La Cour Européenne des Droits de l’Homme exclut une religion / La liberté rabotée
Introduction
Liberté religieuse : la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) juge que le Pastafarisme ne relève pas de la liberté de religion.
Ainsi, le port de la passoire sur la tête n’est pas protégé comme signe religieux. C’est à ne rien comprendre, étant donné les pratiques des autres religions, reconnues comme telles et même dans certaines régions et Etats, reconnues comme religions officielles !
1. Un peu d’histoire
Bobby Henderson, fondateur du pastafarisme disait à propos de la religion : « Je n'ai aucun problème avec la religion. Ce qui me dérange, c'est la religion se posant en tant que science. S'il existe un dieu et qu'il est intelligent, alors je pense qu'il a le sens de l'humour ». Visiblement, la CEDH en a moins[1].
Rappelons que Hederson a fondé en 2005 le culte du pastafarisme, en réaction à la décision du comité d'éducation du Kansas (Etats-Unis) d'accorder autant de temps d'enseignement au créationnisme qu'à la théorie de l’évolution.
Il réclame alors que la théorie pastafarienne de l'origine du monde soit, elle aussi, enseignée au même titre que le créationnisme et la théorie de l'évolution.
Cette théorie affirme que le monde fut créé en une journée par le Monstre en spaghettis volant, qui y créa une montagne, puis un arbre et enfin un nain, voici cinq mille ans. Les dogmes du pastafarisme sont axés sur les références aux nouilles et aux pirates, et sur quelques parodies des théories créationnistes pour prouver leur bon droit.
Hederson est l'auteur de L'Évangile du Monstre en spaghettis volant, et a ouvert un site internet officiel pour son Eglise dans la foulée : « The Church of the Flying Spaghetti Monster / L’Eglise du Monstre en spaghettis volant »[2].
- Il s’agit d’une décision de la Quatrième Section de la CEDH, qui juge que le pastafarisme n’est pas une religion. Je me demande sur quelle base elle se réfère pour considérer les différentes théories définissant les religions reconnues comme telles et pas le pastafarisme.
2. La décision de la CEDH (extraits)
- Ci-après des extraits de la décision de la Cour, afin que chacun puisse se faire une idée propre sur la question[3]. La requête à propos du pastafarisme a été introduite par Mme Hermina Geertruida de Wilde (citoyenne néerlandaise), contre les Pays-Bas.
QUATRIEME SECTION
DECISION
Requête no. 9476/19
Hermina Geertruida DE WILDE
contre les Pays-Bas
LES FAITS
1. La requérante, Mme Hermina Geertruida de Wilde, est une ressortissante néerlandaise née en 1985 et résidant à Nimègue. Au moment des faits incriminés, elle était étudiante. Elle était représentée devant la Cour par Me D. Venema, juriste résidant à Wijchen.
A. Les circonstances
2. Les faits de la cause, tels que présentés par la requérante, peuvent être résumés comme suit.
3. La requérante est une soi-disant « pastafarienne », adepte de l'« Église du monstre en spaghettis volant » (paragraphes 20-33 ci-dessous). Sa position est que les préceptes de sa religion l'obligent à porter une passoire, un bol perforé d'un type plus généralement utilisé comme ustensile de cuisine, sur la tête en tout temps et partout sauf à la maison.
Après avoir épuisé tous les recours internes aux Pays-Bas et essuyé des refus de la part des autorités judiciaires de son pays, elle s’est adressée à la CEDH[4].
(b) Procédure judiciaire
(…)
La CEDH rappelle les faits :
2. L'« Église du monstre en spaghettis volant »
(a) Origines et enseignement
20. En 2005, le Kansas State Board of Education / Le Conseil d’Etat de l’Education du Kansas a fait connaître son intention d'ajouter la théorie du créationnisme au programme scolaire et à l’enseigner comme alternative à la théorie de l'évolution. Le créationnisme postule que l'existence et l'apparence de l'univers et des êtres vivants peuvent être plus facilement expliquées comme l'expression d'une intelligence surnaturelle plutôt que comme le résultat de processus aléatoires régis par les lois de la physique et de la sélection naturelle.
21. L'annonce du Kansas State Board of Education a incité un diplômé en physique, M. Bobby Henderson, à écrire une lettre ouverte suggérant que le créateur de l'univers était en fait un monstre en spaghettis volant et exigeant que la doctrine correspondante soit enseignée parallèlement aux théories de l'évolution et du créationnisme. La lettre, que M. Henderson a publiée sur Internet, a suscité beaucoup d'attention, en particulier dans les cercles universitaires et scientifiques critiques de la théorie du créationnisme. Une « Église du monstre en spaghettis volant » a émergé en conséquence.
22. Dans son incarnation actuelle, l'« Église du monstre en spaghettis volant » est un réseau libre sans organisation ni adhésion formelle. Ses adeptes s'appellent eux-mêmes « pastafariens » – un mot basé sur les mots « pasta » et « rastafari » (ce dernier désignant un adepte du rastafarisme, un mouvement religieux sans aucun lien avec l'« Eglise du monstre en spaghettis volant »).
23. La cosmologie pastafarienne stipule que l'univers a été créé par le monstre en spaghettis volant, qui a planté des preuves scientifiques (telles que des fossiles de dinosaures) capables de jeter le doute sur la conception créationniste, uniquement dans le but de confondre les croyants et de tester leur foi. On dit que les humains modernes descendent de « pirates » (et de leurs « filles ») plutôt que de « primates ». Le paradis, promis aux justes dans l'au-delà, abriterait des délices, notamment un « volcan à bière » et une « usine de strip-teaseuses » ; les pécheurs doivent être punis en enfer avec un travail subalterne au service des justes, de la bière éventée et des strip-teaseuses sexuellement peu attrayantes.
24. Les pastafariens peuvent se rassembler en portant des « habits de pirate » ou des déguisements inspirés des styles vestimentaires courants dans la région des Caraïbes aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec des accessoires tels que des cache-œil et des coutelas ; certains enfilent une passoire, un ustensile de cuisine utilisé entre autres pour égoutter l'eau des pâtes après ébullition, comme couvre-chef.
b) Écritures
25. Les écritures de l'« Église du monstre en spaghettis volant » sont L'Évangile du monstre en spaghettis volant et Le Canon souple.
J. L'Évangile du monstre en spaghettis volant
26. L'Évangile du monstre en spaghettis volant[5] est un livre publié commercialement par M. Henderson en 2006. Il développe les « croyances religieuses » et la critique de la théorie du créationnisme initialement énoncées dans la lettre ouverte de M. Henderson.
27. Entre autres choses, le monstre en spaghettis volant aurait donné dix exhortations gravées sur des tablettes de pierre à un prophète du nom de Capitaine Pirate Mosey au sommet d'une montagne sacrée ; cependant, le prophète laissa tomber et brisa deux des tablettes sur le chemin du retour et les exhortations correspondantes furent perdues. Les huit autres, connus sous le nom de huit « Je préfèrerais vraiment que vous ne le fassiez pas », seraient au cœur de l'enseignement de « L'Église du monstre en spaghettis volant ».
Les huit tablettes :
« Les huit tablettes : « Je préférerais vraiment que vous ne le fassiez pas »
1. Je préférerais vraiment que vous n'agissiez pas comme un cul béni. Si certaines personnes ne croient pas en moi, ce n'est pas grave. Vraiment, je ne suis pas si vaniteux. De plus, il ne s'agit pas d'eux, alors ne changez pas de sujet.
2. Je préférerais vraiment que vous n'utilisiez pas mon existence comme moyen d'opprimer, de soumettre, de punir, d'éviscérer et/ou, vous savez, d'être méchant avec les autres. Je n'exige pas de sacrifices et la pureté est pour l'eau potable, pas pour les gens.
3. Je préférerais vraiment que vous ne jugiez pas les gens pour leur apparence, ou leur façon de s’habiller, ou la façon dont ils parlent, ou, eh bien, comportez-vous simplement bien, d'accord ? Oh, et gardez ceci dans vos têtes épaisses : femme = personne. Homme = Personne. La même chose[6]. L'un n'est pas meilleur que l'autre, sauf si nous parlons de mode et je suis désolé, mais j'ai donné ça aux femmes et à certains gars qui connaissent la différence entre la couleur bleue sarcelle et le fuchsia.
4. Je préférerais vraiment que vous ne vous livriez pas à une conduite qui vous offense vous-mêmes, ou votre partenaire consentant, d'âge légal ET de maturité mentale. Quant à tous ceux qui pourraient s'y opposer, je pense que l'expression est Go F *** (allez vous faire …[7]) vous-même, à moins qu'ils ne trouvent cela offensant, auquel cas ils peuvent éteindre la télévision pour une fois et se promener pour changer.
5. Je préférerais vraiment que vous ne défiiez pas les idées bigotes, misogynes et haineuses des autres sur un estomac vide. Mangez, puis allez après le B****** (à la sale de B… note de l’auteur).
6. Je préférerais vraiment que vous ne construisiez pas des églises / temples / mosquées / sanctuaires de plusieurs millions de dollars à ma bonté quand l'argent pourrait être mieux dépensé (faites votre choix) :
A. Mettre fin à la pauvreté
B. Guérir les maladies
C. Vivre en paix, aimer avec passion et réduire le coût du câble
Je suis peut-être un être omniscient aux glucides complexes, mais j'aime les choses simples de la vie. Je devrais savoir. JE SUIS Le Créateur.
7. Je préférerais vraiment que vous ne disiez pas aux gens que je vous parle. Vous n'êtes pas si intéressant. Se dépasser. Et je t'ai dit d'aimer ton prochain, ne peux-tu pas saisir cela ?
8. Je préférerais vraiment que vous ne fassiez pas aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fassent si vous aimez ça[8], hum, des trucs qui utilisent beaucoup de cuir/lubrifiant/Las Vegas. Si l'autre personne aime, cependant (conformément à #4), alors allez-y, prenez des photos, et pour l'amour de Mike, portez un préservatif ! Honnêtement, c'est un morceau de caoutchouc. Si je ne voulais pas qu'il se sente bien quand vous l'avez fait, j'aurais ajouté des pointes, ou quelque chose.
RAmen.
ii. Le canon souple
28. The Loose Canon / Le canon souple (sous-titre : Une Réellement importante collection de mots) est une collection d'écrits apparemment de divers auteurs publiés en 2010 ou après (/www.loose-canon.info/Loose-Canon-1st-Ed.pdf).
Le livre comprend un « Ancien Pastament » et un « Nouveau Pastament », chacun subdivisé en « Livres » avec des titres comprenant « Une lecture du livre de Fusilli », « Le livre de Linguini », « The Torahtellini Part 2 » (il n'y a pas de Partie 1), "Pastalms" et "Les Actes des Apastals".
29. L'un de ces « Livre », le « Livre de Pénélope », contient la seule référence scripturaire à l'utilisation d'une passoire comme couvre-chef (page 17) :
« 1 Maintenant que les Pastafariens étaient sauvés et que les douleurs de la faim étaient écartées, une grande léthargie s'abattit sur le Peuple. 2 « Il faut dormir » ! criaient-ils, « car nos ventres sont pleins et la télévision n'a pas encore été inventée ». 3 Et ils tombèrent tous dans un profond sommeil, sauf Pénélope. 4 Elle avait bu trop d'expressos après le dîner avec son tiramisu.
5 Alors qu'elle marchait paresseusement, elle entendit une voix : "Ceins-toi les reins et suis". 6 « Grille[9] [sic] jusqu'à mes reins » ? pensa-t-elle, "ça a l'air vaguement méchant". 7 Mais comme la télévision n'avait pas encore été inventée, Penelope a mis la Sainte Passoire sur sa tête et a attrapé une paire de pinces à salade pratiques 8 (pas celles en plastique pourries mais les bonnes en métal solide). 9 Penelope a marché (oui, vous avez deviné que personne n'a marché nulle part alors, ils ont tous marché) à travers le désert. 10 La voix la conduisit à travers collines et vallées 11 (les avocats Hill, Dale & Rill dans l’ancien monde).
30. Ailleurs dans Le Canon souple, l'explication suivante apparaît (page 153-54) :
« 10 Le christianisme et le créationnisme sont des idées distinctes. 11 L'Église des FSM [c'est-à-dire Flying Spaghetti Monster / Monstre en spaghettis volant] est une satire du créationnisme, à savoir que [sic] leur argument selon lequel on ne peut réfuter qu'un créateur omnipotent a créé l'univers et la vie et donc c'est une idée plausible. 12 Nous ripostons et disons que vous ne pouvez pas réfuter qu’un monstre en spaghetti volant a créé l'univers et la vie et donc par la logique des partisans de l'identification, c'est aussi une idée plausible. 13 C'est censé être aussi ridicule que possible de démontrer le défaut de cette logique, et un peu d'humour fait beaucoup dans n'importe quel argument.
(c) Autres informations
31. La page d'accueil du site internet « Church of the Flying Spaghetti Monster's », https://www.spaghettimonster.org/, comprend un lien vers une édition de The Gospel of the Flying Spaghetti Monster / L’Evangile du Monstre en spaghettis volant offert en vente sur Amazon.com, juste en dessous de laquelle se trouve une citation d'une critique déclarée avoir été publiée dans le magazine Scientific American. Cette citation se lit comme suit :
« Une parodie élaborée sur le créationnisme, L'Évangile du monstre en spaghettis volant n'est ni trop élaboré ni trop factice pour réussir à clouer les sophismes de l'identification. C'est encore plus farfelu que la suggestion de Jonathan Swift selon laquelle les Irlandais mangent leurs enfants pour les empêcher d'être un fardeau, et cela peut offenser autant de personnes, mais Henderson met la satire au même usage sérieux que Swift. Oh, oui, c'est très drôle ».
32. Le site (https://www.spaghettimonster.org/about/), fournit une brève biographie du fondateur et « prophète » de « l'Église du monstre en spaghettis volant », M. Bobby Henderson, accompagné d'une photographie d'une personne que la Cour suppose être M. Bobby Henderson lui-même, apparaissant tête nue.
33. La déclaration suivante, publiée le 18 octobre 2018, se trouve sur le site Internet de « Église du monstre en spaghettis volant » (https://www.spaghettimonster.org/wp-content/uploads/2018/10/ headgear-statement.pdf, consulté le 5 octobre 2021) :
« Déclaration concernant la coiffure traditionnelle pastafarienne :
Permettez-moi de confirmer que le port d'une passoire est une tradition dans la foi pastafarienne. Tous les adeptes ne s'habillent pas de manière aussi formelle, mais c'est une pratique courante pour nous de le faire tout en créant des documents d'identification officiels.
Comme vous le savez, la religion joue un rôle important dans la vie de nombreuses personnes, y compris le port de vêtements spécifiques. Au fil des années, les croyants ont parfois malheureusement subi des résistances, des moqueries ou même des discriminations pour avoir simplement suivi les directives de leur religion.
Heureusement, la jurisprudence a affirmé à plusieurs reprises que les croyants ont le droit, protégé par la Constitution, de porter de tels vêtements dans presque toutes les situations publiques, y compris : au travail, à l'école, en prenant des photos d'identité, même dans la salle d'audience – à condition que les vêtements ne causent pas de dommages [sic] et préjudice. C'est-à-dire que les vêtements religieux sont, à quelques exceptions près, un droit protégé.
Nous, l'Église du monstre en spaghettis volant, ne sommes pas un groupe sectaire mais bien sûr nous, avec l'ACLU [c'est-à-dire. l'American Civil Liberties Union] et d'autres, avons intérêt à défendre les droits et libertés individuels garantis par la Constitution et les lois des États-Unis.
Merci pour votre coopération et puissiez-vous être touché par sa grâce.
Sincèrement,
Bobby Henderson, Église du monstre en spaghettis volant »
(…)
C. Documents du Conseil de l'Europe
41. Dans l'exposé des motifs (contenu dans le document 11375 de l'Assemblée parlementaire du 17 septembre 2007) à la Résolution 1580 (2007) sur « Les dangers du créationnisme dans l'éducation », qui a été adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 4 octobre 2007, la référence suivante est faite au pastafarisme :
« 52. A cet égard, conformément au principe d'ouverture aux théories alternatives prônées par les créationnistes scientifiques, et afin de montrer l'illogisme de l'enseignement du créationnisme aux côtés de la théorie de l'évolution, un mouvement s'est, ironiquement, développé aux États-Unis. États. Le soi-disant mouvement pastafarien soutient la théorie du monstre en spaghettis volant. Le pastafarisme est une parodie sur la religion créée en réponse à la décision du Kansas State Board of Education d'autoriser l'enseignement du créationnisme dans les cours de sciences sur un pied d'égalité avec la théorie de l'évolution. Selon le pastafarisme, un être invisible et omniscient appelé Flying Spaghetti Monster Monstre en spaghettis volant, a créé l'univers en un jour. Les partisans du pastafarisme revendiquent la même place dans les programmes scolaires que le design intelligent. Pleine d'ironie, cette pseudo-religion fait la tendance et le culte se répand.
PLAINTES
42. Sur le terrain de l'article 9 de la Convention, la requérante se plaignait de l'absence de base légale en droit interne de l'exigence de la reconnaissance officielle d'une religion ou d'une conviction philosophique. Elle se plaignait également, sur le terrain de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 9, qu'une telle exigence n'était imposée qu'aux pastafariens, par rapport aux adeptes d'autres religions.
43. A titre subsidiaire, la requérante se plaignait, sur le terrain de l'article 9, que la division du contentieux administratif avait méconnu les normes élaborées par la Cour et qu'il n'avait pas été tenu compte de son forum internum. Elle se plaignait également, sur le terrain de l'article 14 combiné avec l'article 9, que le pastafarisme avait été disqualifié en tant que religion pour des motifs non applicables à d'autres religions dans des situations similaires.
LA LOI
A. Le grief principal de la requérante
44. La requérante se plaint de la recommandation adressée aux communes par le ministre de l'Intérieur et des Relations du Royaume (paragraphe 40 ci-dessus[10]) qui, selon elle, équivalait à une exigence de reconnaissance officielle d'une religion pour qu'un adhérent puisse bénéficier d'exceptions légales sans une telle exigence ayant quelque fondement que ce soit en droit néerlandais. De plus, une telle exigence n'était imposée qu'aux pastafariens, par rapport aux adeptes d'autres religions.
La requérante invoquait l'article 9 de la Convention pris isolément et combiné avec l'article 14.
Ces dispositions se lisent comme suit :
Article 9
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit comprend la liberté de changer de religion ou de conviction et la liberté, seul ou en communauté avec d'autres et en public ou en privé, de manifester sa religion ou sa conviction, dans le culte, l'enseignement, la pratique et l'observance.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions n'est soumise qu'aux restrictions prescrites par la loi et nécessaires dans une société démocratique dans l'intérêt de la sécurité publique, de la protection de l'ordre public, de la santé ou de la moralité, ou de la protection des droits et libertés d'autrui[11].
Article 14
La jouissance des droits et libertés énoncés dans [la] Convention est assurée sans discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, l'opinion politique ou autre, l'origine nationale ou sociale, l'association à une minorité nationale, propriété, naissance ou autre statut[12].
45. La Cour rappelle qu'elle ne peut examiner la législation et la politique dans l'abstrait, sa tâche étant plutôt d'examiner l'application de mesures ou de politiques spécifiques aux faits de chaque cas individuel (voir, entre autres, Chapman c. Royaume-Uni [ GC], n° 27238/95, § 77, CEDH 2001-I). La Cour note en outre si le maire a suivi ou non la recommandation en cause dans l'affaire de la requérante (paragraphe 7), le tribunal régional (paragraphe 14) et la division de la juridiction administrative (paragraphe 19), lors de l'examen de la décision du maire, a substitué leur propre raisonnement à celui du maire.
46. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, conformément à l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. Le grief subsidiaire de la requérante
47. La requérante, reprenant les arguments qu'elle avait soulevés dans la procédure interne (paragraphes 6, 11-13 et 16-18), se plaignait de ce que les autorités nationales, en particulier la division du contentieux administratif, avaient mal appliqué les normes élaborées par le Cour et qu'en rejetant sa demande d'exemption de l'obligation de découvrir la tête sur les photographies d'identité, il n'avait pas été tenu compte de son forum internum. Elle alléguait également que le pastafarisme avait été disqualifié en tant que religion pour des motifs qui ne s'appliquaient pas à d'autres religions dans des situations similaires.
48. Elle invoque l'article 9 de la Convention pris isolément et combiné avec l'article 14.
1. Violation alléguée de l'article 9 de la Convention
49. La requérante étant d'avis que c'est à tort que les autorités internes ont conclu que le pastafarisme ne peut être considéré comme une religion ou une conviction au sens de l'article 9 de la Convention, la Cour doit d'abord examiner la question de savoir si la doctrine de la requérante peut être considérée comme protégée par l'article 9 de la Convention.
50. La Cour est consciente que le droit consacré à l'article 9 serait hautement théorique et illusoire si le degré de discrétion accordé aux États leur permettait d'interpréter la notion de confession religieuse de manière si restrictive qu'elle priverait une forme non traditionnelle et minoritaire d'une religion de protection légale. De telles définitions restrictives ont un impact direct sur l'exercice du droit à la liberté de religion et sont susceptibles de restreindre l'exercice de ce droit en niant le caractère religieux d'une foi (voir Izzettin Doğan et autres c. Turquie [GC], no. 62649/10, § 114, 26 avril 2016).
51. Bien que la notion de « religion ou conviction » au sens d'être protégée par l'article 9 doive être interprétée au sens large, cela ne signifie pas que toutes les opinions ou convictions doivent être considérées comme telles (Pretty c. 2346/02, § 82, CEDH 2002 III). La Cour a statué que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne désigne que les opinions qui atteignent un certain niveau de force, de gravité, de cohésion et d'importance. Toutefois, dès lors que cette condition est remplie – et lorsqu'il est ainsi établi que l'article 9 s'applique –, le devoir de neutralité et d'impartialité de l'État est incompatible avec tout pouvoir de l'État d'apprécier la légitimité des croyances religieuses ou les modalités selon lesquelles ces croyances sont exprimées (voir SAS c. France [GC], no 43835/11, § 55, CEDH 2014, et Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 81, CEDH 2013, avec d'autres références).
52. S'agissant des faits en l'espèce, la Cour observe que, dans son appréciation de la question de savoir si le pastafarisme peut être considéré comme une « religion » ou une « croyance » au sens de l'article 9 de la Convention, la chambre du contentieux administratif a dûment appliquait les normes susmentionnées et constatait notamment un manque de sérieux et de cohésion requis (paragraphe 19). De plus, et tout en admettant que la requérante avait systématiquement porté sa passoire à l'extérieur, la division du contentieux administratif a estimé qu'elle n'avait pas démontré qu'elle appartenait à une confession pastafarienne répondant aux conditions préalables susmentionnées (ibid.).
53. La Cour, pour sa part, ne voit aucune raison de s'écarter de la conclusion à laquelle est parvenue la division du contentieux administratif, dont la décision apparaît soigneusement mesurée et ne semble en aucune façon arbitraire ou illogique. Elle note dans ce contexte que, si l'objet initial de la lettre de M. Henderson (paragraphe 21 ci-dessus) était de protester contre l'introduction dans les programmes scolaires de l'État du Kansas de la doctrine du « créationnisme » aux côtés de la théorie de l'évolution, il a inspiré un mouvement critique de l'influence et de la position privilégiée accordée aux religions établies (les confessions chrétiennes en particulier) dans certaines sociétés contemporaines, et il cherche à exprimer cette critique en parodiant des aspects de ces religions. De plus, ce mouvement recherche les mêmes privilèges pour lui-même en vue de propager son message. La Cour considère que cette compréhension est étayée non seulement par la forme et le contenu de l'enseignement pastafarien, qui en eux-mêmes laissent peu de place au doute, mais aussi par l'apparition dans l'un de ses textes « canoniques » de la déclaration catégorique à cet effet (cité au paragraphe 30 ci-dessus).
54. Dans ces conditions, et notamment au vu des buts mêmes pour lesquels le mouvement pastafarien a été fondé, la Cour ne considère pas le pastafarisme comme une « religion » ou une « croyance » au sens de l'article 9 de la Convention. Par conséquent, le port d'une passoire par les adeptes du pastafarisme ne saurait être considéré comme une manifestation d'une « religion » ou d'une « croyance » au sens de l'article 9, même si la personne concernée fait valoir qu'elle a choisi de le faire par conviction qui est authentique et sincère.
55. Il s'ensuit que l'article 9 ne peut s'appliquer ni à « l'Église du monstre en spaghettis volant » ni à ceux qui prétendent professer ses doctrines.
56. Partant, ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 a) et doit être rejeté conformément à l'article 35 § 4.
2. Violation alléguée de l'article 14 combiné avec l'article 9 de la Convention
57. La requérante se plaint que le pastafarisme a été disqualifié en tant que religion pour des motifs non applicables à d'autres religions dans des affaires similaires. La Cour comprend qu'il s'agit d'une référence à l'islam, au judaïsme et au sikhisme, dont les adeptes sont autorisés, en vertu de la législation interne applicable, à soumettre, sous certaines conditions, des photographies d'identité montrant des ressemblances d'eux-mêmes portant un couvre-chef conforme à leurs croyances religieuses (paragraphe 36 ci-dessus).
58. Comme la Cour l'a dit à maintes reprises, l'article 14 de la Convention complète les autres dispositions de fond de la Convention et de ses Protocoles. L'article 14 n'a pas d'existence autonome puisqu'il n'a d'effet que par rapport à « la jouissance des droits et libertés » qu'il garantit. Bien que l'application de l'article 14 ne présuppose pas une violation de ces dispositions – et dans cette mesure elle est autonome – son application ne saurait avoir lieu que si les faits en cause relèvent de l'une ou de plusieurs d'entre elles. L'interdiction de la discrimination inscrite à l'article 14 s'étend ainsi au-delà de la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque Etat de garantir. Elle s'applique également aux droits supplémentaires, entrant dans le champ d'application général de tout article de la Convention, que l'État a volontairement décidé de prévoir (voir, en tant qu'autorité récente, Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 123, 19 décembre 2018).
59. La Cour a déjà constaté que le grief de la requérante ne relevait pas du champ d'application de l'article 9 de la Convention ; il s'ensuit qu'aucune question ne peut se poser au titre de l'article 14 combiné avec cette disposition. Partant, ce grief est également incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 a) et doit être rejeté conformément à l'article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en anglais et notifié par écrit le 2 décembre 2021.
signaturee_p_2
Andrea Tamietti Yonko Grozev
Greffier Président
61i2 déco4embre, 20r:5f1efa0a ·
CEDH, 2 déc. 2021, n° 9476/19, De Wilde c/ Pays-Bas
La décision de la CEDH est en anglais. Elle est répertoriée sur le site : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-214084
Facebook (Via Nicolas Hervieu, @N_Hervieu).
[2] Voir aussi l’article relatif sur Wikipédia.
[3] Extraits traduits de l’anglais par l’auteur.
[4] En caractères gras = Note de l’auteur.
[5] The Gospel of the Flying Spaghetti Monster (New York, Villard, 2006), pages 77-79.
[6] Samey-Samey en anglais. Ce qui signifie également répétitif.
[7] Note de l’auteur.
[8] En Anglais : I’d Really Rather You Didn’t Do Unto Others As You Would Have Them Do Unto You If You Are Into
[9] En anglais : Grid
[10] Dans les recours de la requérante auprès des juridictions internes aux Pays-Bas.
[11] L’article 9 de la Convention se lit exactement comme suit : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Chacun a le droit de changer de religion ou de conviction et à la liberté de manifester sa religion, individuellement ou collectivement, en public ou en privé. Toutes les croyances reconnues sont protégées par ce droit. L’un des enjeux modernes du respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion réside, tant au niveau international que national, dans la montée de l’intolérance religieuse. Les questions relatives au statut des sectes sont aussi liées à l’exercice de cette liberté. »
[12] L’article 14 de la Convention se lit exactement comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
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