Des services hospitaliers et des médecins fantômes
Comment l'activité libérale du service hospitalier privé laisse émerger des services d'hospitalisations sans médecins. Exemple en cancérologie.
Psychologue en cancérologie dans une clinique privée (je garderai l’anonymat), ayant travaillé dans le secteur public hospitalier et dans le privé à but non lucratif, j’ai pu comparer les trois systèmes. Pas tant du point de vue de leur activité, de leur fonctionnement et de leur querelles affichées (et entretenues par les concernés). Mais du point de vue des patients, des malades donc. Et plus particulièrement des « grands » malades, ceux dont la prise en charge s’étale sur au moins 1 an, soigné en hospitalisation, en ambulatoire, bref…ces malades qui passent par tous les services (médecine, chirurgie, réanimation, soins de suite…). Pour faire clair, les malades qui ont la vision la plus globale, et donc souvent la plus juste, du système de soin privé.
Hôpital Public Vs Clinique Privé ? Tout le monde a son idée des différences. Au public les urgences et les clochards, au Privé les services qui rapportent. Au public les soins palliatifs et les vieux, au privé les maternités et les consultations libérales à tout va, parfois sans fondement médicaux clairs.
Je ne veux pas dresser une image (une idée ?) du privé sur ces généralités, caricaturales, quoique souvent vraies. Cela n’est pas à ma portée. Par contre, ce qui est ma portée, et ce dont les médias parlent peu, c’est le vécu des malades. Ce vécu que l’on tend à résumer par des enquêtes de satisfaction, instruments à la mode, mais à la validité méthodologique pauvre. Tout le monde est satisfait des soins… si la question posé est : « pensez-vous avoir été bien soigné ? » Dans l’ensemble, le privé et le public soignent bien. Heureusement et l’honneur est sauf. Sauf, justement, qu’on ne pose jamais la question suivante : « qu’avez-vous ressenti concernant l’humanité de votre prise en charge ? » Autrement dit : comment vous-êtes vous senti considéré ? Et là, si l’on laisse de côté la prise en charge paramédicale, souvent formidable, on comprend comment la logique financière du système privé éprouve jusque dans les chairs. Les remarques qui vont suivre n’engagent que moi et ne reflètent la réalité que d’une seule clinique. Mais il n’y pas de raison qu’elle fasse exception, les logiques en question étant partagées par tout le système à but lucratif.
Les cliniques privées emploient des médecins en activité libérale. En oncologie, cela veut dire consultations et chimio/radiothérapies ambulatoires. Mais ce type de service ambulatoire doit se doter d’un service d’hospitalisation pour gérer les patients dont l’état se dégrade. Or, les mêmes médecins qui soignent ces mêmes malades, ne se détachent pas de leur activité libérale. Ils ne montent pas dans les services, ou quelques minutes pour 20 patients. Il arrive que les malades hospitalisés ne rencontrent aucuns médecins pendant plusieurs jours, voire une semaine. Les visites médicales du matin sont de pure convenance. Rien ne s’y joue. Les familles n’ont pas accès aux médecins, sauf sur RDV, avec une attente de plusieurs jours parfois. Bref, des malades sans médecins. Pour changer une prescription (acte médical simplissime), il faut, alors, joindre un médecin non présent physiquement. On perd du temps, et tout se fait par téléphone, sans contact médecin-malade.
Forcément, dans ces services, il y a des fins de vies, les malades meurent. On veut donc faire du palliatif et ont en fait, n’importe comment souvent. Médecin injoignable par les familles en toute fin de vie (laissant émerger des confusions regrettables entre sédation terminale et euthanasie), infirmière non formées, sans appui et soutien médical. Ce sont des médecins oncologues, techniciens avant tout, non formés aux soins palliatifs, qui gèrent, en fantôme et de loin, des fins de vies. Période la plus critique.
Cette évolution est symptomatique des prises en charges dans le privée : à la base, des consultations libérales. Mais elles nécessitent une continuité sous forme d’hospitalisation. Sauf que les médecins, contrairement aux malades, ne montent pas dans les étages. Voilà comment la pratique libérale en milieu hospitalier en vient à créer des services, où, parfois, ne passent aucun médecin en 24 heures (sauf pour déclarer un décès, quand même). Ou comment l’activité libérale semble être en contradiction avec la médecine hospitalière pure, celle que le service public sait encore pratiquer. Pour combien de temps encore… ?
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