Quel rapport entre la religion et la vision américaine du monde ? (2)
La place de la religion dans la politique, mais aussi dans la culture américaine demeure très importante. Bien que les opinions soient partagées sur le fait que l’Amérique est une ‘nation chrétienne’ (en 2005, 71% des américains caractérisent leur pays ainsi), il est indéniable de dire que la religion forme le caractère de la nation et ses idées du monde.
La religion dans la pensée des Pères fondateurs des USA
Les Pères fondateurs excluent toute référence à l’identité religieuse de l’Amérique, ils optent pour la séparation entre l’État et l’église. La constitution américaine n’attribue aucun statut institutionnel à une religion. Le texte du premier amendement ratifié en 1791 est explicite en la matière : Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion. Thomas Jefferson, 3e président des Etats-Unis (1801-1809), en tant qu’homme d’État, reconnaît la nécessité de bien décrire la spécificité du rapport entre l’Etat et la religion. En croyant fortement au premier amendement, la séparation entre l’État et l’église constitue une des priorités de son premier mandat focalisé sur l’approfondissement des institutions du pays. Dans sa réponse à l’Association Danbury Baptist qui réclame un jour national du jeûne, il écrit : (…) étant persuadé, comme vous, que la religion est une question qui regarde seulement chaque Homme et son Dieu, que le gouvernement est là pour servir et pas pour faire des opinions, je vois, avec les autres dirigeants, que l’acte du peuple américain entier est celui qui a déclaré que le pouvoir législatif ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion .
Pour James Madison, 4e président des Etats-Unis (1809-1817), la diversité religieuse d’une nation garantit sa liberté religieuse, de la même manière que la multiplicité des intérêts sociaux, politiques et économiques assure la liberté civique. Il s’aperçoit que le sécularisme devrait profiter à la population, il contribue à la paix et au bon fonctionnement de la société. Madison était un grand défenseur d’un gouvernement républicain .
Benjamin Franklin, corédacteur et signataire de la Déclaration de l’indépendance de 1776, fut un homme d’État séculier. Ses assertions personnelles et publiques affichent une grande volonté de ne pas créer une Amérique religieuse. Sa relation avec la chrétienté est assez paradoxale, a écrit Alfred Aldridg, car tandis que Franklin ne croit pas dans la religion, il est vivement intéressé au système par le système du culte et le monde de clercs de toutes les religions. Pour lui, la religion a une grande importance car elle cherche à apercevoir la nature du Dieu, une des questions qui posent un problème fondamental pour la philosophie, ainsi que le bonheur ou la moralité .
Les fondateurs créent des éléments concepteurs qui vont devenir plus tard des écoles de pensée de la politique étrangère, mais ils ne se réfèrent pas à la religion en tant qu’acteur déterminant. En tout cas, c’est bien ce que montre la typologie historique de Walter Russell Mead qui personnifie ces éléments en les caractérisant par les idées de quatre grands leaders dont trois sont des Pères fondateurs : Alexander Hamilton, Thomas Jefferson et Andrew Jackson .
Hamilton, premier secrétaire au Trésor, représente les promoteurs de la consolidation de l’industrie américaine et l’ouverture des marchés. Contrairement à Lénine qui a vu dans le capitalisme une cause majeure des guerres, les hamiltoniens voient qu’en protégeant le commerce, on construit la paix. Pour eux, favoriser les intérêts commerciaux peut adoucir le ton de la politique étrangère, c’est-à-dire mener une politique moins agressive. Sa vision était politiquement plus proche de celle du parti fédéraliste, ou le parti républicain qu’on connaît aujourd’hui, dans la mesure où il appréciait l’ordre mondial dominé par la Grande Bretagne en ayant eu tendance à le remplacer par celui des Etats-Unis. Il apparaissait déjà comme un réaliste. Jefferson, pour sa part, a favorisé la prudence en ce qui concerne les affaires étrangères. Il s’est montré très sceptique quant aux vertus de l’engagement au-delà des frontières. Pour protéger la démocratie américaine dans un monde dangereux il faut choisir les méthodes à la fois les plus prudentes et les moins coûteuses. Les jeffersoniens croient profondément à la valeur précieuse de l’héritage politique, social et culturel des États-Unis qu’il faut protéger, défendre et transmettre aux futures générations américaines plutôt que de le promouvoir à l’extérieur. L’intervention américaine hors des frontières doit se limiter à la forme des sanctions économiques, il faut éviter l’usage de la force comme moyen en politique étrangère. Andrew Jackson, 7e président des Etats-Unis (1829-1837), incarne le populisme américain. En ayant le sens de l’honneur, l’indépendance, le courage et la fierté militaire, les jacksoniens représentent la classe militaire du pays. Ils sont enclins à utiliser la force pour répondre aux problèmes de la politique extérieure. Le chois de la guerre comme solution a fréquemment incité un grand segment d’électorat à voter pour eux, toujours selon Mead. Le jacksonisme symbolise les valeurs communes du peuple américain, il n’est pas une idéologie ni un mouvement organisé ayant une direction historique claire. En outre, il a produit, et il continue à produire successivement des leaders politiques et à inspirer des mouvements politiques. Donc, il est fort probable qu’il continue à jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques domestiques et extérieures du pays dans un avenir prévisible.
Les idées des fondateurs, placées dans le cadre conceptuel de la politique étrangère américaine, c’est-à-dire les grands courants de la pensée politique américaine, contiennent un des aspects contribuant à son élaboration car, en réalité, elle est le produit de plusieurs mécanismes, de facteurs, d’acteurs. Dans sa formulation le poids des traditions politiques, constitutionnelles, idéologiques et culturelles dont la religion demeure très lourd. La volonté de ne pas mêler la religion à la politique chez les fondateurs et leurs successeurs va du pair avec une sorte de tradition, celle de décrire le rôle mondial de l’Amérique en termes religieux. John Adams remerciait le Dieu d’avoir protégé la nation depuis sa naissance. Wilson avait promis en 1919 que les Etats-Unis, en soutenant la Ligue des nations, seraient au premier rang pour ‘la rédemption du monde’. Pendant la deuxième guerre, Roosevelt a déclaré dans un message au Congrès : nous, les américains, nous allons demeurer fidèles à notre divin héritage. La mission que Dieu a confiée à l’Amérique est de répandre la liberté au quatre coins de monde. Une phrase souvent citée dans les discours des présidents, cependant ce que les différencie c’est comment chacun l’emploie pendant les événements, dit J.B. Judis. Les moments les plus difficiles pour l’Amérique sont venus lorsqu’elle a permis à des conceptions religieuses non seulement de lui dicter ses principaux objectifs mais aussi la façon par laquelle elle a perçu un monde réel dans lequel ces objectifs doivent être réalisés (la guerre de quatre ans pour annexer les Philippines, la guerre en Iraq).
Trois idées constituant le cadre de la conception du monde, sont enracinées dans le passé religieux des Etats-Unis et exprimées tout au long de son histoire :
- L’Amérique est une nation choisie (Abraham Lincoln), une nation indispensable (Madeleine Albright) ;
- Elle a une mission : changer le monde (sénateur Albert Beveridge, Richard Nixon, G.W.Bush) ;
- Elle représente la force de bien contre celle de mal (Franklin Roosevelt, Reagan, G.W.Bush). Ces idées, dans l’ensemble, guident beaucoup d’américains, façonnent leurs pensées sur le rôle que leur pays doit jouer à l’extérieur. Le terme individuel du cadre, -c’est-à-dire le genre de monde que les américains veulent créer et les obstacles ou les adversaires qui peuvent les empêcher d’y parvenir -, ont changé au cours des siècles. La première génération d’américains s’est vue établir ce que Jefferson a appelé l’empire de la liberté contre la tyrannie de l’ancien monde, tandis que les jacksoniens démocrates voulaient une civilisation chrétienne contre l’opposition des sauvages (amérindiens). La génération de Théodore Roosevelt envisageait la propagation de la civilisation anglo-saxonne aux pays des « barbares » et des « sauvages ». Wilson et ses successeurs s’étaient efforcés de créer un ordre mondial démocratique, afin de contrer la Germanie impériale, le fascisme et le communisme. Les termes ont changé mais le cadre essentiel de la nation choisie, visant à transformer le monde, est bien resté le même. L’idée de la nation choisie, qui encourage les américains à penser leur nation en termes missionnaires, fait partie des trois éléments prouvant l’importance de ces pratiques politiques aux États-Unis et qui sont considérés comme venant du cœur du christianisme protestant qui a marqué l’ère des fondateurs et, au fil de temps, la vie politique américaine contemporaine. Les deux éléments restant sont : - La théologie de l’alliance qui aide les américains à décider dans quelles conditions il faut qu’ils obéissent au gouvernement ; -l’accent est mis sur la totale dépravation de l’être humain. L’image puritaine de la nature humaine pécheresse fournit la clef pour désigner le meilleur modèle pour maintenir le gouvernement stable .
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