Comment et pourquoi l’hôpital public français est-il en train d’être détruit ? (Partie 2/2 : Les origines profondes)
L’actuelle pandémie de coronavirus (“covid-19”) est l’occasion de publier ce dossier approfondi sur l’état de notre système hospitalier.
La crise que traverse le monde hospitalier, depuis plusieurs années déjà, ne constitue que les prémices d’une mort annoncée. Les manifestations et les grèves régulières qui l’affectent nous le rappellent constamment.
Le fait est que nos hôpitaux et leurs personnels, déjà au bout du bout, ne pourront que très difficilement absorber un afflux supplémentaire de patients contaminés. Comme en Italie, il va falloir faire le tri entre les malades à sauver et ceux que l’on va laisser mourir, faute de moyens matériels et humains.
Pour mieux comprendre cette situation révoltante, nous décrirons dans les deux parties de ce dossier :
1. Les difficultés que rencontre au quotidien un hôpital pour se financer. (article précédent)
2. Les origines profondes de cet effondrement progressif du système, engagé depuis plusieurs années déjà, et menant à terme à la privatisation complète de notre système de santé. (article ci-dessous)
Nous soulignons que les mécanismes qui vous sont présentés dans ce dossier ne sont jamais explicités aux Français par quelque média que ce soit. C’est extrêmement regrettable.
L’Union européenne est à l’origine profonde du manque de moyens des hôpitaux français
Dans la première partie de ce dossier nous avons décrit l’effondrement de notre système de santé publique et illustré la façon dont cela est géré politiquement, c’est-à-dire un peu comme si l’on voulait éteindre progressivement une grosse machinerie complexe.
Nous allons maintenant étudier les origines profondes de ces choix politiques, puisqu’il s’agit bien de choix politiques délibérés, et à quoi ils vont nous conduire.
Il faut savoir que, chaque année, le gouvernement français publie, en annexe du projet de loi de Finances (PLF), et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), un document méconnu, le Rapport économique, social et financier (RESF). Méconnu au point qu’il ne dispose même pas de page Wikipedia.
Pourtant, ce RESF a le mérite d’être bien plus digeste que ces deux gros pavés que sont le PLF et le PLFSS, qui comptent des milliers de pages et dont certaines annexes font plusieurs centaines de pages.
Impôts, TVA, taxes, prélèvements à la source, RSA, prime d’activité, SMIC, CICE, TICPE, fiscalité écologique, CSG, minimum vieillesse, retraites, ISF, IFI, Sécurité sociale, AAH, APL, CAF, financement des services publics, des écoles, des hôpitaux, de la justice, des pompiers, de la dépendance, chômage, etc., c’est dans l’élaboration de ces deux lois (LF et LFSS) qu’est scellé le sort de tous ces sujets, et pas ailleurs.
Il faut savoir que, du fait de son appartenance à l’Union européenne, le gouvernement français est tenu chaque année de présenter à la Commission européenne, par le biais du RESF, la politique budgétaire qu’il compte mettre en œuvre pour appliquer les « recommandations » dictées par la Commission.
En voici un exemple, tiré d’une annexe du RESF 2018 pour le suivi des recommandations en 2017 : comme on le voit, il n’y est question que d’injonctions de réduire encore et toujours les dépenses publiques pour la santé.
Et bien entendu rebelote l’année suivante, pour l’annexe du RESF 2019 portant sur le suivi des recommandations de 2018 : il faut réduire encore et toujours les dépenses publiques pour la santé, en 2019 comme en 2018, de même que c’était demandé en 2017, 2016, etc., et que cela devait être demandé en 2021.
On voit ainsi qu’à plusieurs reprises dans cette annexe du RESF (1), le PLFSS est régulièrement et explicitement présenté comme une « mesure » pour répondre à la recommandation de la Commission de réduire les dépenses publiques.
Dans ces conditions, il n’y a pas à s’étonner d’un effondrement de la qualité des soins que les centres hospitaliers sont en capacité de prodiguer.
Et seuls les aveugles ou les politicards menteurs professionnels refuseront de reconnaître que la destruction progressive de l’hôpital public résulte directement de notre soumission aux injonctions constantes – année après année – de la Commission européenne.
Et voici maintenant les grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ), ou « recommandations », auxquelles répondent ces mesures évoquées dans les RESF.
Ainsi, de façon à peine voilée, la Commission européenne recommande à la France, dans ce rapport des GOPÉ 2019, de faire progressivement basculer son système de santé du secteur public vers le secteur privé.
Autre exemple tiré, lui, des GOPÉ 2018.
Il faut lire très attentivement ce paragraphe pour se rendre compte que, pour la Commission européenne, la santé est considérée comme un « service marchand » au même titre que tout autre, et sa mise en concurrence devrait lui permettre de se « développer ».
Parler de développement et de valeur ajoutée n’a évidemment pas de sens lorsqu’il est question d’un service public. Sauf si on considère que l’on va tout faire passer sous un régime privé.
D’ailleurs, dans un rapport officiel daté de 2009 (il ne semble pas en exister de plus récent), la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) évoque, sans complexe, le « taux de rentabilité » des hôpitaux publics. C’est très révélateur de l’imprégnation libérale qui règne dans notre haute administration publique.
La divergence public-privé est ici flagrante, et tout le monde est implicitement sommé d’admettre qu’à terme, une structure « non rentable » est vouée à disparaître.
Poursuivons notre analyse des GOPÉ (rapport de 2016).
Tel que c’est ici rédigé, on pourrait penser que ces objectifs « que la France s’est fixés » sont à l’initiative propre du gouvernement français. Sauf qu’en réalité ces « objectifs » ne sont que la conséquence des GOPÉ de l’année précédente…
La preuve avec les GOPÉ 2015.
Il est quand même assez humiliant pour le peuple français de découvrir qu’un document comme le PLFSS, clé de voûte de notre système de santé égalitaire et solidaire, est relégué au statut de simple « mesure » qui répond aux instructions d’une entité étrangère qu’il n’a même pas élue !
Rappelons au passage que ces GOPÉ ne passent même pas par les mains du Parlement européen ni par celles du Parlement français.
Par quelle folie a-t-on pu en arriver là ?
Après la ratification du traité de Maastricht et la mise en place de l’Union européenne en 1992, puis la mise en place effective de l’euro à partir de 1999, Bruxelles a imposé aux États membres, et donc à la France, un changement de politique, et le respect d’un certain nombre de critères dits “de convergence” économique, inscrits dans ledit traité de Maastricht.
La politique budgétaire restrictive, clé de voûte des GOPÉ, impose continuellement à la France de privatiser son système de santé et de diminuer ses dépenses publiques en matière de santé (en application des articles 106 et 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
Et cela, bien entendu, quels que soient les choix électoraux des Français : droite ou gauche sont sommées d’obéir aux engagements internationaux qui découlent de notre appartenance à l’UE, sous peine de voir la France déférée devant la Cour de justice de l’Union européenne (sise à Luxembourg) et d’y être à coup sûr condamnée pour violation des traités.
C’est pour cette raison que, lors du second mandat de Jacques Chirac (2002-2007), la “droite” a amorcé une série de « réformes » de l’hôpital par ordonnances, afin d’aller plus vite (loi d’habilitation n° 2003-591 du 2 juillet 2003, ordonnance n° 850 du 4 septembre de la même année). Et, comme nous l’avons montré dans la partie précédente de ce dossier, c’est durant cette période qu’est lancé le plan « Hôpital 2007 » instaurant la mise en place de la T2A.
Le graphique dramatique ci-dessous retrace la dégringolade de l’investissement dans les hôpitaux publics, qui a commencé à partir de 2009, sous la présidence dite “de droite” de Nicolas Sarkozy.
Mais la courbe a poursuivi exactement la même descente aux enfers à partir de 2012, sous la présidence “de gauche” de François Hollande.
Graphique extrait du rapport 2016 sur « L’évolution des modes de financement des établissements de santé » (p. 85), rapport signé par le docteur… Olivier Véran, actuel ministre de la Santé et des Solidarités !
Comme l’UPR ne cesse de le dire depuis sa création il y a 13 ans, ce système imposé par les traités européens et par les autorités bruxelloises vide donc complètement de sens nos élections nationales et le clivage droite-gauche.
Cette stratégie politique a volé son consentement au peuple français sous couvert du “monde de bisounours” de la prétendue “construction européenne”. Avec cynisme et fourberie, elle vise de facto à la disparition du service public et, par voie de conséquence, à l’effondrement des hôpitaux publics.
Si les Français ne le comprennent pas, et ne se ressaisissent pas en urgence en entendant l’impératif absolu de se libérer de la nasse de l’Union européenne et de l’euro, ils constateront à terme qu’ils ne disposeront plus que d’un système de santé à deux vitesses :
– le système de santé public, en plein naufrage, transformé peu à peu en mouroir destiné aux classes moyennes et populaires
– le système de santé privé, dispensant une médecine et des soins de qualité, auquel seuls les plus fortunés pourront avoir accès.
Bien évidemment, le gouvernement français – qu’il soit “de droite” ou “de gauche”, peu importe – ne prendra jamais le risque d’expliquer ouvertement ces objectifs, préférant opérer subrepticement, d’année en année, un glissement progressif d’un système de santé public vers un système privé.
Le 3 avril 2018, interviewé sur Europe 1, le professeur Philippe Halimi déclarait : « Il y a une tutelle administrative extrêmement lourde dans ce ministère [de la Santé] […] peut-être que certains n’ont pas forcément intérêt à développer une autre politique de santé pour l’hôpital public […] et la ministre doit composer avec… »
Ce qu’ignore très probablement ce professeur (et comment le saurait-il ?), c’est que cette « tutelle administrative extrêmement lourde » passe notamment par un service tel que le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), à l’origine de chaque édition du programme national de réforme (PNR) et vraisemblablement du RESF (2)…
Conclusion
À la lumière de ce dossier qui décrit les origines profondes de l’effondrement de notre système de santé public, les Français devraient pouvoir regarder avec un œil assez différent ce qu’ils subissent depuis tant d’années :
- assurances santé complémentaires privées devenues obligatoires (en 2009 sous la présidence Sarkozy), et très trompeusement appelées « mutuelles » ;
- baisse continuelle des remboursements de médicaments, quand ce ne sont pas des déremboursements complets ;
- dégradation constante de la qualité des services publics de santé, amenant nombre d’usagers à considérer, en toute bonne foi et très naïvement, que « c’est mal géré et qu’il n’y a qu’à tout passer au privé chez qui on est mieux ou plus vite reçu et soigné » ;
- alors que la qualité des services publics se dégrade, que le recours aux services privés exige toujours plus de paiements supplémentaires pour les usagers (surcomplémentaires, tarifs secteur libre, etc.), leurs impôts, taxes et « charges » ne diminuent pas ;
- des allégements et exonérations de cotisations sociales consentis aux entreprises par le gouvernement qui ne sont pas compensés par l’État, alors que la loi Veil le lui imposait, creusant ainsi de 4,2 milliards le déficit de la Sécurité sociale, selon le Sénat (3).
Dans le tableau ci-dessous, tiré d’un document de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) relatif au PLFSS 2020, on peut voir précisément où la France compte, encore cette année, réaliser les économies exigées par Bruxelles. Toujours plus d’économies qui appauvrissent inéluctablement les établissements hospitaliers.
Analyse et propositions 2019 de l’UNIOPSS relatives au PLFSS 2020, p. 6.
Rappelons à cette occasion que la contribution nette annuelle actuelle de la France au budget de l’UE (qui est amenée à augmenter dans le nouveau budget post-Brexit) correspond à la construction de 250 hôpitaux par an, ou à l’embauche de 350 000 infirmières !
Avec un tel système, les hôpitaux ne seront plus jamais à l’équilibre, c’est une évidence.
La T2A est une ineptie en soi : comme nous venons de le voir, son objectif de fond est de progressivement supprimer le service public en l’étranglant financièrement et en le faisant entrer dans une course impossible à la rentabilité. Un point c’est tout.
Il est utile également de confronter ces réalités avec le premier discours hallucinant du président Macron sur le covid-19, le 12 mars 2020 :
« Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties.
Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans conditions de revenu, de parcours ou de profession, notre État providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe.
Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie.
Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai… »
Comment Macron peut-il oser tenir un tel discours quand, « en même temps », il se pose comme le chantre du mondialisme et de la privatisation de tout ?
Comment peut-il dire cela aux Français alors qu’il est le produit et l’exécutant mis en place par une oligarchie pour mener à bien ces idéologies ayant conduit à ce que nos hôpitaux ne soient plus en capacité, que nos médicaments et des dispositifs aussi banals que de simples masques ne soient plus fabriqués qu’à l’autre bout du monde, plaçant ainsi notre nation en situation de totale dépendance vis-à-vis de l’étranger ? (4)
Comment peut-il lui-même qualifier de « folie » l’idéologie dont il est pétri et le serviteur zélé ?
HIPPOCRATE & RAGE (pseudonymes des deux co-rédacteurs de ce dossier, travaillant depuis de nombreuses années dans le domaine de la santé et qui souhaitent conserver l’anonymat pour des raisons professionnelles)
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Nous parlons bien d’une annexe d’un document qui est lui-même annexé à d’autres documents (PLF et PLFSS) ! Comme quoi, il faut vraiment creuser… Les lecteurs assidus du site www.upr.fr reconnaîtront que ce tableau est structuré de façon similaire aux tableaux de l’annexe 1 des programmes national de réforme…
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Même si nous n’avons pas identifié la preuve formelle que le SGAE serait le rédacteur en premier chef du RESF, alors que c’est une certitude concernant le PNR, cet exemple de document démontre qu’il est à tout le moins la source des données utilisées pour sa rédaction. Et dans la mesure où le tableau annexe du RESF que nous présentons dans ce dossier s’intitule « Suivi des recommandations : liste des mesures depuis le PNR » , le SGAE ne doit vraiment pas être très loin…
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« La loi Veil du 25 juillet 1994 avait prévu une compensation intégrale de l’État des allègements et exonérations de cotisations sociales aux caisses de la Sécurité sociale. L’an dernier le gouvernement est revenu sur cette loi Veil en choisissant délibérément de ponctionner dans les recettes de la Sécurité sociale. Cette absence de compensation pèse très lourd sur le budget de la Sécurité sociale, puisque cela fait passer le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse de 1,2 à 5,4 milliards d’euros. » (source : Assemblée nationale)
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Dans le genre, M. Macron n’est pas à son coup d’essai. Par exemple en février dernier il tenait devant notre armée un discours tout aussi contradictoire.
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