Pie XII et l’aveuglement de Marc Ferro
Dans son dernier essai, L'aveuglement, l’historien Marc Ferro s’en prend à Pie XII, qu'il décrit comme un « admirateur du Führer ». Une accusation grotesque à l'encontre d'un Pape qui tenta au contraire de faire assassiner Hitler.
Aujourd’hui, je vais exercer mon droit exorbitant de critique littéraire. Oui, je vais critiquer un livre. Mais, chers lecteurs, je ne vais pas, comme font tous ces autres gens de lettres auxquels vous vous êtes habitués, critiquer un livre en entier.
Oui, je vous fais une fleur : je vais juste relever deux pages. Un bref passage, presque planqué au beau milieu d’un ouvrage, pourtant très bon, qui vient de paraître aux éditions Tallandier : L’aveuglement, de l’historien Marc Ferro.
L’aveuglement, cette grande tare du XXème siècle, complice indispensable de tant d’atrocités. Aveuglement de tous, à toutes les étapes : dirigeants politiques convaincus d’avoir gagné la paix, militants communistes refusant d’entendre la sinistre vérité, intellectuels minables devant la montagne de cadavres maoïstes, population allemande célébrant la victoire de son armée le 11 novembre 1918, etc. Complète qui voudra, comprenne qui pourra.
Alors, pendant que je lisais L'aveuglement de Marc Ferro et, pour le dire comme un célèbre Français aveuglé, Louis Aragon, pendant que je buvais « comme un lait glacé le long lai des gloires faussées », je sursautais, stoppé net.
Pie XII, "admirateur du Führer" ? Une attaque aussi violente qu'infondée
En effet, au beau milieu de cette longue liste de dissonances cognitives accablantes et qui résonnent tristement en ces jours, Marc Ferro s’est égaré totalement dans une attaque aussi violente qu’infondée de Pie XII... et même de Jean-Paul II !
Vous voulez sursauter comme moi ? Lisez ces lignes de Ferro : « Le silence de Pie XII, naguère cardinal Pacelli, a secoué la communauté catholique. Admirateur du Führer et d’un anticommunisme sans partage, il juge que combattre l’URSS justifie tous les moyens. Ses héritiers ont eu à rendre compte de ce comportement dont bien des fidèles ont eu honte. Pour ce faire, Jean-Paul II a pris le parti de neutraliser le passé. » (Marc Ferro, L'aveuglement, Tallandier, 2015, p. 153.)
Ce qui semble tenir particulièrement à cœur à Marc Ferro, c’est le fait que le cardinal Pacelli, le futur Pie XII, aurait été un admirateur d’Adolph Hitler. Il y tient vraiment : c’est une accusation qu’il a déjà lancé un peu plus tôt, subrepticement mais explicitement, dans son essai. Il la réitère à nouveau un peu plus loin quand il évoque la « fascination que le nazisme exerça sur Pie XII. » (Ferro, idem, p. 155.)
C’est une révélation d’une force inouïe que Marc Ferro nous fait là. Si c’est vrai, c’est le scoop de son honorable carrière. Mais c’est faux. Tellement faux que cela en est même grotesque, risible.
Le futur Pie XII condamne publiquement le nazisme
Sous le pontificat de son prédécesseur Pie XI, le cardinal Pacelli est un des coauteurs de l’encyclique « Mit brennender Sorge », rédigée exceptionnellement en allemand, et acheminée secrètement en Allemagne pour y être lue en chaire en 1937 par tous les curés. Elle fait suite aux dizaines de protestations pour violation du Concordat conclu en 1933.
Albert Hartl, espion nazi la tête de l’unité en charge de la lutte anti-catholique, la résume ainsi dans un rapport adressé à sa hiérarchie : elle « a sommé le monde entier de combattre le Reich ». Hartl se désole également que l’église catholique rassemble toutes les races au sein d’une même famille, et par conséquent rejette l’antisémitisme.
Pie XII critique le nazisme dans l'Europe en Guerre
Devenu pape en 1939, Pie XII dans sa première encyclique, "Summi Pontificatus", condamne les totalitarismes et le racisme de façon explicite. Pas besoin d’exégèse savante pour s’en apercevoir, comme le montre le New York Times qui titre en cette fin octobre 1939 : « Les dictateurs, le viol des traités et le racisme sont condamnés par le pape dans sa première encyclique » qui précise que c’est l’Allemagne qui est avant tout visée. Pour le London Daily Telegraph, « le Pape condamne la théorie nazie ». Dans l’édition du Figaro du 28 octobre, Paul Lesourd écrit que « tout en ne prenant à partie aucune nation donnée, le Pape dénonce en termes non équivoques les dangers des doctrines totalitaires. »
Et ce n’est pas qu’une façon pour les alliés et leurs amis d’interpréter en leur faveur un texte ambigu. Les Nazis pensent de même. Heinrich Müller, chef de la Gestapo à Berlin, estime que l’encyclique est « dirigée exclusivement contre l’Allemagne ».
En décembre 1942, rebelote. Pie XII parle d’une voix brisée par l’émotion de « ces centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute particulière, parfois en raison de leur nationalité ou de leur race, sont destinées à la mort ou à un lent dépérissement. » Pour le New York Times, en ce jour de Noël, « la voix de Pie XII est une voix solitaire dans le silence et les ténèbres recouvrant l’Europe ».
Pie XII tente de faire assassiner Hitler
Il n’est pas besoin de prolonger : la coupe est déjà pleine et la messe est dite. On le constate, non seulement l’affirmation selon laquelle Pie XII aurait été un admirateur d’Hitler est grotesque et devrait faire honte à son auteur, mais même la thèse du silence et de la passivité du Pape en face de la barbarie nazie ne peut qu’être sérieusement remise en question.
A cet égard, un livre vient tout juste de sortir aux Etats-Unis qui contient une affirmation historique crédible et parfaitement documentée, cette fois-ci, une révélation fracassante. Il s'agit de Church of Spies : The Pope's Secret War Against Hitler de Mark Riebling (Perseus, 2015).
Riebling nous apprend que Pie XII a tenté dès 1939, à plusieurs reprises, de faire assassiner Hitler pour mettre fin à la guerre. La neutralité revendiquée par le Vatican n'était donc pas une stratégie ratée qui n'a jamais trompé les Nazis, une stratégie futile au regard des génocides en cours. Cette neutralité de façade s'insérait dans une résistance quotidienne, concrète et absolue au nazisme.
L'aveuglement de Marc Ferro
Marc Ferro a-t-il conscience de son égarement coupable ? Essaie-t-il maladroitement, dans un mouvement de balancier, de critiquer quand même les autorités vaticanes après avoir implacablement constaté la faillite du système politique communiste et de ses thuriféraires ?
En tout cas, Ferro ne cite évidemment pas ses sources, et pourtant son essai fourmille de bonnes références. Il ne mentionne rien du long débat historiographique, rien de rien. Pour ne pas être encore plus cruel, on ne relèvera pas les autres absurdités assénées par lui dans le même chapitre à propos de Mgr Stepinac et de Jean-Paul II.
Pourquoi abandonner en rase campagne l’espace d’un instant son esprit critique et se faire le propagateur d’une légende noire ? Marc Ferro illustre bien malgré lui le processus d’aveuglement qui guette chacun d’entre nous. Notre représentation du monde, notre système de pensée, sont parfois étayés par des éléments trop fragiles que nous ne souhaitons pas voir s’effondrer. Et nous les pensons si solidement établis que nous ne les questionnons même plus. Ce penchant doit sans cesse être combattu. C’est une des leçons du XXème siècle.
En critiquant injustement Pie XII, Marc Ferro a préféré accorder une trêve à son esprit critique. Il a préféré ne pas éclairer ses lecteurs et prolonger son aveuglement.
Références
- Marc Ferro, L'aveuglement - Une autre histoire de notre monde, Tallandier, 2015.
- Mark Riebling, Church of Spies : The Pope's Secret War Against Hitler, Perseus, 2015.
- Lorenzo Calligarot, "Pie XII, le Pape qui aurait tenté de faire assssiner Hitler", Slate, 20 octobre 2015, http://www.slate.fr/story/108575/pie-xii-assassiner-hitler
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