Le communautarisme à la française : le prolongement du modèle colonial ?
L’histoire de la France d’Outre-mer fut dominée par deux courants de pensée : un courant colonial, se bornant à la présence sur le territoire, le maintien de l’ordre et à son exploitation. Le second courant, universaliste, se voulait vecteur de progrès par-delà les cultures et les religions. Issue de la laïcité et de l’humanisme des lumières, ce courant croyait en l’universalité des valeurs nationales et en la mission émancipatrice de la France. Il envisageait une intégration progressive des territoires et des peuples dans la République française - c’est ce qu’on appelait la décolonisation. Ce qui fut fait aux Antilles, et en Guyane. Mais c’est en Algérie, département français à l’époque, que l’antagonisme entre les deux conceptions fut le plus fort. Il fut impossible en 130 ans de présence d’opter pour l’une ou l’autre des politiques. Cela étant dû sûrement à la nature composite de la population : des autochtones de plusieurs ethnies, arabe ou kabyle, voire turques, de plusieurs religions, juive ou musulmane ou chrétienne, et une classe européenne encore plus fragmentée entre les différentes vagues d’immigration, italienne, espagnole, maltaise, française d’Alsace, républicaine communarde etc.
Napoléon
III, sûrement inspiré par le modèle des Radjs aux Indes, décida, cinq
ans avant que la République ne décide de l’émancipation des juifs sépharades, et cela sous condition, par le décret Crémieux de 1870,
d’accorder la nationalité française à tout musulman ou juif qui la
demanderait, sous la condition qu’il abandonne la primature légale de
leurs droits religieux. Un senatus consul du 1er juillet 1865, entérina
le décret. Cela entraîna par la suite la classification des statuts
civils suivante : les assujettis au statut civil laïc et les citoyens de
statut civil religieux et dans ce cas « les Français musulmans ». Et ce
système de classification et conditions d’admission à la pleine
citoyenneté régira tout le reste de la période de la présence française.
En 1956, l’ethnologue, ancien français libre, Jacques Soustelle, résident général à Alger, nous parle de l’assimilation des Français musulmans, cela en pleine crise algérienne. Mais il est beaucoup trop tard et nous connaissons la suite. Une Algérie indépendante et une France recentrée sur son identité métropolitaine « de souche ». C’était la vision coloniale contre la vision universaliste de Soustelle. D’un côté, perpétuation machiavélique à des fins politiques de privilèges religieux et d’un autre côté l’ambition de voir de nouveaux citoyens français par-delà leur confession.
Ne jugeons pas trop partialement la présence française en Afrique du nord, ses bienfaits comme ses méfaits, restent, aujourd’hui plus que jamais, un épisode de l’histoire où Français et musulmans, pour faire simple, ont tenté de coexister ensemble. Faute d’être ventriloques de l’histoire, apprenons quelque chose de nos expériences.
Il n’y a pas eu à cette époque intégration des Français musulmans dans la République et le problème perdure encore. Un débat entre vision coloniale et vision universaliste. C’est un débat évité depuis cinquante ans.
Aujourd’hui, la France et ses représentants restent encore dans l’illusion de la politique des cadis, et perpétuent l’idéologie coloniale. Voyant dans les Français musulmans, des étrangers résidants en France. Et afin de préserver la paix civile, ils pérennisent les traditions et les privilèges des caïds qu’ils soient mafieux ou religieux. Il semblerait que pour nos dirigeants, le musulman soit un citoyen à part, nécessitant un régime spécial et séparé des lois de la République. Ils sont sous statut civil religieux. Avec la création du conseil « représentatif » des musulmans de France et l’envie de plus de communautarisme et de discrimination positive, nous sommes réentrés dans une gestion coloniale du problème. Nous abandonnons, encore une fois, aux cadis de la République, le destin de millions de musulmans, dont le désir aurait été peut-être de s’émanciper du dogme religieux.
Si tout chrétien ou juif français peut s’émanciper assez facilement de ses autorités religieuses, avec le conseil musulman, nous obligeons tout Français musulmans à se définir par rapport à ce dernier. Il sera en dehors ou en dedans, mais toujours « en fonction de ». Par cela, quelque part, il n’y aura pas de laïcité, pas de République pour les musulmans de France. On leur refuse toute opportunité de s’affranchir de leurs origines.
Aussi, par le communautarisme, avec l’alibi de différence culturelle, on ferme les yeux sur les mariages forcés, le machisme, la lapidation, et l’excision. Ce qu’on nous présente comme tolérance ne sera en fait que l’ignorance volontaire de comportements antisociaux.
Nous reproduisons la politique des cadis, avec une loi d’exception pour les musulmans.
Ce que nous apporteront le communautarisme et la discrimination positive ne sera que plus d’exclusion et la pérennisation d’une autorité légale par-delà de la République, pour les musulmans. Nous sommes en train non pas d’intégrer mais d’exclure. Croyant ouvrir la porte de la République, nous la refermons au nez des musulmans désireux de s’émanciper de leur origine religieuse, en complète opposition avec nos principes républicains. S’émanciper n’est pas renier. Rappelons que l’émancipation des traditions est implicite à l’abolition des privilèges de 1789. Le citoyen français est un sujet émancipé par définition de tout, origine, idéologie, religion. S’il est libre, libre de choisir, c’est en conscience et non en fonction d’un passé ou d’un conditionnement familial, religieux ou politique. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre notre citoyenneté républicaine. Nous sommes des acteurs émancipés et libres de notre « chose publique ». Le Français étymologiquement est un « affranchi », libre de tout passif et en toute conscience, il agit.
Alors rompons avec la vision coloniale. Arrêtons de construire des stades dans les cités, comme on construisait un puits artésien en Afrique équatoriale française. Nous sommes condamnés, en suivant cette politique, à envoyer perpétuellement des forces de police afin de pacifier les banlieues et enfin rentrer en palabre, sous la tente, avec les autorités religieuses, pour retrouver la paix, comme Lyautey pacifiant le Rif marocain. La fatwa promulguée par le conseil musulman en novembre 2005, durant les émeutes des banlieues est là pour le confirmer
Il faut mettre de côté le problème interne de l’islam, il doit tenir une place secondaire dans la résolution du problème. Soyons clairs dans la mission de l’Etat : il n’est pas du ressort de la République de gérer des dilemmes théologiques. L’islam sera de France si ses préceptes respectent les lois et valeurs de la République. C’est-à-dire, l’égalité entre hommes et femmes, l’apostasie (le droit de se convertir à une autre religion), la condamnation formelle et effective du terrorisme et cela sans excuse, tout simplement une obédience aux valeurs citoyennes. Et c’est ce que font ces citoyens français, qui n’ont en aucun moment besoin de ces « pères la pudeur », qui afin d’affirmer leurs utilités et leur pouvoir politique, sont prêts à laisser discriminer, positivement ou non, et à diaboliser cette frange de la population française.
La solution serait de briser l’omerta et de mettre à bas la chape de plomb de la tradition théologique. C’est plus le type d’une politique antimafia qu’il faut entamer, comparable à celle pratiquée en Sicile. Une lutte contre la peur, la criminalité et les traditions archaïques non respectueuses de nos lois républicaines.
Et c’est à cette condition que nous rétablirons l’espoir dans les cités, qui je le rappelle, ne sont pas des « bleds à pacifier ». Le succès de cette entreprise ne se fera qu’à une condition : la primauté absolue de la loi et des valeurs républicaines. Désenclavons les banlieues, par l’éducation, le travail et le rétablissement de la sécurité, et ainsi luttons d’une manière énergique contre tout racisme. Nous ne pouvons plus compter sur les moteurs d’intégration qu’étaient le service militaire, le monde syndical et le parti communiste, ils ont aujourd’hui disparu.
C’est avec des relais d’intégration en pleine crise de confiance ou en voie d’extinction et une République déboussolée, que nous réaffirmons l’identité et le particularisme religieux par le communautarisme, version moderne de la politique des cadis. Par cela nous élargissons la rupture entre les deux mondes. Répétition de l’Histoire, attention danger ! Et cela au détriment de nos propres valeurs « d’affranchissement ». Il serait bon aujourd’hui afin de garder la cohésion de notre nation, de penser à la restauration de la République avant tout. Cette dernière, s’il est besoin de le rappeler, est légitime et universelle, n’en doutons pas.
39 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON