Un CRIF catholique ? Pourquoi pas ?
Dans un article paru récemment sur Agora Vox, j’évoquais l’idée d’un “CRIF catholique”. Face aux réactions reçues, positives et négatives, j’ai voulu préciser mon idée.
Deux interrogations doivent impérativement être formulées. La création d’un « CRIF catholique » serait-elle juste ? Serait-elle par ailleurs justifiée
? En d’autres termes, posons la double question de sa conformité à la
foi catholique et de son utilité. Mais précisons d’abord que
l’expression « CRIF catholique » est évidemment un abus de langage
destiné à provoquer la réflexion et à laisser entrevoir quels contours
pourrait prendre un tel organe : l’universalisme présent de manière
inchoative dans le judaïsme - « matrice essentielle de la foi chrétienne », a récemment rappelé Benoît XVI - est pleinement assumé dans le catholicisme, et lui seul.
Que serait, dès lors, un CRIF catholique ? Suivons la comparaison avec
le « vrai » CRIF. Le Conseil représentatif des institutions juives de
France est l’héritier du Comité général de défense juive créé en 1943
et dont la première tâche consistait à unifier les actions de sauvetage
des Juifs traqués par les nazis et le régime de Vichy. Sa finalité est
donc d’abord communautaire, ad intra.
Il est moins la représentation officielle des croyants juifs auprès des
autorités de l’État qu’un organisme visant à faire entendre une voix
juive unitaire au sein de la société.
Respecter les nouvelles règles du jeu démocratique
On ne peut comprendre l’opportunité d’un tel modèle pour les
catholiques si l’on n’est pas convaincu : 1/ que la communauté
catholique doit s’intégrer, elle aussi, dans un paysage sociologique et
un jeu démocratique nouveaux dont les acteurs se révèlent être, de plus
en plus, des communautés plus que des citoyens, et 2/ qu’elle a, elle
aussi, des intérêts à défendre de manière unitaire - peu importe
d’ailleurs que ces intérêts soient ceux de tout l’homme et de tous les
hommes : peut-être est-elle la dernière à les porter, c’est toute sa
grandeur, c’est sa vocation de « peuple de la vie » comme l’écrit Jean
Paul II dans Evangelium Vitae... Du
côté de la classe politique, nos dirigeants - et en ce moment nos
candidats - doivent pouvoir être mis « face aux chrétiens », du nom
d’une célèbre émission de radio, et leur rendre des comptes, le cas
échéant.
Une initiative kasher !
Un « CRIF catholique », gardons cette expression éloquente, n’aurait
rien de contraire à la doctrine catholique. Sur le forum ouvert à ce
sujet par Patrice de Plunkett (cf son blog), un internaute écrit : « Un CRIF catholique ne correspondrait pas à la structure ecclésiale - voulue par le Christ - du catholicisme. »
Il faut ici distinguer les plans. Certes, il ne s’agit pas de contester
l’autorité des évêques : en communion avec le pape, ils sont « chefs »
de l’Église. Mais l’Église comme corps d’appartenance surnaturelle, et
la communauté catholique comme acteur de la vie politique - et en somme
corps d’appartenance naturelle - ne se confondent pas strictement. Non
seulement un « CRIF catholique » ne contreviendrait pas au donné
objectif de la foi, mais il correspondrait aux « situations nouvelles [qui] exigent aujourd’hui, de façon toute particulière, l’action des fidèles laïcs » (“Christifideles Laïci”, 3).
Tout le monde connaît le cardinal Barbarin, primat des Gaules, le
cardinal Ricard, président de la Conférence épiscopale de France, ou le
cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris. Qui connaît - même parmi
les catholiques ? - le nom du président des Associations familiales
catholiques, pourtant interlocuteur statutaire de l’État, ou celui du
secrétaire général de l’enseignement catholique ? D’ailleurs, des
rabbins siègent au CRIF - que des clercs siègent dans un « CRIF
catholique » n’enlèverait rien à son identité de structure laïque.
Le pluralisme catholique, un problème ?
Certes, il y a la question des divergences d’opinion, soulignée par Patrice de Plunkett :
« Dans l’état actuel des esprits, l’idée d’un CRIF catho est problématique, parce que les laïcs catholiques confondent volontiers - dans le domaine politique, économique et social - leurs divers préjugés de milieux avec une analyse évangélique. Chaque clan, chaque tendance, chaque micro-milieu habille de "religion" ses propres réflexes mentaux. Voyez le catho chroniqueur économique ultralibéral, et le catho militant altermondialiste : chacun des deux croit que l’autre est aliéné aux pires superstitions. Voyez le catho eurofédéraliste, qui a voté chrétiennement oui en 2005, et le catho souverainiste, qui a voté chrétiennement non : chacun des deux dit que l’autre veut nous ramener aux heures les plus sombres de l’histoire. Imaginez tous ces gens dans un CRIF catholique ! »Ce n’est pas un faux problème. Trois remarques peuvent être faites.
En premier lieu, l’unité n’est pas un préalable à l’action. Elle est un paramètre du combat. Tous les juifs ne se sentent pas représentés par le CRIF, tous les Noirs ne se sentent pas représentés par le CRAN, tous les musulmans ne se sentent pas représentés par le CFCM. Ces organismes n’en sont pas moins les plus représentatifs, non parce qu’ils rassemblent le plus d’adhérents (logique de la quantité, logique obsolète de la démocratie de masse) mais parce qu’ils sont les plus habiles à faire entendre un message fort. Jusqu’au jour où les rapports de forces se renverseront...
Mais - et c’est la deuxième remarque - les catholiques peuvent-ils s’adonner à ce jeu du rapport de forces, au sein même de leur communauté ? Oui, et avec d’autant moins d’inquiétude qu’ils sont soumis à des critères d’ecclésialité censés empêcher les dérives et la rupture de la communion fondamentale. Quels sont-ils ? Christifideles Laïci les énonce au paragraphe 30 :
« Le primat donné à la vocation de tout chrétien à la sainteté ; l’engagement à professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l’Église et sur l’homme, en conformité avec l’enseignement de l’Église, qui l’interprète de façon authentique ; le témoignage d’une communion solide et forte dans sa conviction, en relation filiale avec le Pape et avec l’Evêque ; l’accord et la coopération avec le but apostolique de l’Église ; l’engagement à être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de l’homme, conformément à la doctrine sociale de l’Église. »
Les
membres d’un « CRIF catholique » s’engageraient par serment à respecter
ces critères. Est-il naïf de croire qu’en ce domaine comme dans les
autres, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ? C’est là
que l’autorité spirituelle proprement dite pourrait intervenir et
déclarer fermement : « Tel comportement, telle théorie, tels propos ne
sont pas catholiques. On ne peut dignement représenter les catholiques
tout en y souscrivant. »
Enfin, sous l’effet de l’écrémage auquel nous assistons actuellement et dont un récent sondage du Monde des Religions
rendait compte, on peut estimer que l’homogénéité des convictions, au
sein de la communauté catholique, est en train de se renforcer - en
tout cas sur l’essentiel. Nous ne sommes plus au temps où des
religieuses animaient des centres de Planning familial et des prêtres
militaient à la CGT, syndicat marxiste.
Cesser d’être des "collabos"...
Les catholiques sont aujourd’hui, à l’égard des autorités de l’État,
dans une relation de collaboration - avec tout ce que ce mot évoque.
Ils pratiquent une cogestion illusoire. Ils sont des « partenaires »
dont la compétence est d’ailleurs unanimement reconnue par les experts
et parfois même par la société civile tout entière (dans l’éducation
notamment - avec toutes les réserves que Mgr Cattenoz a émises en
dressant l’état des lieux de l’enseignement catholique dans un livre
récent). Bref, les catholiques ont leurs noms sur des morceaux de
papier à en-tête de la République.
Dans un célèbre jeu d’enfant, la feuille de papier gagne toujours :
contre la pierre, qu’elle enveloppe et neutralise, contre le puits,
qu’elle recouvre et étouffe. Le papier gagne toujours, sauf contre les
ciseaux. Mais les ciseaux doivent être à bouts pointus, non pas à bouts
ronds. Foin des catholiques à bouts ronds, vive les catholiques à bouts
pointus !
*Matthieu Grimpret est professeur d’histoire, chercheur à l’Ecole doctorale de Sciences Po Paris, essayiste. Vient de faire paraître Dieu est dans l’isoloir, - Politique et religions, des retrouvailles que Marianne n’avait pas prévues, Presses de la renaissance, janvier 2007, 268 p., 18 €
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