La condition des internes en médecine : la réalité éclate
Ci-dessous, le cri d'alarme adressé par des internes en médecine aux candidats à la présidentielle.
A ce jour, seul un candidat a daigné répondre, se contentant de dire qu'il n'était pas d'accord avec la politique menée actuellement, ce qui ne constitue pas une réponse aux questions clairement posées.
Sans appel...
Mesdames et Messieurs les candidats à la Présidence de la République,
Je me permets de vous saisir sur un sujet grave qu’aucun membre de la
classe politique n’a encore abordé et qui semble méconnu, à savoir la
condition des internes en médecine. Je vous saurais gré de me faire
part de votre position et de vos engagements en la matière.
Avant tout, il est important de comprendre que, en vaste majorité, les
internes aiment leur métier, respectent profondément la formation
prodiguée par leurs supérieurs et restent attachés à la sécurité et au
bien-être des patients.
Sans tomber dans les excès de langage habituels des revendications,
les internes sont, en France, victimes d’une exploitation bien trop
sous-estimée. Ne bénéficiant d’aucun statut propre, d’aucun
encadrement légal, il n’y a par conséquent aucune limite à l’abus qui
est fait de leur main d’œuvre à bas coût, principalement à l’hôpital.
Les chiffres qui suivent vous seront probablement plus parlants. Je
vous invite à les vérifier pour vous rendre compte de leur véracité et
donc de la gravité de la situation.
En hôpital, un interne travaille jusqu’à 80 heures par semaine, jamais
moins de 50 heures. Les heures supplémentaires ne sont ni rémunérées,
ni rattrapées. Et pour cause : l’interne, qui reçoit, consulte,
soigne, diagnostique et prescrit au même titre qu’un médecin
titulaire, est considéré comme simple stagiaire et n’a par conséquent
officiellement pas de nombre d’heures de travail fixe.
Il doit donc se plier aussi servilement que de besoin aux nécessités
du service. Il faut souligner que le fonctionnement des services
hospitaliers repose autant sur l'effectif des internes que sur celui
des médecins titulaires (appelés "seniors"). Dans certains cas, même
si la présence des seniors est une caution, le travail est parfois
assumé par les seuls internes. L’exemple le plus flagrant concerne les
gardes de nuit où l'interne travaille 24 heures d’affilée sans aucune
pause, avec tous les risques que cela comporte. La nuit, le senior,
censé travailler au même rythme, dort dans sa chambre de garde mais
"reste joignable si besoin", en sachant qu’un interne qui dérange un
senior pendant son sommeil rémunéré sera considéré comme incompétent.
Pour en revenir au rythme inacceptable et dangereux qui est imposé aux
internes, il faut préciser que si on voulait limiter leur présence à
35 heures par semaine, il faudrait mathématiquement le double
d’internes. Et ce, sans tenir compte du fait que les services sont en
grande majorité en sous-effectif. Les réponses données aux internes
surmenés ne relèvent pas du droit du travail mais renvoient à des
problèmes budgétaires qui ne les concernent pas. Puisqu’il ne peut
financièrement y avoir embauche de médecins, c’est bel et bien aux
internes d’assurer le fonctionnement d’un service qui fermerait s’ils
ne faisaient pas ces 50 à 80 heures hebdomadaires.
La notion d’heures supplémentaires ne peut de surcroît être prise en
compte car la mission de l’interne est clairement définie : pour que
son semestre ne soit pas invalidé, il doit assumer sans faille avec
ses co-internes (quel que soit leur nombre), l’intégralité du
fonctionnement du service, ce qui donne lieu à ces dérives qu’aucun
texte n’empêche. Le salaire d’un interne en hôpital public équivaut de
ce fait bien souvent aux deux tiers du SMIC horaire. Son salaire net
de base reste en effet identique quelle que soit sa charge de travail.
A cela, il faut ajouter un à deux cours par semaine à l’université,
qui bloquent et annihilent le bénéfice des rares jours de repos
octroyés en fonction de ces mêmes cours. Chaque cours nécessite entre
une et trois heures de travail personnel supplémentaire. En plus de
ces cours et de ces "devoirs", l’interne doit rendre entre 15 et 40
études de cas par semestre selon les facultés. La charge de travail
ajoutée par les universités est donc en moyenne de 10 heures
hebdomadaires supplémentaires, ce qui peut pousser la durée totale de
travail de l’interne jusqu’à 90 heures, sans compter le temps de
transport, qui peut aller jusqu’à 2h30 par trajet pour ceux
travaillant en zones sous-médicalisées dites « de périphérie ».
Cette pression écrasante oblige l’interne à tirer un trait sur sa vie
personnelle, familiale et sociale pendant 3 à 5 ans. L'interne a au
mieux 6 jours de travail par semaine, au pire 29 jours par mois, le
peu de temps libre servant à faire les recherches nécessaires et à
écrire ce qui est demandé par la faculté. S’il ne le fait pas
correctement, son semestre n’est pas validé, ce qui prolongera de 6
mois supplémentaires son calvaire. Beaucoup sont contraints de faire
ce semestre en plus, simplement parce que même en réduisant leurs
nuits à 5 voire 4 heures, il n’est pas possible de rendre le travail
demandé dans les temps et encore moins de rédiger la thèse en
parallèle. Cette impossibilité de répondre à tous ces impératifs est
le plus souvent niée ou minimisée par les professeurs et tuteurs, qui
n’ont pour la plupart pas de clairvoyance sur la réalité de la
situation. Et ce, malgré les accidents de la route, parfois mortels,
survenant à la sortie de gardes, après 30 heures sans sommeil.
Avant de vous prononcer sur ce sujet, je vous suggère de vérifier
auprès de différents internes de différents hôpitaux, à quoi ressemble
leur survie. Vous pourrez aisément constater qu’il n’y a pour une fois
aucune exagération à ce qui peut de prime abord paraître grossi ou
basé sur une rare exception subie par quelqu’un de docile. Mais la
notion d’esclavagisme moderne, si ce terme grave doit réellement être
employé, ne peut mieux concerner aucune autre profession, aucun autre
statut, aucun autre contexte et cadre professionnels.
Madame, Monsieur, ma question est simple : si vous accédez à la
magistrature suprême, comptez-vous mettre fin à cette traite des
internes en médecine et si oui, dans quelle mesure et comment
comptez-vous vous y prendre ?
De manière plus concrète, redonnerez-vous une dignité humaine aux
internes en médecine :
- en fixant la durée légale de leur travail à 35 heures hebdomadaires
comme tout salarié ?
- en rémunérant les heures supplémentaires et en en plafonnant le nombre
autorisé à un niveau très raisonnable, de manière à leur laisser le
temps de suivre les cours normalement, de faire tout le travail
demandé par l’université et d’écrire leur thèse ?
Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur,
l’expression de ma haute considération.
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