des prêtres fut, en l'absence d'un roi, d'imaginer un lien direct du divin avec ''le peuple''. Ce sera le personnage de Moïse.
Mais comment faire pour obtenir l'adhésion d'une population qui pratique une variété de cultes (encadrés par les prêtres d'une variété de sectes) et qui sont attachés à leur déesse de la fertilité ? Sans doute une tâche titanesque ! Il vint aux prêtre une autre idée novatrice : c'est le divin qui aura choisi le peuple qui le vénérera !
Et il y a potentiellement là un problème pratique de mise en oeuvre... La solution choisie est claire : il faudra user d'autorité (on va voir comment plus loin) et expliquer que ce sont les ancêtres du peuple qui avaient été choisis mais que, peu à peu, avec les générations, le peuple choisi s'était détaché de son Culte. Il suffirait donc de les faire ''revenir'' au culte d'autrefois (qui restait alors à inventer...)
Quel culte ? En Samarie, tout le peuple avait été déplacé-perdu, et les populations Arabes de remplacement étaient arrivées avec leurs dieux. En Judée, le peuple suivait les divinités traditionnelles Cananéennes (Baal & Co) plus la ''religion des femmes'' avec Ashéra. Bien sûr, Yahvé était déjà arrivé ponctuellement en Canaan, venant du Sud Arabique (Hijaz). Il était suivi par quelques élites et était parfois suivi par des populations nouvelles arrivées en Idumée & Gaza (point d'arrivée des routes caravanières venant du Sud arabique).
D'un point de vue de stratégie religieuse, le choix n'était pas si difficile : En Canaan, il y avait pléthore de prêtres déjà en place et formés aux divinités traditionnelles de Canaan. Une option était que les futurs ex-exilés à Babylone travaillent à ''convaincre'' les structures religieuses en place de leur passer les manettes.... Alternativement, Yahvé était la solution qui permettait de plus facilement prendre le contrôle des aspects religieux en Yehud (et au-delà). D'autant plus que la force sera avec les ex-exilés qui devaient arriver en Yehud investis par le Roi Perse, alors Maître des lieux.
Restait le problème que, si le nom de Yahvé était ponctuellement connu au Sud, par contre, il y avait plusieurs Yahvé !! J'explique un peu plus loin comment le problème a été résolu. En outre, Yahvé n'avait pas d' "Etats de Service" en Canaan. Il devait donc arriver auréolé d'exploits fabuleux : ce sera le récit la Sortie d' Egypte, etc.
Avec la diversité théologique et ethnique qui ''habitait'' la Judée, comment faire coller tout cela ensemble pour former ''un'' peuple à partir d'un agrégat de diversités ? Cela aussi c'est une approche brillante des prêtres qui ont inventé les Hébreux. (82) En effet, les Hébreux, que (de nos jours) l'on cherchait partout, sont d’abord apparus dans la Bible. Mais là n'est pas le plus fort : les prêtres ont inventé ce que l'on appellerait aujourd'hui une ''stratégie marketing'' pour créer-fabriquer les ''briques'' qui, une fois assemblées, feront naître un sentiment d'appartenance nationale. Ces ''briques'' sont ces six ingrédients essentiels : un nom, une origine mythique commune, une mémoire mythique d'un passé commun, un sentiment de Culture spécifique commune, une patrie territoriale, un sens de solidarité nationale (le prochain). (83) (82)
L'exigence d'endogamie et les particularités alimentaires et autres, complètent l'oeuvre. Je dis l'oeuvre, car, avec le temps, au final, ces prêtres d'autrefois ont créé ce sentiment de "peuple". (82)
> L' ANALYSE DES SAVANTS, ET LEURS CONCLUSIONS.
« L’écriture, joue un rôle essentiel pour donner de nouveaux modèles interprétatifs de l’histoire du peuple judéen. C’est à cet effet également que s’applique l’histoire deutéronomiste, qui veut montrer que la chute de Jérusalem ne signifiait pas que les dieux babyloniens avaient vaincu le dieu national de Juda. Les événements de 597 et 587 ne pouvaient être expliqués que si la colère de Yhwh était l’agent de l’effondrement de Juda. Si Yhwh avait utilisé le roi de Babylone et ses dieux, cela signifiait aussi qu’il les contrôlait, qu’ils étaient ses outils. Or cette idée prépare le chemin vers des affirmations assez clairement « monothéistes » qui se trouvent dans les dernières retouches de l’histoire deutéronomiste. » (73) (Thomas Römer)
On note aussi que cette idée de contrôle du ''Roi des Dieux'' sur les autres dieux est une reprise des concepts liés à la ''Guerre Sainte'' Assyrienne, vue plus haut.
« L’unicité du dieu Yhwh est développée en Dt 6,4-5, qui s’inspire en grande partie des traités de vassalité assyriens, qui obligeaient les vassaux du grand roi assyrien à aimer leur suzerain. D’autres passages du Deutéronome (Dt 13 et Dt 28) s’inspirent de ces traités, en particulier le serment de loyauté d’Assarhaddon (672). » (73)
« La politique plus libérale des Perses favorise un retour des déportés en plusieurs étapes et au fil des édits (fictifs ou réels) sur près d’un siècle (539 à 445 av. J.-C.). » (…) « Une toute première vague, qui pourrait avoir eu lieu dès le début du règne de Cyrus (dont l’édit est une fiction), est mue par un esprit conciliant envers les autochtones. » (81)
Cet esprit conciliant correspond à la Promesse Biblique Originelle faite à Abram, qui ne fait aucunement mention d'une possession exclusive de la Terre Promise. (72) Mais, comme le relève Philippe Hugo (Univ. Fribourg/ Suisse) (81) dans son compte-rendu, « les partisans d’une ligne plus dure formulent le mythe de la sortie d’Égypte et de la rentrée en Canaan : c’est ''l’invention de la conquête'' militaire de Josué et de la ''guerre sainte.'' »
En parallèle, les descendances ''indésirables'' d'Abraham sont écartées. (72) P. Hugo souligne qu'en même temps, les partisans de la restauration s'activent et produisent les récits de la royauté de David et de Salomon et ''l’invention du royaume uni.'' »
Et l’autorité croissante de la mouvance sacerdotale conduira aux récits de « l’invention du temple de Salomon », de « l’invention de la Loi », du mythe de Moïse et du Sinaï, de la ligne dure d’exclusion du « peuple de la terre » (81) (ce peuple-là est celui que l'exil des élites a abandonné sur place à son sort, en Judée, dans ''les ruines'').
Ces conclusions sont largement établies pour toujours plus de théologiens et de chercheurs. « Des érudits de la Bible (...) ont affirmé que l'histoire des Hébreux, comme série consécutive d’événements commençant avec Abraham, Isaac et Jacob, et se poursuivant par le passage en Égypte, l'esclavage et l'exode, et se concluant par la conquête de la terre et l'établissement des tribus d’Israël, n'était rien de plus que des reconstructions a posteriori d’événements, pour des raisons théologiques. » (7) (Haaretz)
Thomas Römer souligne en outre que « de nombreux chercheurs ont postulé qu’il y aurait eu une coalition de scribes et de prêtres qui voulaient intégrer dans la Torah le livre de Josué ». (Ce livre raconte la conquête du pays de Canaan, la destruction des populations indigènes et la répartition de la terre entre les tribus israélites. Il reflète l'esprit militaire Assyrien des VII-VI siècles.) L'intégration recréait le lien politico-religieux avec la terre.
« Le choix qui s'est imposé en faveur de l'édition du Pentateuque et non pas de l'Hexateuque reflète un enjeu religieux et politique profond [car] il dissocie la révélation de la Torah de la possession du pays. » (73)
Néanmoins, l' autre option n'était pas morte...
> LA PSEUDO-DÉCOUVERTE DU LIVRE DE LA LOI par le ROI JOSIAS (v. 630 av. JC)
Dans une note relative cette découverte, l'égyptologue Edouard Naville rapporte un usage original des Égyptiens antiques, dont il cite plusieurs exemples attestés en différentes périodes et régions d’Égypte : Quand un roi (ou personnage important) entrait en fonction, la coutume voulait qu'il procède à la réfection de constructions en mauvais état. Et les textes égyptiens racontent que, durant tel ou tel travaux de réparation entrepris par tel ou tel roi, avait été découvert un texte sacré. Ici, un texte sacré du Livre des Morts se trouvait inscrit en creux, peint en bleu, sur une brique d’albâtre, calée sous la statue de Thot : une merveille. Là, dans le mur Sud d'un édifice sacré, fut trouvé une peau de chèvre fort ancienne, sur laquelle était inscrite la ''Loi de Dendérah'' (ville de l'Égypte Antique). Etc
Naville mentionne plusieurs auteurs qui, voici donc plus d'un siècle, exprimaient l'idée que le texte ''trouvé'' par Josias était un faux. Certains soupçonnent Manassé, Grand prêtre du début du VII siècle. D'autres penchent pour Hilkija, le Grand Prêtre de Josias : « Pour arriver à la réforme désirée, il faut jouer le roi ; c'est à cela que sert le livre que l'on compose dans cette intention. » (71)
A mon sens, l'explication véritable est plus fourbe encore, comme je l'expliquais dans un autre Article. En effet, la découverte du Livre dans le sanctuaire de Jérusalem était un des points essentiels du plan des prêtres Judéens. Car à l'époque il y avait plusieurs YHWH (celui de Jérusalem, celui de Teman, celui de Shomron, celui d'Eléphantine,... ; certains avec épouse ; un avait aussi un fils), et il y avait donc plusieurs potentielles ''Maison de l’Éternel''. Et chacun avec ses propres prêtres spécifiques.
Pour imposer le contrôle Judéen des ex-exilés, sur tous les sites, il fallait établir-valider trois choses :
(Deut. 6:4) Écoute, Israël ! l'Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel.
(Deut. 12:5) Vous chercherez l’Éternel à sa demeure, et vous irez au lieu que l’Éternel, votre Dieu, choisira parmi toutes vos tribus pour y placer son nom.
(2Rois 22:8) J'ai trouvé le livre de la loi dans la maison de l'Éternel.
La chose est confirmée en (1Rois 11:13) … à cause de Jérusalem, que j'ai choisie.
Comme je disais au point 'K' de l'Article (72), ''l'affaire était dans le sac'' pour Jérusalem seule ''Maison de l’Éternel'', Centre Judéen du culte universel de Yahvé.
Durant l'Exil à Babylone (après donc l'époque de Josias), les prophètes ont donc utilisé l'artifice d' un ancien usage Égyptien grâce auquel ils firent d'une pierre trois coups : empêcher la multiplication des ''maisons de l’Éternel'' et maintenir le contrôle de l'ensemble, et cela depuis Jérusalem.
Jérusalem, au Centre du Monde Antique.
Artiste : Heinrich Bünting (1545 – 1606) – 1581 / Public Domain -
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1581_Bunting_clover_leaf_map.jpg?uselang=fr
https://commons.wikimedia.org/wiki/Commons:Copyright_tags/Country-specific_tags?uselang=fr
La (Partie IV) est à venir :
« La Bible : l'apparition-invention des HÉBREUX »
JPCiron
°°°°°°°°°°°°°°°° NOTES °°°°°°°°°°°°°°°°
….. (7) Article "Is the Bible a True Story ?"par Nir Hasson – Haaretz Magazine du 29 Octobre 1999 - 01 nov. 2017
(Ref. Biblical Archaeology Society )
..... (51) – Ouvrage « La Bible et l'invention de l'histoire » par Mario LIVERANI – Bayard – 2008
….. (64) - Dupont-Sommer André. Observations sur le Commentaire de Nahum découvert près de la mer Morte. In : Journal des savants, 1963, n° pp. 201-227 ; doi : https://doi.org/10.3406/jds.1963.1060 https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1963_num_4_1_1060
….. (71) – NAVILLE Édouard. La découverte de la loi sous le roi Josias. Une interprétation égyptienne d'un texte biblique. In : Mémoires de l'Institut national de France, tome 38, 2ᵉ partie, 1911. pp. 137-170 ; doi : https://doi.org/10.3406/minf.1911.1591 https://www.persee.fr/doc/minf_0398-3609_1911_num_38_2_1591
….. (72) – La Septante, bras religieux du Coup Politique en Yehud.
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/4-4-le-mythe-de-la-loi-de-dieu-la-246220
….. (73) Thomas Römer, « Naissance de la Bible - Anciennes et nouvelles hypothèses » - Milieux Bibliques - p. 521-544 Thomas Römer / Annuaire du Collège de France
https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.17279
https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/17279
….. (74) - Mario FALES, Frederick. Guerre et paix en Assyrie. Publications de l’École Pratique des Hautes Études, 2010, https://doi.org/10.4000/books.ephe.1777.
….. (75) - Grazia MASETTI-ROUAULT, Maria. « Avant-propos ». Guerre et paix en Assyrie, Publications de l’École Pratique des Hautes Études, 2010, https://doi.org/10.4000/books.ephe.1822
….. (76) - Article Alliance « Le patrimoine génétique des Cananéens survit chez les Arabes et Juifs » par Claudine DOUILLET – mai 2020
Basé sur étude génétique de ''Cell'' :
https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(20)30487-6
….. (77) – Libnanews – Qui sont les plus proches des israélites de l'Antiquité ?
…. (78) – JOANNÈS Francis. Assyriens, Babyloniens, Perses achéménides : la matrice impériale. In : Dialogues d'histoire ancienne. Supplément n°5, 2011. La notion d’empire dans les mondes antiques. Bilan historiographique. Journée de printemps de la SOPHAU - 29 mai 2010. pp. 27-47 ; doi : https://doi.org/10.3406/dha.2011.3492 ; https://www.persee.fr/doc/dha_2108-1433_2011_sup_5_1_3492 ;
….. (79) - E-Talmud / Israël sous la domination d'empires successifs
….. (80) - Préface de Thomas Römer au commentaire du livre d'Esther "Dix éclats d'étoile" de Jean-Paul Morley - Olivétan - 2024
….. (81) - Philippe HUGO, « Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire. Histoire ancienne d’Israël », Revue de l’histoire des religions - 2011
https://journals.openedition.org/rhr/7720
….. (82) – L'énigme des HÉBREUX : d'où viennent-ils ? Comment sont-ils apparus ?
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/etonnant/article/l-enigme-des-hebreux-d-ou-viennent-225205
….. (83) – Le PROCHAIN : un concept-clef qu éclipse le non-enviable sort du non-prochain
….. (84) « La Septante : bras religieux d'un coup politique en Yehud-Canaan »
(84 A) - Les étonnantes mues bibliques de fin d'époque Perse Achéménide
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/1-4-le-mythe-de-la-loi-de-dieu-246029
(84 B) - L'au-delà dans la Bible : l'apport des peuples non-sémitiques
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/2-4-le-mythe-de-la-loi-de-dieu-246036
(84 C) - L'énigme de l'absence d' Au-delà dans la Septante
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/3-4-le-mythe-de-la-loi-de-dieu-246219
((84 D) - La Septante : bras religieux du coup politique en Yehud-Canaan
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/4-4-le-mythe-de-la-loi-de-dieu-la-246220
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