Doit-on soigner tout le monde ?
Au nom du serment d’Hippocrate faut-il soigner tout le monde ? Oui, répondit Henri Dunant, en bâtissant un hôpital près du champ de bataille de Solferino pour y soigner pêle-mêle les soldats blessés des deux camps selon la devise : « Tutti fratelli » (tous frères) ! Mais le célèbre ophtalmologiste, Yves Pouliquen, vient poser la question dans son livre « Le Médecin et le Dictateur ».

La chaîne Arte rendait hommage à Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, par un téléfilm diffusé vendredi 25 janvier. C’est avec Henri Dunant que l’humanisme médical occasionnel prit une dimension éthique internationale. Le Pr Pouliquen a soigné le dictateur albanais Enver Hoxha. Il vient de publier un livre et pose une question éthique majeure : est-il juste qu’un médecin contribue à rétablir la santé d’un individu nuisible à ses contemporains ?
Henri Dunant et l’humanisme médical
Le téléfilm biographique du fondateur de la Croix-Rouge diffusé vendredi 25 janvier sur Arte, sobrement intitulé "Henri Dunant", montre comment un homme seul parvient malgré tout à faire imposer le principe de neutralité pour le secours aux blessés sur les champs de bataille. Personne ne croyait alors à la réussite de cette idée, pas même les généreux philanthropes qui traitèrent avec Henri Dunant. Ce n’est que par l’obstination incroyable de cet homme que les Etats signèrent un accord. Le téléfilm a choisi de montrer la période de la vie d’Henri Dunant où il fait aboutir son projet malgré les résistances très fortes de toute la société. Il ne relate pas les quarante années d’oubli et de solitude qui ont suivi ce fait historique, oubli dont Dunant sortira pour recevoir le tout premier prix de la fondation Nobel.
Les limites du serment d’Hippocrate
Le Pr Pouliquen est un ophtalmologiste de renommée internationale. Il est aussi chef de service de l’Hôtel-Dieu. Son patronyme trahit des origines bretonnes, mais il est né dans la Manche. En 1979, il s’est rendu à Tirana pour soigner le dictateur albanais Enver Hoxha. Il évoque ce voyage et la relation mystérieuse et extravagante avec le tyran dans son livre Le Médecin et le Dictateur. Il s’y interroge à voix haute sur les limites du serment d’Hippocrate et y répond que l’application de l’obligation de soigner s’appliquait dans ce cas précis. Mais interrogé dans le Quotidien du médecin à propos du cas Hitler, il admet qu’il aurait transgressé le serment et se serait comporté en assassin.
Enver Hoxha a régné en maître sur l’Albanie durant quarante ans, entre 1945 jusqu’à sa mort en 1985. Le Pr Pouliquen devait lui rendre une seconde visite en 1984, mais l’ambassadeur d’Albanie annula le voyage au tout dernier moment. Cet exemple illustre la personnalité paranoïaque d’Hoxha affirme le Pr Pouliquen qui a soigné de nombreux chefs d’Etat.
Felix Kersten, le médecin du diable
Mais il existe une manière de pratiquer la médecine auprès des puissants en temps de dictature en évitant de trop se compromettre et même en jouant un rôle utile. Il s’agit cependant d’une trajectoire tout à fait singulière, liée à des circonstances exceptionnelles, que nous relate le documentaire d’Emmanuel Amara diffusé sur France 5 lundi 28 janvier à 21 h 40 : Felix Kersten, le médecin du diable.
C’est l’histoire incroyable du médecin personnel de Heinrich Himmler pendant la Seconde Guerre mondiale et qui deviendra la coqueluche de la haute société. Peu avant le début de la guerre, il est introduit auprès de Himmler, chef suprême de la SS, qui souffre de maux d’estomac. Kersten accepte de devenir son médecin, à la condition de ne pas faire de politique. Il renoncera à ses honoraires contre la libération de prisonniers politiques ou homosexuels. En 1945, 60 000 Juifs échapperont ainsi à la mort, Kersten étant parvenu à convaincre Himmler qui sentait que la guerre était perdue. Dix jours avant la mort de Hitler, Kersten organise une entrevue à Berlin entre Himmler, organisateur de la solution finale, et Norbert Masur, un représentant du Congrès juif mondial. En sortira l’engagement que les déportés ne soient plus exécutés et que les camps ne soient pas dynamités.
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