Alzheimer et soins palliatifs : un grand défi
Alors que beaucoup de patients en fin de vie bénéficient de soins palliatifs pour que cette dernière se passe le mieu possible, un constat se fait : les soins palliatifs tel qu'ils sont définis sont difficilement applicables avec une démence.
La problématique
La problématique traite du fait d’instaurer des soins palliatifs chez une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Cette problématique soulève une multitude de questions éthiques et de questions relatives à la prise en soins d’une personne présentant une démence.
Dans le cadre de mon travail, nous parlerons d’une personne démente en fin de vie suite à une maladie comme un cancer ou une insuffisance rénale aiguë par exemple, qui souffre en plus d’Alzheimer, chez qui l’on veut cesser les soins curatifs, car leurs effets n’ont plus de bénéfices pour le patient et qu’on veut faire passer en soins de confort.
Les questions éthiques qui seront discutées portent principalement sur le fait qu’une personne démente n’a plus sa capacité de discernement et qu’il est donc difficile de savoir les volontés du patient concernant sa prise en soins. S’il ne souffrait pas d’une démence de type Alzheimer (abrégée DTA par la suite), aurait-il voulu une cessation des soins curatifs au profit de soins palliatifs ? Aurait-il voulu porter le statut « NTBR », (que nous définirons par la suite) ? Aurait-il voulu que la médecine utilise vraiment tous les moyens dont elle dispose pour le soigner, quitte à mettre en danger sa vie, comme une opération particulièrement délicate ou un nouveau traitement ? Nous n’en savons rien, car le patient, selon le stade de la maladie, n’est plus en mesure d’exprimer ses désirs par rapport à sa prise en soins, et nous ne savons même pas s’il comprend la situation. On se retrouve finalement devant un patient en quelque sorte, pour imager la problématique, sourd et muet, qui ne peut pas prendre de décision. A ce moment-là, va se poser la question de qui prend les décisions et avec quelle légitimité. Nous verrons que la famille peut intervenir ou pas selon la loi. Qu’une personne externe au cercle familial, bien que cela puisse être surprenant, peut prendre les décisions à la place du patient toujours selon un cadre législatif.
La seconde question est celle de la prise en soins du patient. Le but est d’instaurer des soins palliatifs. Ces derniers, avec un patient ne présentant pas de démence, s’instaurent d’une certaine manière, manière que nous verrons avec un cas concret que j’ai observé durant mon mandat d’aide-soignant. Dans le cas du patient atteint de la maladie d’Alzheimer, va se poser la question de la décision, hors cadre légal, et donc, uniquement basée sur les signes cliniques : à quel moment les soins palliatifs seront plus appropriés pour l’individu et où se trouve la frontière, toujours selon les signes cliniques (la partie législative est traitée dans les questions éthiques), de la mise en place de ces soins ? Comment ces derniers seront-ils appliqués ? Car les soins apportés à une personne non démente dans le cadre des soins palliatifs seront appliqués différemment chez une personne présentant une DTA, du fait justement de sa maladie.
Nous définirons bien sûr ce que sont les soins palliatifs, car ces derniers ne touchent pas uniquement le patient, mais également tout son entourage, et ces soins sont pluridisciplinaires et sont bien des soins et non pas du « laisser mourir ». Le but est de soulager, pas de guérir, cette notion est parfois dure à assimiler, perçue souvent comme un échec. Nous observerons aussi de plus près la maladie d’Alzheimer en décrivant son anatomo-physiopathologie.
Anatomo-physiopathologie de la maladie d’Alzheimer
Cette maladie a été découverte par le médecin psychiatre allemand Aloïs Alzheimer qui, à l’époque, maintenait dure comme fer l’idée que les troubles psychiatriques pouvaient s’expliquer par des lésions au niveau du cerveau et donc être considérés comme des maladies neurologiques. Grâce à l’avancée de la microscopie optique et de la coloration tissulaire, Alzheimer observait de nombreux cerveaux de personnes classées comme « démentes », mais uniquement des cerveaux de personnes âgées. Il observait des « plaques séniles » (que nous décrirons plus loin), ce que tous les médecins de l’époque observaient déjà, en mettant la cause de la « démence sénile » à ces plaques, définies comme normal chez une personne âgée et démente. Mais il observa également des fibrilles à l’intérieur d’une cellule saine, sans pouvoir l’expliquer. La célèbre patiente du Dr Alzheimer, Auguste Deter, patiente de 51 ans, présentant tous les signes de ce qu’on appellera plus tard « maladie d’Alzheimer », fut présentée au médecin. Il examina minutieusement le comportement de cette patiente pendant 4 ans, jusqu’à la mort de celle-ci à l’âge de 55 ans, et procéda à la dissection de son cerveau. Aloïs Alzheimer constata une atrophie cérébrale et fut très surpris de voir que le cerveau de cette femme, considérée comme peu âgée (moins de 65 ans à l’époque, date de la retraite dans l’empire allemand), présentait des plaques séniles. La sénilité n’était donc plus réservée aux personnes âgées. De plus, il observait des fibrilles dans les cellules saines. Il venait de prouver que non seulement la sénilité n’était pas forcément liée à l’âge mais, fait plus important, que certaines lésions dans certaines zones du cerveau induisaient les mêmes symptômes chez tous les patients. Il venait de découvrir et prouver la maladie d’Alzheimer.
Depuis Alzheimer, les techniques ont avancé et progressé, et l’on sait maintenant décrire les processus qui conduisent à cette maladie. C’est, en fait, la synergie de deux défaillances au niveau de deux protéines. La première, celle responsable des fameuses plaques séniles, est un peptide de 42 acides aminés, la β-Amyloïde, qui fait en réalité, dans des conditions normales, de la protéine APP transmembranaire. Dans un processus normal, cette protéine est clivée par trois sécrétases et donne des facteurs de transcription. La sécrétase qui clive l’APP dans un contexte normal est l’α-sécrétase, qui donne des peptides α de diverses sortes qui vont servir dans la signalisation ou la transcription cellulaire. Malheureusement, dans la maladie d’Alzheimer, une autre transférase, la β-transférase, va cliver le peptide Aβ1-42 (également appelée peptide β-amyloïde) de la protéine transmembranaire APP, ce fameux peptide à 42 acides aminés, qui ne doit normalement pas être clivé. Plusieurs Aβ1-42 vont s’agréger ensemble pour former des plaques amyloïdes qui vont se mettre dans les synapses des neurones principalement cholinergiques, réduisant ainsi l’influx nerveux. Au départ, des macrophages vont tenter de phagocyter l’Aβ1-42. Mais ces derniers vont vite se retrouver débordés, rendant leurs actions de plus en plus inefficaces. Ces plaques sont également cytotoxiques et vont donc amener à la destruction des neurones.
La seconde protéine qui va dégénérer est la protéine tau (tubulin-associeted unit), qui joue un rôle sur la tubuline, qui est une protéine essentielle pour le cytosquelette et surtout pour l’acheminement de certaines substances le long de l’axone. Cette protéine est stabilisée par la protéine tau, protéine qui, dans la maladie d’Alzheimer, va subir une hyperphosphorilation, ce qui va la rendre inutilisable pour la stabilisation des microtubules qui vont eux-mêmes dégénérer et provoquer la mort du neurone, principalement au niveau des axones, ce qui entraîne un amas de fibrilles. C’est la dégénérescence neurofibrillaire.
Ces deux anomalies du cerveau ne commencent pas dans n’importe quelle zone, elles vont naître dans l’hippocampe, siège de la mémoire, ce qui explique que les premiers symptômes vont être des pertes de mémoire. Puis à force, elles se propagent partout. Cela explique l’atrophie cérébrale des patients atteints d’Alzheimer, car la destruction de neurones provoque cette dernière.
Le premier symptôme de cette maladie, qui restera d’ailleurs tout au long de cette dernière, est l’amnésie, plus ou moins prononcée selon l’avancement de la maladie. Cette amnésie va tout d’abord toucher les souvenirs récents, comme par exemple ce que la personne a fait durant sa matinée ou l’oubli d’aller faire des courses. Les souvenirs anciens, eux, sont plus ou moins bien conservés. C’est en quelque sorte là que réside le problème dans les soins avec un malade Alzheimer : il affirmera gérer son traitement lui-même car, en effet, il y a 30 ans, il pouvait avoir un traitement qu’il gérait. C’est le fruit de ce que l’on appelle l’anosognosie : le patient oublie qu’il oublie. Puis les plaques myéloïdes et la dégénérescence fibrillaire se propagent petit à petit dans d’autres zones du cerveau, ce qui va toucher la mémoire sémantique du langage, ainsi que la mémoire culturelle et provoquer une altération de la mémoire prospective, celle qui nous permet d’organiser le futur et la méta-mémoire. Puis, d’autres symptômes comportementaux et psychologiques n’étant pas liés à la mémoire vont apparaître, tel que des troubles affectifs, des troubles comportementaux (agitations, agressivité, compulsions) et des troubles des instincts. Les symptômes comportementaux incluent cette fameuse non-reconnaissance des personnes. En fait, on se retrouve devant un malade qui pense qu’il est en bonne santé. Pourtant, le patient devient apathique, agnosique (ne plus reconnaître les gens et ne plus se reconnaître), amimique, aphasique avec une perte sévère du jugement (refus de consulter un médecin en cas de problème par exemple), une errance très marquée et une recherche permanente d’activités à faire pour donner un sens à sa vie, qu’il n’a finalement plus, et pour garder un certain contrôle sur son environnement (une ancienne femme au foyer va, d’un coup, se mettre à ranger les objets après les avoir dérangés, mais d’une manière totalement coupée de la réalité). Selon l’évolution des zones du cerveau touchées par les plaques amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire, on peut distinguer trois stades évolutifs de la maladie : Le stade précoce, le stade avancé et le stade sévère. Au stade précoce, on trouve des troubles du geste ou de la mémoire procédurale (perte de l’appellation des objets, ne plus utiliser l’objet selon sa fonction primaire), des troubles de la reconnaissance des proches et des troubles de l’abstraction (les malades ont du mal à imaginer des notions abstraites et futures). Au stade avancé, on trouve, en plus de tous les symptômes du stade précoce, une agressivité verbale ou physique. Enfin, au stade sévère, et à nouveau en plus des autres symptômes déjà énumérés, on trouve de la nervosité, de l’agitation, de la déambulation et de l’errance (ce qui est important : elle permet au patient de chercher du sens à son environnement ou exprimer son désarroi), des fausses accusations (très fréquentes, ces dernières servent au patient à maintenir une estime de lui-même), de l’indifférence, de l’apathie et l’apparition d’une dépression.
Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive, et le nombre de pages prévues pour ce travail m’empêche de la continuer, car il m’en faudrait le double pour énumérer et décrire chaque symptôme et ce qu’il a d’utile pour le patient. Mais nous en avons là les principaux. Une très bonne vue d’ensemble en soi pour continuer au sein de la problématique.
Données épidémiologiques, diagnostic et perspectives thérapeutiques
Selon l’OMS, la maladie d’Alzheimer représente 60 à 70% des causes de démence au niveau mondial. Les démences touchent, en général, 35,6 millions de personnes dans le monde et l’on répertorie 7,7 millions de nouveaux cas chaque année. Les malades atteints d’Alzheimer sont donc de 24,92 millions dans le monde.
Pour ce qui est du diagnostic de cette maladie, il existe des moyens, même pour la dépister précocement. A l’heure actuelle, on ne sait pas vraiment pourquoi la maladie va toucher une personne et pas une autre. Des causes génétiques pourraient avoir un grand rôle à jouer, mais pas seulement. Les causes environnementales joueraient aussi un rôle important. En fait, le diagnostic de la maladie d’Alzheimer n’est pas simple à poser. Il sera avéré à 100% lors de l’autopsie du cerveau du malade. À l’heure actuelle, il n’existe aucun test fiable à 100%, mais juste des faisceaux d’informations qui, regroupés entre eux, laissent supposer à 90% la présence d’une démence de type Alzheimer. La première batterie de tests est neuropsychologiques. On commence généralement par le score MMS (Mini Mental State Evaluation), test fait de questions qui vont donner un score de 0 à 30. Il permet un dépistage rapide et simple des déficits cognitifs. Si le résultat du test se situe entre 10 et 26, on peut supposer une présence de la maladie. Ensuite, il faut évaluer les déficits mnésiques, avec le test des cinq mots de Dubois, le test de l’horloge ou encore le BREF.
Par la suite, il y a les tests neuro-psychométriques. Ces derniers permettent de tester différents champs de la mémoire (mémoire visuelle, langage, mémoire de travail etc.). Parmi eux, on retrouve le test de Grober et Buschke, le test de la figure de Rey ou encore le D080. Ces tests sont réalisés avec l’aide de l’imagerie cérébrale, pour pouvoir observer les zones du cerveau qui s’activent.
Il n’existe pas de traitement contre la maladie d’Alzheimer. L’OMS recommande la stimulation des patients. L’ergothérapie donne aussi de bons résultats pour en freiner l’avancée. Des molécules existent pourtant, mais sont très récentes et ne guérissent pas. La première classe de molécules sont les anticholinestérasiques. Ces derniers maintiennent la cognition en empêchant l’acétylcholine, qui joue un rôle dans la transmission entre les neurones de la mémoire, de se dégrader. Il existe trois médicaments de ce type. La seconde classe de molécules sont les antiglutamates. Cette classe vise à bloquer les neurorécepteurs du glutamate, ces derniers étant responsables de l’excitation toxique du système nerveux central. Il n’existe qu’un seul médicament de cette classe. Les traitements ne sont donc pas nombreux et non curatifs. Le diagnostic précoce aide à mettre en place ces traitements, de même qu’un encadrement, qui visent à freiner l’évolution de la maladie d’Alzheimer.
Explication du concept des soins palliatifs
Comme définition des soins palliatifs, j’ai choisi celle publiée en 2004 par le « National Institute for Health and Clinical Excellence » la version anglo-saxonne de l’observatoire suisse de la santé, car elle me semblait être la plus parlante. Elle ne s’applique pas uniquement à la Grande-Bretagne.
« Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. L’objectif des soins palliatifs est l’accroissement de la qualité de vie des patients et leurs familles ».
Je me souviens d’une infirmière de l’unité mobile de l’antalgie et des soins palliatifs des HUG qui m’a répondu, quand je lui ai demandé ce qu’étaient les soins palliatifs : « Les soins palliatifs, c’est tout ce qui reste à faire quand il n’y a plus rien à faire ». On peut donc déjà dégager de cette première définition que les soins palliatifs sont des soins actifs et non pas un « laisser mourir ».
Une notion centrale en terme de soins palliatifs est le fait que presque tout est centré sur les désirs du patient. Calman et Hine dans leur rapport en 1995 disaient « l’implication et la consultation du patient doivent être intégrées à tous les niveaux de la prestation et de l’évaluation ». Selon Mills et Sullivan, la diffusion des informations au patient sur sa prise en soin fait que ce dernier a un certain contrôle, une diminution de l’angoisse, une amélioration de la compliance, une création d’attentes réalistes, la participation et la création d’un sentiment de sécurité. En fait, le patient et sa famille deviennent des partenaires incontournables dans la prise en soins future. Ils doivent donc être informés le plus précisément possible, pour pouvoir choisir, en partenariat avec l’équipe de soins. Le patient fait en quelque sorte partie de l’équipe de soins, bien plus que dans une unité de chirurgie digestive par exemple.
Il est vrai que, souvent, la médecine et les soins infirmiers possèdent toute une gamme d’interventions visant à maintenir une personne en vie, même en phase terminale d’un cancer par exemple, de par la pose d’une sonde nasogastrique si le patient ne peut plus s’alimenter de par lui-même, ce qui est courant chez des malades d’Alzheimer, de par l’hydratation par intraveineuse ou encore de par la réanimation cardio-pulmonaire. En fait, il s’agit d’accepter, pour le soignant, que les soins curatifs ne font plus d’effet et qu’ils ne sont peut-être plus appropriés. Le passage en soins palliatifs n’est pas un échec, car tout le monde mourra un jour, c’est simplement passer de la quantité de vie à la qualité de vie qui reste car, jusqu’à preuve du contraire, on est vivant jusqu’à notre mort ! Les soins palliatifs s’occupent donc des vivants et pas des morts. Du passage de la vie à la mort, avec comme objectif, le maintien de la qualité de vie, en priorité par le traitement antalgique, et ensuite par la prise en compte de ce que le patient et sa famille désirent comme type de vie en attendant l’heure fatidique. Là encore, les soins palliatifs préparent le malade, sa famille et ses proches à cet instant.
La problématique discutée
Nous sommes donc devant une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et d’une autre maladie, prenons, par exemple, un cancer du côlon. Partons du principe que ce cancer est devenu difficile, voire impossible à traiter et que le patient, que nous appellerons Pierre (ce cas est totalement fictif), va devoir passer des soins curatifs aux soins palliatifs pour rendre la fin de ses jours plus confortable. Soulignons qu’aucune loi, à ce jour, ne dit que lorsque les soins curatifs ont atteint leur limite, les soins palliatifs sont automatiquement mis en place. Pour ça, il faut un cadre légal. Il ne faut pas non plus confondre les soins palliatifs avec les soins de confort, ces derniers étant de toute façon instaurés en phase terminale, souvent chez un patient inconscient.
Toute personne est capable de discernement jusqu’à preuve du contraire, c’est ce que nous dit la loi sur la santé K1.03, votée et acceptée par le Grand Conseil genevois. Dans la maladie d’Alzheimer, à un stade relativement avancé, il est difficile de dire si la personne a encore sa capacité de discernement. Souvenez-vous des deux symptômes de la maladie qui apparaissent relativement rapidement : troubles de l’abstraction (du mal à se projeter dans le futur) et une perte sévère du jugement (ne plus savoir ce qui est bon ou pas pour soi-même). A partir du moment où l’on a prouvé que la personne n’était pas capable de discernement, plusieurs alternatives se présentent. Premier cas de figure, le patient a écrit des directives anticipées qui comprennent, toujours selon la loi k1.03, ses choix dans le cas où il ne pourrait plus les exprimer, ainsi que la désignation d’un représentant thérapeutique qui prendrait les décisions à sa place dans le cas où il n’aurait plus sa capacité de discernement. Retenons bien ce cas de figure, car il sera débattu par la suite.
Deuxième cas de figure, le patient n’a pas rédigé de directives anticipées. Son choix quant à son avenir est donc inconnu des équipes médico-soignantes. La question va alors se poser : faut-il continuer de tout faire pour guérir le cancer de Pierre, car c’est ce qu’il aurait voulu ou, faut-il cesser les soins curatifs et passer en soins palliatifs parce que c’est ce que Pierre aurait voulu ? N’oublions pas que nous sommes devant un patient tout à fait conscient, il n’est pas dans le coma, mais nous ne savons pas si il peut juger de la situation et prendre des décisions, surtout s’il est devenu aphasique. Dans ce cas, la loi K1.03 prévoit que les proches doivent prendre les décisions à la place de Pierre et l’on entend par proches une ou des personnes qui donnent au patient une assistance régulière. Généralement, c’est la famille, en particulier, les enfants du malade, qui seront désignés.
Selon moi, le premier cas n’a pas forcément lieu d’être discuté, tout d’abord car il y a une trace écrite du patient sur le choix de sa prise en charge future, alors que ce dernier avait sa capacité de discernement, et cela ne pose pas de problème d’éthique, mais plutôt de prise en soin du patient dans le cadre des soins palliatifs comme nous allons l’examiner.
Prenons plutôt le deuxième cas de figure, qui pose plus de problèmes éthiques. C’est sur l’éthique et la prise en soins que j’aborderai cette problématique.
Nous allons d’abord nous pencher sur le moment où il est plus bénéfique qu’un patient atteint d’un cancer incurable, comme dans notre exemple celui du côlon, bénéficie de soins palliatifs. Rappelons qu’il n’existe pas de loi concernant cette situation, il en va de la décision du patient ou, dans notre cas, de la famille. Un patient peut très bien vivre avec son cancer, arrêter les chimiothérapies, mais continuer à prendre des médicaments qui ralentissent l’évolution de ce dernier, comme j’ai pu le voir. C’est donc à la famille de décider. D’un côté, le fait de cesser tous les traitements anti-cancéreux revient à rendre la mort inévitablement plus proche, mais le passage en soins palliatifs éviterait des souffrances insupportables. Heureusement, la littérature scientifique, assez rare à trouver sur ce sujet, nous aide. Selon F.Lopez-Tores, S.Lefebebrve-Chapiro, D.Féténu,C.Trivalle dans leur article « soins palliatifs et maladie d’Alzheimer », la famille n’est pas entièrement seule pour prendre cette décision difficile. Le patient, même à un stade très avancé, peut exprimer ce qu’il ressent, cela va passer par le langage corporel uniquement, « La manière dont il (le malade) accepte ou repousse les soins constituent des indicateurs très précieux […] il faut savoir reconnaître le moment où un examen complémentaire ou un traitement devient source d’inconfort et est donc plus nuisible que bénéfique » (F.Lopez-Tores, S.Lefebebrve-Chapiro, D.Féténu,C.Trivalle). Ici, il est dit très clairement qu’un patient peut rejeter un traitement ou un examen complémentaire, même à un stade avancé. Ce refus ne découle pas forcément d’une grande réflexion faite par le patient qui n’est plus en mesure de la faire, mais d’un instinct primaire qui lui fait simplement dire avec le corps « j’ai mal » ou « je ne veux pas » ou encore « laissez-moi tranquille ». Le refus du patient doit donc être pris en compte, même si ce dernier présente tous les symptômes du stade sévère. Il n’en reste pas moins un être humain que l’on peut consulter par d’autres manières que la parole ou une réponse à une question. Ces nombreux signaux qu’envoie le patient à l’équipe soignante quant à son inconfort doivent être transmis à la famille. Leur décision sera facilitée, car c’est l’expression directe de leur proche atteint par la maladie. Comme le stipule la loi K1.03, pour la prise de décision, il faut des informations claires et appropriées, et tout professionnel de la santé doit y contribuer (version que j’ai simplifiée du texte original). Comme la personne n’est plus en mesure de comprendre ces informations, c’est la famille ou la personne désignée comme représentante thérapeutique qui doit avoir accès à ces dernières pour prendre la bonne décision. Comme je l’ai dit, le personnel soignant est une très bonne source d’information, mais attention, comme le dit le Pr Emmanuel Hirsch dans son article « Alzheimer, engagement éthique et soins », il ne faut pas tomber dans « les abus d’estimer ce que la personne aurait pu préférer alors qu’elle est dans l’incapacité de le formuler ». Le discours des soignants doit donc s’en tenir aux faits, sans plus. En résumé, dans la prise de décision, la famille n’est pas entièrement seule. Les manifestations du patient hospitalisé peut être une riche source d’informations, surtout quand on sait que 75% de notre langage est non-verbal, les équipes soignantes sont et doivent être consultables objectivement sur la dégradation du proche hospitalisé. Les médecins doivent également fournir à la famille toutes les données et alternatives qu’ils ont par rapport à un cancer incurable dans notre exemple, y compris les soins palliatifs, parfois difficiles à entendre, car intimement lié à la fin de vie. Après tout ça et au vu des connaissances qu’ils ont de leur proche malade quand ce dernier n’était pas atteint d’Alzheimer, ils pourront prendre la meilleure décision. Cette dernière restera quand même celle familiale et non celle du malade. S’il avait pu s’exprimer avec des mots, sa décision aurait-elle rejoint celle de la famille ? Une ébauche de réponse nous est quand même proposée : « De nombreuses études montrent beaucoup de diversité dans les préférences médicales. D’autant plus que le vécu du patient est différent de celui de la famille. Si une étude montre que 70,6% des familles de patients déments ne souhaitent pas d’intervention agressive lors de la phase terminale, d’autres montrent, au contraire, la faveur des proches aidants pour un traitement agressif, avec des chiffres de 46% à 69% d’aidants pour un traitement actif lors d’une infection ou d’une déshydratation et de 46% pour une réanimation cardiaque » (F.Lopez-Tores, S.Lefebebrve-Chapiro, D.Féténu,C.Trivalle).
Dans un deuxième temps, se pose le problème de la prise en charge du malade, partant du fait que ce dernier est dans une unité de soins palliatifs et qu’il est toujours atteint de sa maladie d’Alzheimer. La prise en soins d’une personne non démente ne va pas être la même que celle d’une personne démente, car « à ce jour, il n’existe toujours pas de conduite à tenir établie et validée pour les soins en fin de vie des patients atteints de démence » (F.Lopez-Tores, S.Lefebebrve-Chapiro, D.Féténu,C.Trivalle). C’est le bon moment pour nous rappeler l’une des règle de base des soins palliatifs : Le fait que les soins sont basés sur les désirs du patient, de son mode de vie au sein de l’unité de soins jusqu’à l’établissement de ses traitements médicamenteux. Le problème se pose donc avec un patient atteint d’Alzheimer. Si la personne est au stade précoce tout va bien, mais si elle en est au stade sévère, il est difficile de connaître les choix de cette dernière quant à ses désirs durant son hospitalisation, qui durera inévitablement jusqu’à une fin certaine. L’une des premières priorités en soins palliatifs est de connaître le confort du patient par rapport à la douleur, de part des EVA, des questions, des plaintes ou encore un examen clinique qui demande la participation du patient. C’est le premier problème auquel vont être confrontés les soignants, car dans le cas d’un patient non dément, cette évaluation se fait d’une manière précise et simple et ainsi, la dose d’antalgiques est précise et modulable selon ce que dira le patient sur ses douleurs. Dans notre cas, c’est plus compliqué. Il est prouvé qu’un patient dément recevra une antalgie beaucoup moins adaptée qu’un patient non dément, car les manifestations de sa douleurs vont être différentes (F.Lopez-Tores, S.Lefebebrve-Chapiro, D.Féténu,C.Trivalle). Heureusement, il existe des échelles d’évaluation de la douleur pour les patients déments ou inconscients. Il s’agit de l’Algoplus, de la Doloplus et de l’ECPA (voir en annexe ainsi que leurs domaines d’applications). Le second objectif pour les soignants, à défaut de connaître les envies du patient, est de maintenir la dignité de ce dernier, de le traiter et le soigner comme on le ferait pour un patient non dément. « Dans la relation de compagnonnage tellement spécifique , délicate et subtile que constitue le soin de la personne atteinte de démence, les valeurs à préserver touchent essentiellement à la qualité du rapport noué et entretenu avec la personne-alliance complexe et changeante qui ne peut jamais se satisfaire de concepts purement théoriques » (Hirsch) . Il est vrai que dans le métier de soignant, il y a une tendance à parfois prendre plus de temps pour les soins d’un patient non dément que pour ceux d’un patient dément, tout simplement parce que la discussion est plus simple. Pourtant et pour l’avoir expérimenté, la relation avec un patient atteint d’une DTA au stade avancé à sévère, ou le fait de créer une relation fait que le patient se sent plus relaxé dans les soins prodigués et fait preuve de moins de méfiance, comme un apaisé. Pour le soignant, il est plus facile ensuite de noter les moments durant lesquels le patient est plus dans l’opposition ou se sent plus inconfortable, signe qu’il faut peut-être changer quelque chose. Il faut donc toujours respecter le patient dément dans sa dignité d’être humain, ce qui est l’obligation de tout soignant.
Le dernier aspect de la prise en soins d’un patient atteint d’Alzheimer est qu’en moyenne, en soins palliatifs, en plus des soins de base, il y a plus d’une douzaine d’interventions à faire, qu’il faut planifier et réévaluer sans cesse, ce qui demande un travail énorme pour les infirmières et infirmiers.
En conclusion, je m’interroge sur la définition même des soins palliatifs du « National Institute for Heath and Clinical Excellence » qui nous dit que le but de ces soins vise l’accroissement de la qualité de vie du patient, sous-entendu dans les derniers moments de sa vie. Peut-on parler de bonne qualité de vie chez un patient atteint d’Alzheimer au stade sévère ? La maladie d’Alzheimer implique déjà une grande baisse de cette dernière, et les soins palliatifs tendent à offrir une meilleure qualité de vie à ces patients, mais dans le cadre d’une autre maladie comme le cancer. Les soignants pourront certainement y arriver, mais la démence restera toujours, et l’accroissement de la qualité de vie globale reste pour le moment impossible. Dans ce travail, j’ai voulu prouver qu’un patient dément pouvait bénéficier de soins palliatifs de qualité. J’étais très confiant et optimiste sur le fait que je pouvais le montrer. Je pense que pour le côté « soins palliatifs », j’ai prouvé que c’était possible. Mais le côté « qualité » me laisse un goût amer quand j’écris ces lignes, car au fur et à mesure de mes recherches, de mes lectures, de mes discussions, je me suis rendu compte qu’il y a encore de grosses lacunes en matière de prise en charge de patients en fin de vie, et ces lacunes doivent absolument être comblées par la recherche tant en sciences médicales qu’en sciences infirmières, car la démence touche de plus en plus de personnes et ces personnes ont droit à la même qualité de prise en soins qu’un patient non dément. Il faut trouver les moyens d’y arriver.
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