Anorexie : l’isolement en psychiatrie vu par Sabrina
C’est peut-être un signe, le jour de l’anniversaire de maman est paru un article intitulé « Anorexie : il faut arrêter d’isoler les jeunes de leur famille » sur le site www.pourquoidocteur.fr
Impossible pour moi de rester sans réaction sur ce sujet qui me tient à cœur. Les circonstances semblent réunies pour m’expliquer une fois pour toute sur ma fameuse colère. En espérant que mon message sera entendu…
L’article revient sur le fait que pendant longtemps les médecins ont estimé qu’il fallait isoler les adolescentes anorexiques de leur famille. On reconnaît à présent, études à l’appui, que c’est faux. En tout cas qu’il convient d’y recourir de manière adaptée. Le Dr Xavier Pommereau, responsable du Pôle Aquitain de l’Adolescent au Centre Abadie (CHU de Bordeaux) confirme :
« L’isolement familial pouvait atteindre plusieurs mois voire des années. On a beaucoup de mal à faire passer l’idée qu’on est délétère pour les familles et pour les jeunes ».
L’idée a déjà fait du chemin mais comme il le fait à juste titre remarquer elle est encore loin d’être admise par tous.
On pense parfois à tort que je suis « fâchée » et très en colère après la médecine. Après un type de médecine oui c’est vrai. C’est en cela que la présidente d’association que je suis essaie de collaborer au mieux avec les différents acteurs impliqués dans la lutte contre les troubles alimentaires et que je milite pour le recours à des techniques encore trop peu répandues à mon goût. Pas dans certains services où il faut croire que le recours à l’utilisation massive de psychotropes est toujours privilégié plutôt que des voies qui ont pourtant démontré une grande efficacité. Je pense à la Méditation de Pleine Conscience mais pas seulement.
Pour en revenir aux avancées faites en matière de prise en charge des TCA, elles sont réelles. Aujourd’hui on implique davantage les familles dans la démarche de soin. J’ai intégré une fédération dont le discours me convient. Je n’oublie pas les recommandations faites par la Haute Autorité de Santé ni le consensus international sur les soins ou le rapport au Sénat.
Cependant, est-ce « Parce que » des professionnels travaillent pour améliorer la prise en charge, que l’on doit se garder d’évoquer les expériences douloureuses de malades qui pêchent par le fait de ne pas avoir la chance d’être accueillis dans une structure adaptée et qui se retrouvent parfois parqué(e)s dans des services inaptes à les accompagner ? Les soignants les plus honnêtes le reconnaissent volontiers, se sentant démunis ou dépassés. D’autres, pour tout un tas de raisons, ne voudront pas le reconnaître. Et peuvent alors faire vivre un véritable drame à la malade mais aussi à la famille éjectée du processus de soin. En adoptant une posture d’autorité, en fermant le dialogue et en ne donnant pas d’explications sur les choix qui sont faits « dans l’intérêt du malade ». Parfois il en faudrait pourtant peu pour que la famille comprenne ou que la jeune finisse par entendre raison…
Malgré ce que l’on sait de la phase de déni et le manque de recul, je reste persuadée qu’avec amour et douceur on peut soigner le symptôme sans heurts. Même dans un univers peu engageant a priori. En se sentant écoutée et comprise il sera plus facile pour l’anorexique d’accepter la nourriture qu’on lui propose. J’ai encore du mal à comprendre que certains ne voient pas qu’ils se contentent de servir de la colère en boîte, sans imaginer les conséquences à moyen ou long terme sur le psychisme de la malade.
On ne peut tout de même pas fermer les yeux sur le nombre de rechutes (combien font « ce qu’il faut pour qu’on les laisse sortir ? »), de suicides ou de personnes traînant un mal être dont elles ne se débarrasseront peut-être jamais. Pour en avoir rencontré, des personnes « guéries » d’après leurs médecins, croyez-moi cela fait mal au cœur. A ces professionnels de santé je le dis clairement : je ne pense pas que les signes de la guérison sont d’avoir un poids normal et/ou des enfants ! Difficile de se mettre d’accord sur le terme guérison. Pour cela je suis tranquille, je ne l’utiliserai pas, quand bien même j’estimerai pouvoir le faire.
Ainsi j’ai parfois l’impression qu’il faudrait « taire » les loupés ou les choses qui peuvent encore être améliorées. C’est là que se situe ma colère : je suis capable de relever ce qu’il y a de « positif » comme de dénoncer ce qui mérite de l’être à mon sens. Le « pas de vague » et le discours prémâché me fatigue. Mettre de côté les problèmes ne permet pas de s’y attaquer je pense et je suis aussi contente de voir certains médecins capables d’avouer leurs limites, les lacunes et les aberrations de certaines prises en charge… Dans une optique d’amélioration globale et dans l’intérêt des patients.
J’ai été hospitalisée un an en hôpital psychiatrique dans des conditions plus strictes que l’isolement dont on parle lorsqu’on évoque l’isolement des anorexiques dans les services spécialisés.
Pas de livres, de télé, d’accès aux toilettes (bien sûr), attachée au lit, gavée 8h par jour, pas de suivi psychologique et souvent restant la seule patiente enfermée dans sa chambre d’isolement à l’étage tandis que tout le monde (patients, soignants) descendaient en salle commune ou au jardin l’après-midi. Plus de bruit, plus de « vie », seul le bruit du tic-tac de ma sonde naso gastrique et des craquelures à fixer au plafond.
Mon hospitalisation remonte à il y a 7 ans seulement et si je me suis lancée dans la lutte contre les troubles alimentaires en créant une association c’est aussi pour éviter à d’autres familles de vivre ce que nous avons vécu moi et mes proches.
Je suis bien sûr aux anges de collaborer avec des « anges », de connaître des Dr Lienard, Dr Pommereau et d’autres, mais je n’oublierai pas la haine et le mépris que j’ai pu voir dans les yeux de certains professionnels qui se sont occupés de la malade à mater que j’étais. D’autres médecins ne semblent pas au fait des avancées dont je parlais ou ne pas les prendre en compte et ne font pas le travail sur eux que suggère de faire le Dr Lienard dans son livre « Pour une sagesse moderne ». Cela aboutit la plupart du temps à un échec de la prise en charge et dans le pire des cas cela peut dessécher une âme…
J’essaie de porter un regard objectif sur ma propre histoire et je suis parvenue à expliquer bien des choses. Certaines choses ne s’excusent pas, même avec le recul et la maturité. Il faudra certainement des années de pratique de la Méditation de Pleine Conscience pour espérer guérir les blessures…
La médecine m’a sauvée physiquement, mes « anges » m’ont donné la force de réapprendre à vivre
J’aimerais parler en tant que Sabrina « Auteure », en tant que personne. Je le précise car cela évitera qu’on me reproche de ne pas savoir me dissocier de l’association.
Je crois avoir déjà beaucoup écrit sur cette colère. J’apprécierai que l’on me laisse tranquille avec, après tout j’ai le droit d’être en colère. Du moment que j’essaie d’en faire quelque chose d’utile et qu’elle ne m’empêche pas d’être heureuse.
Je reconnais que ce n’est pas toujours facile pour moi de ne pas me laisser envahir par les émotions et que je me rappelle de temps en temps à l’ordre lorsque je vois que la colère « destructrice » reprend le dessus au risque de voir mon travail compromis pour améliorer les choses.
Je parlais de conditions réunies pour écrire ce billet. Effectivement, je témoigne mardi 30 septembre lors d’un Colloque organisé par la Maison des Usagers de l’hôpital Sainte-Anne à Paris et destiné à faire un état des pratiques. Autant lorsqu’on m’a proposé de témoigner j’ai immédiatement accepté et j’étais ravie : preuve que mon vécu peut aider des professionnels à s’améliorer. Des professionnels qui se disent prêts à se remettre en question et à écouter ce qui leur vient « de l’extérieur ». Rappelons le, c’est n’est qu’ensemble (patients, familles et médecins) que nous trouverons la Lumière.
En réalité j’ai été secouée par cette histoire de Colloque. Je m’explique…
Cela fait des années que je travaille sur moi. J’ai avancé, j’ai grandi, j’ai évolué. Et surtout j’ai compris. J’ai admis beaucoup de choses et je suis maintenant capable d’entendre et de comprendre des choses au sujet de l’isolement ou de l’Hospitalisation sur Demande d’un Tiers que je n’aurai pu comprendre il y a quelques années, folle de rage comme je l’étais. J’ai su dire merci, pardonner ce qui pouvait l’être… J’ai eu droit à quelques éclaircissements au cours d’une conversation téléphonique avec le psychiatre de l’époque. Trop de blancs persistants, j’ai mis de l’amertume sur cette affaire et j’ai poursuivi ma route. Je ne sais pas si c’était totalement conscient mais je me refusais à me pencher sur le côté juridique et réglementaire de mon HDT. Peur de ce que j’aurais pu découvrir. Ou le sachant déjà en partie…
Cela n’a pas loupé lors de la réunion de préparation de ce colloque. Je me suis tue mais j’ai compris certaines choses. Et sans creuser le moins du monde le peu que j’ai entendu a suffi à raviver la colère. Colère que je ne tourne pas spécialement contre l’équipe soignante de l’époque, j’ai compris qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient sur le plan médical. Colère provoquée par l’injustice. Des progrès sont faits du côté des instances que j’ai mentionnées, des lois existent également. Et notamment la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades…
Je ferai un retour sur l’après Colloque, en attendant j’ai surmonté la tempête et je reste persuadée que mon témoignage peut faire avancer des choses. Concernant les répercussions personnelles je fais ce qu’il faut et je suis entre de bonnes mains.
Je fais des efforts pour comprendre les positions de chacun, jouer un rôle de médiateur, orienter les malades et espérer la meilleure entente possible entre tous, j’aimerais qu’en retour on fasse l’effort de reconnaître que ma colère n’est pas un caprice et qu’elle soit respectée pour ce qu’elle est : une réaction normale provoquée par l’injustice. Je n’ai besoin d’aucune loi pour ressentir cette injustice dans toute sa force et bien sûr je ne m’embêterai pas à chercher réparation car cela n’effacera pas le traumatisme et ne me rendra rien de ce que j’ai perdu cette année-là.
Je témoigne d’un cas particulier. Je me suis efforcée de montrer qu’il ne faut pas en faire une généralité. Lire ces propos du Dr Pommereau me fait du bien car cela me rappelle qu’il existe des « anges médecins ». Ceux qui partagent ma conviction que l’anorexie n’est pas qu’un problème de poids. Que soigner le symptôme est indispensable et que pour cela l’isolement parfois nécessaire sur une courte période mais qu’aider une anorexique à (ré)apprendre à vivre va bien au-delà.
J’ai été soulagée de voir que l’article que j’ai écrit sur le livre du Docteur Yasmine Lienard, « Pour une sagesse moderne : je suis pour docteur » lui a plu. Mieux que cela, il m’a valu le fait de me voir appelée « ange » moi-même ! Elle l’a immédiatement partagé accompagné de ces mots :
« Jamais personne n’avais parlé de mon livre et compris son intention ainsi. Il fallait que ce soit une de ces âmes combatives dans la douleur. Sabrina vous m’avez touchée et je vous souhaite la libération de toutes vos peurs. Merci »
Je ne suis pas la seule à avoir compris son livre, j’ai pris la peine de l’écrire tout simplement. Je sais au fond de moi que ce médecin a aidé bon nombre d’anorexique en prenant le temps de les comprendre. Les « anges » comme elle ne sortent pas ce genre de perles :
» Vous n’êtes pas à un poids critique mes patientes se retrouvent hospitalisées à 36kg.. Reprenez rendez-vous quand vous irez si mal… »
Ceci est une perle de médecin dont une Combattante m’a fait part mais il y en a tant d’autres ! Comme le dit un ami thérapeute : « On préfère les perles du bac, elles sont moins dangereuses ».
Ainsi on m’a dit de ne pas faire de mon cas une généralité et je suis d’accord. Toutefois, il se passe rarement deux jours d’affilés sans que je ne sois informée d’une situation bloquée, sans que des parents m’appellent pour me faire part de leur désarroi et leur colère, sans que des malades me disent se reconnaître dans mes écrits ou être dégoûtées de la médecine… Je n’ose croire que ces cas soient uniquement des cas isolés qui s’adresseraient tous à ma jeune association. Il apparaît donc clairement qu’il y a encore un fossé entre certains discours/la théorie et ce qu’on constate sur le terrain ou dans la misère de certains hôpitaux psychiatriques.
J’écoute les conseils et je me garde de faire des généralités, je témoigne de réflexions émanant d’un vécu personnel et ces réflexions méritent que l’on y prête attention je pense…
Je disais en introduction que j’espère être entendue dans ce message. En réalité c’est déjà le cas et je suis entendue par de nombreux professionnels.
J’ai donc bon espoir. Mon souhait est de voir de plus en plus d’informations de ce type (je parle de l’article de pourquoidocteur.fr) qui explique bien le rôle des soignants… Et replace le rôle des parents/de la famille, tout en les déculpabilisant d’ailleurs. Donner la parole à ces professionnels est une très bonne chose Et moi, je continue de donner la parole aux personnes restées en marge d’une prise en charge adaptée car si nos associations ne la leur donne pas qui d’autre le fera ? Ces témoignages et retours d’expérience permettent notamment aux professionnels de mieux comprendre qui ils soignent ou de prendre conscience de leurs erreurs pour ne pas les reproduire. Je suis contente de voir que certains vont de le même sens que ce que je viens de dire.
Je vois les évolutions. J’aime aussi entendre mes « Combattantes » parler en bien de leurs hospitalisations. Comme « Missbidi Bidibulle » qui déclare : « sur Bordeaux je suis tombée sur un médecin exceptionnel qui a pris le problème à l’envers m’a laissée ma famille. Il m’a sauvé la vie et je ne pourrai jamais assez le remercier ».
Je remercie pour ma part tous mes anges, ils se reconnaîtront.
Ce billet ne va peut-être pas plaire à tout le monde mais j’ai cessé de le vouloir à tout prix. Même pas à mes parents que j’adore mais à qui je me permets d’adresser un reproche au final. Ils ont beau avoir des tas de (bonnes) raisons pour s’être comporté ainsi et pour continuer de dire qu’ils « ont fait ce qu’ils pouvaient ». Ils bénéficient du fait qu’ils ont effectivement été tenu à l’écart ou culpabilisés et qu’ils n’ont pas eu accès à toute l’information. Du fait que leur propre éducation les empêche de se révolter comme d’autres le font pour leurs enfants victimes de violences ou d’injustice. Du fait qu’ils étaient sans doute à bout et usés par la maladie comme d’autres parents que je côtoie à présent et qui me permettent de mieux comprendre ce par quoi sont passés les miens. Au final il n’en reste pas moins qu’ils ont démissionné. En tant que fille et en tant que malade c’est le reproche que je leur fait.
Au risque de déplaire donc, j’opte en tout cas pour la sincérité et je ne crois pas que mes propos soient violents malgré le fond de colère. Grâce au travail sur moi, grâce au développement de mon sentiment de Compassion et l’aide que je reçois, je suis ok avec cette forme de colère. Je l’appellerai ma « bonne colère ».
Lors d’un groupe de parole à Clamart nous avons parlé de la Méditation (ainsi que de l’hypnose et d’autres approches) et on m’a posé des questions pour comprendre ce qu’est la Pleine Conscience. J’ai su en expliquer les grandes lignes mais n’étant pas « experte » je manque encore de précision.
J’ai en tout cas su vendre le concept il faut croire puisque deux participantes vont s’inscrire à des rendez-vous où je me suis moi-même inscrite (il faudra que je pense au statut VRP…).
Le Dr Yasmine Lienard en parle avec facilités, étant elle-même très avancée dans la pratique et ordonnée dans le Bouddhisme. Je vais donc la citer à nouveau mais je commencerai par rappeler que j’affirme dans L’âme en éveil faire de l’authenticité mon maître mot à présent.
Lorsque je lis ceci je suis bien sûr aux anges :
« Si l’on parle de bonheur, peut-on parler d’autre chose que de sagesse ? Il ne s’agit pas bien sûr du bonheur transitoire, mais d’un bonheur durable comparable à la joie de vivre.
Le bonheur serait la sensation d’être.
Le bonheur serait donc l’authenticité. [...] Disons que le bonheur ce serait d’être dans la vérité.
Et chercher à être dans la vérité nécessite bien sûr un effort de réflexion et d’analyse. Et cela s’apparente à la démarche philosophique. Mais ce n’est pas seulement la pensée logique cartésienne qui nous permet d’accéder à la vérité. La vérité est sous nos yeux et par une réelle présence, nous la percevons. La méditation est donc une voie cruciale pour cela ».
On comprendra certainement mieux encore en quoi le livre du Dr Lienard m’a profondément touchée. Il me semble que je m’efforce dans mon ouvrage de mener une véritable réflexion philosophique autour de mon anorexie qui dépasse de loin une simple perte d’appétit. Je parle d’anorexie mystique, de spiritualité… Ma vérité est là : une soif d’amour et des idéaux très forts.
Je parle de la Méditation que j’envisage comme étant l’unique voie qui me permettra de m’apaiser, d’accepter et me débarrasser de certains encombrements intérieurs. Mon intuition semble confirmée par ce que dit le Dr Lienard en tout cas.
Alors j’y travaille…
Comme un article signé Sabrina sans provoc n’aurait pas de sens, je conclurais par ceci : je suppose qu’en psychiatrie c’est un peu comme partout. Il doit y avoir le « fast food de la psychiatrie » comme le 3 étoiles… Pour en avoir parlé je sais que l’hôpital où j’ai été internée n’a pas bonne réputation. C’est peut-être un pot-pourri composé de barges encore plus barges que dans les autres lieux de barges…( ?)
Sabrina
Ps : après publication je n’aurai peut-être plus qu’à changer de métier…ou aller méditer ! J’opte toujours pour l’option B (pour le métier je m’en remets à mes anges).
Pps : à lire également, article sur « l’usage abusif de l’isolement dans les hôpitaux psychiatriques français » (journal Le Monde)
L’hospitalisation vue par une anorexique : le témoignage d’Alice
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