Gêneuse pour la neige...
Qu’a donc fait cette hydrologiste allemande de réputation internationale pour mériter ce qu’elle subit aujourd’hui ?
Comme chacun sait, réchauffement climatique oblige, les stations de sports d’hiver doivent en cas de pénurie de neige, mettre en route les canons à neige, gros consommateurs d’eau, et qui provoquent d’autres problèmes. lien
Un canon à neige est un appareil qui permet de fabriquer de la neige artificielle (ou de culture) lorsque le temps est suffisamment froid, (maximum -3°) et qu’il y a de l’eau à disposition en abondance. lien
Dans un article du « Monde » (19 février 2006) Jean Louis Andréani évoquait la dangerosité des canons à neige.
Serge Lepeltier, ancien ministre UMP de l’écologie a lancé une association « valeur écologie » pour demander au gouvernement un moratoire sur l’implantation de nouveaux canons, et il réclame des études d’impact. lien
Moutain Wilderness indique que les canons à neige des stations utilisent des millions de m3 d’eau (12 millions pour la saison 1999-2000 et 13 millions pour la saison 2004-2005). lien
A titre de comparaison 10 millions de mètres cubes d’eau représentent la consommation d’une ville de 170 000 habitants. lien
Les pistes de ski utilisant la neige artificielle couvraient déjà en 2004 4000 hectares, pour 185 stations ( lien) ce qui est énorme si l’on met en parallèle la consommation d’eau pour la production de maïs (1700 mètres cubes à l’hectare) alors que les canons à neige en consomment 4000 mètres cubes. lien
85% des stations de ski du bassin RMC (Rhône Méditerranée Corse) sont équipées de canon à neige, et il faut 1 mètre cube d’eau pour faire 2 mètres cubes de neige artificielle. lien
Cette eau est extraite, pour 55%, des réserves collinaires, 30% des cours d’eau, et 15 % du réseau d’eau potable.
Lorsque l’on sait que l’eau potable est de plus en plus précieuse, on peut s’interroger raisonnablement sur la pertinence de son utilisation pour faire de la neige artificielle, d’autant que çà génère des conflits dans au moins le tiers des stations.
De plus, en cas de pénurie d’eau, c’est l’eau usée des stations d’épuration qui est utilisée, ce qui pose un problème évident lors de la fonte des neiges. lien
Bien sur, pour prélever de l’eau dans le milieu naturel, il faut une autorisation (article 10 de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992), et l’exploitation de compresseurs d’eau de forte puissance est soumise à autorisation préfectorale. (Loi du 19 juillet 1976).
Ces deux contraintes ne posent apparemment pas de problème.
Et pour arranger le tout, il n’y a pas de réglementation spécifique pour les installations d’enneigement artificiel. lien
D’autant que les instances européennes (AEE) voient plutôt d’un mauvais œil la multiplication de ces installations. lien
Il faut ajouter qu’au moins 1/3 de l’eau prélevée pour les canons à neige se perd en évaporation, et ne retourne pas sur le même versant.
20% des pistes sont équipées de ces appareils pour le bonheur plutôt mitigé des riverains, car outre qu’il sont grands consommateurs d’eau, il sont également bruyants. (60 à 80 décibels) ce qui est d’autant plus gênant puisqu’ils fonctionnent la nuit.
Lorsque la température est plus douce, on peut, en utilisant l’iodure d’argent, fabriquer de la neige artificielle. lien
On se souvient que les Chinois l’avaient utilisé pour chasser en partie la pollution de l’air, lors des jeux olympiques de Pékin de 2008. lien
En novembre 2009, les météorologues chinois, en libérant dans l’air des petits bâtonnets d’iodure d’argent, avaient provoqué d’énormes chutes de neige, paralysant Pékin. lien
Or lorsque la neige fond, les particules d’argent asphyxient la végétation, détruisant les bactéries, et donnant une « belle » couleur rousse à la verdure montagnarde, du plus vilain effet.
Et puis il y a le « snowmax » fabriqué par l’américain York Snow Inc.
C’est un additif qui provient de la culture d’une bactérie (Pseudomonas syringae) qui permet de favoriser la formation du gel.
Ce produit n’est pas autorisé partout, et son impact sur l’homme et l’environnement n’est pas encore bien connu.
L’avantage de ce produit est qu’il permet de produire de la neige à des températures encore plus élevées.
Une première étude à été réalisé en France et en Italie, laquelle n’a pas mis en évidence la présence de cette bactérie dans la neige, concluant quand même timidement qu’il pourrait y avoir des « effets faibles et à long terme », provoquant la joie du fabricant de ce produit, dont le chiffre d’affaire était déjà de 40 millions d’euros en 2003.
Pourtant la messe n’est pas dite.
Nicole Cabret, dans un article paru dans « Le Monde » du 23 avril 2004 soulève les questions qui dérangent en donnant la parole à Françoise Dinger.
Celle-ci était ingénieur-chercheur au Cemagref de Grenoble) et affirmait que le « snomax » favorisait le développement des micros organismes dans la cuve, les gouttelettes projetées par le canon à neige se transformant en petits cristaux de glace infectés. Elle pense « qu’il faudrait engager un programme de recherche spécifique sur la survie et le développement de ces agents pathogènes dans la neige ». lien
Un autre inconvénient est sa dureté : la neige fabriquée artificiellement est 50 fois plus dure que la neige normale (c’est quasiment de la glace) et les skieurs accidentés sur une piste de neige artificielle en gardent un très mauvais souvenir…repartant souvent sur des brancards.
La géographe et spécialiste de recherche interdisciplinaire appliquée en montagne Carmen de Jong dirigeait une unité de service (UMS 3046) appelée Montagne appartenant simultanément au CNRS, (centre national de la recherche scientifique) et à l’Université de Savoie jusqu’à 2009.
Son unité était installée à l’institut de la Montagne, à l’Université de Savoie près de Chambéry.
Ses travaux de recherche et d’information scientifique, reconnus sur le plan international abordent notamment les problèmes posés par la neige artificielle.
Elle avait obtenu d’importantes subventions européennes pour mener ses recherches dans le cadre du programme Alp-Water-Scare (qui étudie la pénurie de l’eau liée à la fabrication de la neige artificielle) (lien)
Elle était personnellement à l’origine de ce programme qui à donné une dimension internationale à l’Institut de la Montagne. lien
Or son financement a été brusquement coupé, ses responsabilités au niveau français et européen lui ont été retirées et les bureaux qu’elle occupait ont été attribués à d’autres chercheurs.
Sa page Web a disparu du site de l’Institut, ainsi que son adresse postale, car elle n’est plus considérée comme faisant partie de l’Institut.
« Ces décisions ont été prises unilatéralement par le président de l’Université de Savoie, sans consulter les conseils statutaires compétents » raconte-t-elle...
Qui cela dérangeait-il ?
Laurent Reynaud est le puissant directeur du SNTF (syndicat national des téléphériques de France) et entre lui et Carmen, le courant ne passe plus depuis une entrevue qu’elle avait accordée au « Dauphiné libéré » : elle avait projeté une image humoristique montrant un canon à neige crachant des liasses de billets de banque. lien
La région Rhône-Alpes espère bien obtenir les jeux olympiques d’hiver, de 2018 à Annecy. lien
Or, une réglementation freinant l’utilisation des canons à neige serait du plus mauvais effet pour la réussite de ces jeux.
Vancouver en a fait la cruelle expérience lors des J.O. de 2010. lien
Tout le monde n’est pas d’accord avec cette candidature puisque le 20 novembre 2010, une manifestation contre les J.O. à Annecy aura lieu devant la mairie de cette ville. lien
Et puis l’activité hivernale dans les stations a connu une baisse sensible (un recul de 4% par rapport à l’an dernier).
Elle génère malgré tout 120 000 emplois dans 220 stations, avec 60 millions de nuitées l’hiver dernier. lien
En réalité, pendant que les grands financiers français et les multinationales délocalisent à la recherche des plus bas salaires, des savoyards se voient obligés d’accepter des emplois saisonniers destructeurs de leur propre environnement.
Cette situation génère une dépendance des élus par rapport aux « industriels » de la neige, et exerçant par là une pression sur les instances universitaires. lien
Il fallait donc empêcher Carmen de Jong de nuire, la meilleure des façons étant de la priver de crédits, et de responsabilités.
Depuis, la situation de la géographe est bouchée, et les tentatives de discussion s’avérant vaines, Carmen a finalement écrit en octobre à la présidence du CNRS pour demander l’annulation de sa décision d’avril 2009 prononçant la suppression de son unité.
L’affaire est aussi dans les mains de la justice, puisque Carmen a demandé l’annulation des décisions prises « pour violation de la loi et excès de pouvoir des décisions prises par la présidence de l’Université de Savoie ». lien
Elle pense à juste titre être victime du lobby des stations de ski.
« Ils veulent me faire taire parce que je fais trop de vagues ».
Elle commence malgré tout à avoir quelques soutiens, comme celui de Renée Alice Poussard, conseillère régionale écologiste, qui lance l’alerte « il faut sauver le soldat De Jong (…) la neige de culture est devenue sujet tabou depuis que la candidature d’Annecy aux J.O. 2018 entraîne l’obligation d’équiper toutes les stations de canons à neige, en regard d’une situation globale de l’enneigement d’ores et déjà critique en bien des endroits ; ce qui ne va pas aller en s’arrangeant vu les données enregistrées en prospective parfaitement alarmante en matière de changement climatique en cours ». lien
Et puis Malika Benarab-Attou, une députée verte au parlement européen l’a soutenue publiquement comme le raconte « le canard enchaîné » lien
Pour l’instant, la présidence du CNRS fait la sourde oreille.
Un journal savoyard, « La Voix des Allobroges » lève vaillamment un coin du voile sur cette « affaire sensible ».
Le 2 septembre 2010, il titre son article « le président de l’université est la marionnette des élus » et évoque « la mise à mort universitaire de Carmen de Jong ». lien
Sur TV Net Citoyenne, elle est interviewée sur cette vidéo
La presse internationale s’en est aussi émue : Le « Sunday Times » évoque les lobbys qui seraient à l’origine de l’éviction de cette scientifique. lien
Il faudrait aussi que cette courageuse jeune femme trouve un appui populaire et qu’une pétition soit lancée ?
Cet article veut y participer,
Car comme dit mon vieil ami africain :
« Petit marteau casse gros cailloux »
L’image illustrant l’article provient de « valeur-ecologie.fr »
Autres éléments d’information :
Neige éternelle ? La neige artificielle en question. Fabrice Lardreau - La montagne et l’alpinisme, numéro de janvier 2003
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