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Le premier neuroleptique : libération du fou ou démission sociétale ?

Notre problématique consiste à ramener à la surface le travail sémantique qui s’est opéré sur un dérivé de phénothiazine (la chlorpromazine), en partant des postulats de la psychiatrie des années 50. Notre démarche déconstruit le travail expérimental de Jean Delay et Pierre Deniker (psychiatres à l’hôpital Saint-Anne et mandarins de l’époque) pour aboutir à la construction de l’identité de la molécule chlorpromazine, d’abord utilisée en chirurgie pour lutter contre le choc ou maladie post-opératoire par Henri Laborit (1914-1995), et qui fait l’objet d’une véritable ré-appropriation par la psychiatrie.

« Le monde actuel ne sait que faire de ceux qui ne sont pas - ou qui ne sont plus - compétitifs : personnes âgées, chômeurs, handicapés, jeunes des quartiers pauvres, malades mentaux... Le vieux couple de la folie et de la misère est de nouveau là, sous nos yeux, dans la rue. Fous, délinquants et criminels se retrouvent une fois de plus sous le même toit, celui de la prison, comme au temps de Louis XIV »[1].

 

Le Largactil premier médicament antipsychotique est mis sur le marché en 1952 par la firme Rhône-Poulenc. Qu’il s’agisse des histoires des médicaments contemporains ou des écrits spécialisés sur l’histoire et les développements de la psychiatrie, ce médicament est décrit unanimement comme « révolutionnaire » et cela à plusieurs niveaux.

Au niveau de la psychiatrie elle-même, il inaugure une psychopharmacologie quasi inexistante jusque-là. Au niveau du personnel soignant des asiles, le Largactil calme les accès fébriles des maniaques, rend la parole aux catatoniques et permet le dialogue avec le personnel soignant. Au niveau de l’institution asilaire elle-même, le premier neuroleptique, puis les produits à « effet retard » vont permettre aux patients de sortir de l’hôpital où ils étaients jusque-là condamnés à séjourner leur vie durant. Au niveau de l’individu lui-même et de sa liberté puisque le débat s’engage entre les partisans de la thérapie chimique et ceux qui parlent d’une camisole chimique qui maintient sous une autre forme, le malade en captivité. Au niveau de l’industrie pharmaceutique française puis mondiale, qui voit avec les psychotropes neuroleptiques puis antidépresseurs et anxiolytiques, s’ouvrir un marché florissant qui semble ne jamais devoir stopper sa croissance. Au niveau de la réflexion épistémologique elle-même, dans la mesure où la mise au point et la généralisation des médicaments qui agissent sur le cerveau sont utilisés in fine pour modifier des comportements et des pensées[2].

Revenir sur le Largactil comme cas princepts : sur sa mise au point, les conditions de sa mise sur le marché et de son expérimentation, nous permet de questionner un phénomène qui n’a pas de cesse de s’accentuer depuis les années 1950 : la médicalisation de la maladie mentale, mais aussi de la souffrance psychique en général, avec les glissements ontologiques auxquels nous assistons comme une banalisation des médicaments devenus des « produits de santé », et un délitement des catégories de diagnostics psychiatriques avec la notion générique de « santé mentale » qui tend à se confondre avec la poursuite du bien-être.

Comment notre société fait-elle face aujourd’hui à la maladie mentale ? Qu’a-t-elle hérité du modèle que la psychiatrie a inauguré avec la généralisation des médicaments psychotropes (neurolepiques puis antidépresseurs) ? Davantage, notre travail souhaite montrer un paradoxe induit par l’utilisation des psychotropes. En libérant les praticiens et la pratique thérapeutique asilaire, la généralisation de la chimiothérapie des maladies mentales a entraîné l’abaissement de notre seuil de tolérance vis-à-vis d’elle et de ce que nous recommençons aujourd’hui à considérer comme des comportements déviants et dangereux que le drame de Pau cristallise, ainsi qu’à une assimilation croissante de la maladie mentale à un handicap social[3]. Revenir à l’origine de ces questions en examinant le cas du Largactil, est l’outil heuristique que nous choisissons.

 

 

1.Le Largactil vient combler un désir

 

« De nos jours où foisonnent les médicaments psychotropes, il est difficile d’imaginer le désert qu’était (...) la pharmacopée psychiatrique  »[4].

 

Nous pouvons, en découpant les événements de manière grossière, considérer qu’il y a un moment charnière pour notre société dans la manière dont elle appréhende ses « fous » : un avant et un après la Libération. Jusqu’à la Libération, la société veut se protéger de la folie car elle lui fait peur, elle en menace le bon fonctionnement en menaçant l’ordre[5]. Après la Libération, on veut traiter, soigner le fou, on ne peut plus tolérer qu’il soit exclu voire éliminé de la société après l’expérience des camps, la dérive eugéniste et hygiéniste, l’hécatombe des malades mentaux par malnutrition[6]. L’histoire de la mise au point du Largactil et de son succès s’inscrit dans ce désir de la société en général et de la psychiatrie d’après-guerre, il va y répondre d’une manière extraordinaire en donnant une nouvelle légitimité médicale et scientifique à la psychiatrie qui se veut dès lors « biologique ». Il donne à la société une manière inédite et commode de dialoguer avec la folie et de ramener dans la vie « normale », ceux qui en étaient exclus jusque-là.

Au moment de la découverte du premier médicament traitant la psychose et la schizophrénie en particulier, la pharmacologie psychiatrique n’a guère avancé depuis l’invention des barbituriques au début du XXe siècle. Depuis la fin des années 1930, on ne dispose que de traitements aléatoires pour traiter les pathologies nerveuses comme les toniques (thé, café), les thérapies de reminéralisation, les sédatifs contre les accès d’agitation. Pour traiter l’émotivité, on utilise les opiacés, la faradisation, l’exercice physique. Avec la mise au point en 1938 de l’électrochoc, on cherche à provoquer une sédation ou une stimulation au moyen d’un coma ou d’une convulsion. On pratique des cures de sommeil pour sortir le schizophrène de son délire dans lequel il vit comme retranché. La psychiatrie française est dominée par Henri Ey et Jean Delay (1907-1987) qui prend ses fonctions à Saint-Anne à la fin des années 1930, obtient la chaire de clinique des maladies mentales, dirige L’Encéphale en 1946 et introduit les séminaires de Lacan.

Delay prononce la conférence d’ouverture du premier congrès mondial de psychiatrie qui a lieu à Paris en 1950 dans lequel il déclare : « Si le mot de guérison, si grave par les espoirs qu’il fait naître, ne doit toujours être prononcé qu’avec réserve, il ne nous est plus interdit  » optimisme interne de la pychiatrie en contraste avec le quotidien asilaire décrit dans la revue Esprit qui titre en 1952 : « Misère de la psychiatrie »[7]. Néanmoins, un vent nouveau souffle sur la discipline et désaliéner les fous devient un thème mobilisateur, à la fois issu des camps et des méthodes de choc. À la fin des années 1940, les électrochocs sont appliqués aux troubles mentaux les plus divers, leur efficacité s’affaiblissant à mesure que les états traités se rapprochent de l’état normal, sans que l’on sache pourquoi ni comment ils fonctionnent. C’est donc dans ce climat particulier d’après-guerre entre volonté de désaliéner et carence thérapeutique que le Largactil ou large action fait son entrée sur le marché avec des indications aussi vastes que floues[8].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.Le Largactil en psychiatrie : l’histoire d’une réappropriation

 

Le 13 février 1952, paraît dans La presse médicale un article co-signé Henri Laborit, Raymond Alluaume et Pierre Huguenard, concernant un stabilisateur végétatif : le composé 4560 RP (pour Rhône-Poulenc). Ce texte d’apparence anodine qui vient en droite ligne des travaux antérieurs concernant les propriétés du Diparcol que Laborit et Huguenard utilisent en anesthésie pour ses propriétés potentialisatrices des anesthésiques généraux, constitue un événement majeur. En effet, c’est la première fois que l’on peut lire concernant le 4560 RP ou chlorpromazine, molécule synthétisée par les laboratoires Specia (filiale de Rhône-Poulenc), son intérêt prometteur dans le domaine psychiatrique. Ce composé est issu des travaux de Laborit et Huguenard qui mélangent des substances dont le premier rôle est de protéger les malades du choc opératoire et qui s’avèrent, à l’usage, présenter des effets potentialisateurs de l’anesthésie. C’est comme tel que le produit est proposé à l’expérimentation par les laboratoires Specia qui le présente comme un médicament « neuroplégique : élaboré d’après le concept de Laborit ». Son nom commercial révèle l’étendue de ses applications thérapeutiques : il se nomme médicament de large action et est d’abord mis sur le marché avec des indications tous azimuts comme le suggère d’ailleurs l’iconographie publicitaire utilisée pour sa promotion auprès des médecins. Les événements qui jalonnent la mise sur le marché du Largactil et son expérimentation en psychiatrie qui le construit comme médicament « neuroleptique » s’étalent sur quelques mois seulement, quelques mois qui suffisent à bouleverser la psychiatrie. On trouve une série d’articles qui suivent cet article princeps de Laborit, Alluaume et Huguenard, concernant des essais du produit. Cette série d’articles qui se succèdent très rapidement, montre à quel point la chlorpromazine (4560 RP) fait l’objet de tests intenses en association avec d’autres médicaments comme des barbiturates dans des cures de sommeil, puis seul.

Qu’il s’agisse de l’article des psychiatres du Val-de-Grâce convaincus par Laborit de tester le médicament sur l’agitation maniaque, comme de l’article de Renée Deschamps qui paraît dans La presse médicale le 21 juin 1952, ils concernent encore l’usage du 4560 RP en association avec d’autres produits et témoignent de l’influence des techniques de Laborit dans son expérimentation. Le parallélisme entre les techniques suspensives du choc de Laborit et les méthodes de choc psychiatrique qui s’appuient finalement sur les mêmes centres régulateurs est troublante et elle mériterait une étude appronfondie qui montrerait ce passage conceptuel majeur, des méthodes de choc aux méthodes de déconnexion. On comprend devant le succès des thérapies de choc, que la chlorpromazine soit utilisée pour la première fois par les psychiatres du Val-de-Grâce sur un patient qui souffre d’attaques maniaques violentes. Traité par électrochocs à plusieurs reprises sans résultats durables, l’administration de la chlorpromazine le calme immédiatement, il est considéré comme guéri après trois semaines de traitement. Andrée Deschamps teste la molécule sur le modèle de l’hibernation artificielle développée par Laborit et Huguenard, pour obtenir des cures de sommeil. Les tests qu’elle rapporte concernent des cures de sommeil de 8 jours, administrées sur 4 pathologies différentes : une malade mélancolique et anxieuse, une malade maniaque, une malade souffrant de délires d’influence, et enfin une malade atteinte de délire hallucinatoire. Elle note que : « l’action centrale du 4560 RP, qui a été interprétée par Laborit comme une interception synaptique entre la corticalité et le diencéphale réalisant en quelque sorte une lobotomie pharmacodynamique nous a permis premièrement d’obtenir un déconditionnement (...) et deuxièmement d’amener le malade au sommeil avec des doses très limitées de barbituriques  »[9]. Si le phénomène de potentialisation des barbituriques depuis les travaux de Laborit étaient prévisibles, c’est l’effet de déconditionnement que Laborit notait déjà à propos de ses « cocktails lytiques » et qu’il cherche à retrouver comme effet central avec le 4560 RP, qui est remarquable. Les malades de Deschamps restent dans une somnolence (effet du Phénergan), dans une sorte de détachement vis-à-vis de leur entourage, voire d’indifférence.

 

3.La Chlorpromazine testée seule

 

« La conduite du traitement que nous avons adopté est assez différente des techniques antérieurement proposées, puisque le produit a été utilisé seul, sans chercher à réaliser une cure de sommeil ou une hibernation, et sans association avec des hypnotiques ou analgésiques »[10].

 

Le 4560 RP est testé seul pour la première fois par le Pr Jean Delay et son assistant à Saint-Anne Pierre Deniker, alerté par son beau-frère qui a assisté à une conférence de Laborit au Val-de-Grâce. L’originalité des tests qu’ils mènent est double. Leur démarche semble se démarquer dans un premier temps de celle de Laborit, puisqu’ils n’utilisent le produit ni en association ni pour ses propriétés hypnogènes. Elle se démarque des traitements psychiatriques de l’époque qui consistent principalement en cures de sommeil et électrochocs, pour mieux revenir à des notions qui sont très proches de celles qui sont développées par Laborit. Comme ce dernier l’a montré à propos des syndromes de choc (maladie post-opératoire et choc traumatique), Delay et Deniker mentionnent que la connaissance des modes d’action thérapeutiques du choc qui agissent notamment par stimulation en provoquant un état de crise et leur intégration dans la pathologie générale, conduisent à rechercher s’il existe des moyens inverses. Ils cherchent des moyens visant la mise en repos ou l’interruption des processus réactionnels qui dans certains cas peuvent constituer le substrat de la maladie sinon la maladie elle-même[11]. Delay et Deniker, de la même manière que Laborit, distinguent entre d’un côté la maladie envisagée comme lésion localisée, et les réactions de l’organisme à une agression qui peuvent l’engager si elles le débordent, dans le déclenchement de processus pathogènes. De même que Laborit cherche à amortir le choc opératoire ou anesthésique, Delay et Deniker, en administrant la chlorpromazine seule, cherchent à obtenir des mécanismes de déconnexion ou d’exclusion[12]. Dans le cas des chocs chirurgicaux ou anesthésiques, la déconnexion recherchée est celle du système nerveux végétatif ou périphérique, afin d’éviter un état de crise principalement vasculaire. Dans le cas des pathologies psychiatriques, il s’agit cette fois d’obtenir une déconnexion centrale : une neurolepsie ou suspension nerveuse. Ce terme de neurolepsie, que Delay et Deniker proposent, est issu du concept de psycholepsie développé par Pierre Janet qui indique cette chute de la tension nerveuse ou neurovégétative qui conditionne en partie la tension psychologique correspondant à l’action clinique des médicaments, produisant essentiellement une détente. Cette neurolepsie est obtenue en utilisant la chlorpromazine en cures continues et prolongées sans autre médication associée. On obtient alors une indifférence apparente et le retard de la réponse aux stimulations extérieures, la neutralité émotionnelle et affective, la diminution de l’initiative et des préoccupations sans altération de la conscience vigile ni des facultés intellectuelles : tel est le syndrome psychique de la chlorpromazine.

 

4.La révolution silencieuse des asiles

 

« Le concept de neurolepsie s’oppose au concept de choc (...). Dans la neurolepsie, au contraire, on ne cherche pas à produire une mobilisation générale des défenses, mais une sorte de démobilisation, non pas une réaction d’alarme du système nerveux, mais une réaction de détente. Ainsi s’instaure dans l’organisme un régime de trêve qui s’oppose au régime d’alarme que provoquent les thérapeutiques de choc »[13].

 

Pour comprendre cet empressement à tester le Largactil et mesurer sur le terrain cette révolution du monde asilaire, nous nous référons à un entretien avec Daniel Ginestet en stage à l’hôpital Saint-Anne en 1952, sur un ouvrage de Jean Thuillier[14], en poste à Saint-Anne également en 1952 dans la clinique de Pierre Denicker et sur deux ouvrages de Delay et Deniker : un ouvrage sur les techniques de choc de 1946, un second sur les nouveaux médicaments psychotropes de 1961[15]. Nous nous baserons également sur des travaux plus récents de Toine Petters et Stephen Snelders[16] et Patrick Coupechoux[17].

Ce qui est frappant et récurrent dans la majorité des récits qui décrivent l’état de la psychiatrie et de l’institution asilaire avant l’introduction du Largactil, c’est son extrême dénuement. Tous affirment qu’il n’y avait rien comme médicament spécifique de la folie. Ce que l’on pratique ce sont les cures de barbituriques avec lesquelles on assomme littéralement les patients en leur administrant des doses massives auxquelles ils deviennent dépendants, ou des cures d’électrochocs et de comas insuliniques. Ces cures sont répétées : une cure de Sakel réclame de 40 à 60 comas, avec une fréquence de 5 comas par semaine pour traiter un schizophrène. Comme l’explique Daniel Ginestet, la visée initiale de ces traitements est d’avoir la paix. Le métier de psychiatre et d’infirmier psychiatrique est un métier difficile, les patients sont souvent violents. « Ce n’était pas un beau cadeau, quand on recevait un maniaque qui pendant des semaines allait hurler, injurier ses voisins, qu’on était obligé de camisoler, voire d’attacher sur son lit avec des sangles, qu’il fallait faire manger avec difficulté et dont on devait assurer la propreté »[18].

Ginestet qui travaille à Saint-Anne en 1953, décrit un hôpital bouleversé par le Largactil. Le pavillon des agités est calme, les infirmiers et les psychiatres n’ont plus peur de leurs patients qui parlent, le médicament entraîne une double révolution. Il guérit des patients qui vont pouvoir rentrer chez eux et cela d’autant plus facilement avec la mise au point de la cure dite à effet retard, et il permet un retour à la parole : parole des patients et dialogue avec le médecin. La cure neuroleptique permet une continuité là où l’électrochoc n’offrait que des séquences. Le bouleversement qu’il entraîne est donc dans un premier temps des observations spectaculaires avec des moyens simples, voire artisanaux. Néanmoins, ce qui est nouveau dans la démarche expérimentale de Delay et Deniker, c’est une approche systématique, avec une sélection des malades sur lesquels on teste le produit, comme en témoigne la série d’articles qu’ils publient.

 

 

La première publication est faite à l’occasion du centenaire de la Société médico-psychologique. Dans les deux mois qui suivent cette première note, 5 communications sont publiées apportant des indications détaillées concernant les états d’agitation et d’excitation, le traitement d’états confusionnels, le traitement de psychoses et les réactions biologiques observées au cours du traitement. Cet ensemble de travaux permet de dégager trois notions importantes. Tout d’abord, l’efficacité de la chlorpromazine administrée seule et de manière prolongée. La description clinique d’un syndrome psychomoteur caractéristique de l’action psychophysiologique de la chlorpromazine : « quand la somnolence se résout, le malade paraît, à première vue, normalement éveillé : en réalité, il est dans un état psychique caractéristique et qui ne manque pratiquement jamais (...) il prend rarement l’initiative d’une question, il n’exprime pas de préoccupations, de désirs ou de préférence. Il est habituellement conscient de l’amélioration apportée par le traitement, mais n’exprime pas d’euphorie  »[19]. C’est précisément ce syndrome de neutralité émotionnelle et d’indifférence affective qui va définir le syndrome neuroleptique. La troisième notion qui se dégage du traitement est l’action thérapeutique du produit dans les psychoses : celle-ci n’est pas un traitement symptomatique calmant l’agitation ni sédative de l’anxiété, il s’agit d’une véritable chimiothérapie des psychoses qu’elle réduit sensiblement : «  les résultats obtenus dans ce cas nous ont paru dignes d’être soulignés, car ils permettent d’inférer que ce médicament n’agit pas comme un simple calmant des états d’excitation, mais il possède une action centrale plus complexe, confirmée par les réactions biologiques  »[20]. Non seulement les malades sont sélectionnés, mais Ginestet surveille leur état trois fois par jour en mesurant la tension, la température, etc. Très vite, on obtient quelque chose de plus que la sédation, une amélioration des états confusionnels et Ginestet présente, lors des réunions qui ont lieu chaque semaine à Saint-Anne, le premier patient maniaque guéri à Jean Delay. Très rapidement également, Deniker remarque ces effets et en fait la synthèse. Ce qui pour Laborit constitue un effet de désintéressement devient dans les termes de Deniker une indifférence idéo-affective. La cure de chlorpromazine, qui n’est d’abord utilisée que dans les états critiques, est bientôt appliquée aux délires chroniques dans les services de Saint-Anne, mais aussi par Henri Ey à Bonneval avec des posologies très timorées car on redoute les effets secondaires d’un médicament inconnu. Deniker devient le promoteur du Largactil, il part avec ses échantillons en Autriche, en Allemagne et dans toute l’Europe. Dès 1952, les hôpitaux de province disposent d’échantillons, comme l’hôpital Sainte-Marie de l’Assomption à Clermont-Ferrand. N’est-ce-pas une révolution que de voir cet hôpital, dont la tradition médicale reposait, avant-guerre, sur une méfiance vis-à-vis de toutes les drogues, utiliser ce nouveau médicament l’année même où une communication scientifique le faisait connaître ?[21]

Si le Largactil semble se répandre dans les hôpitaux psychiatriques comme une traînée de poudre, son entrée aux États-Unis est plus tardive. Heinz Lehmann l’introduit d’abord au Canada et partage le prix Albert Lasker de 1957 avec Laborit et Deniker, pour l’introduction du médicament aux États-Unis[22]. Si l’introduction du Largactil pour traiter les psychoses a sans doute fait l’objet de réticences, l’organisation, dès 1955, d’un colloque entièrement consacré à la chlorpromazine sous la présidence de Jean Delay révèle le bouleversement du monde de la psychiatrie des années 1950. Ce bouleversement n’échappe pas à Jean Delay qui souligne dès la séance d’introduction, que la présence même des spécialistes et la multitude d’interventions qui ont lieu sur l’usage du produit sont le signe de l’intérêt qui s’attache aux cures neuroleptiques[23]. Cependant, la chlorpromazine n’est pas une panacée psychiatrique. Delay et Deniker remarquent qu’elle est loin d’être aussi efficace dans les syndromes dépressifs que dans les syndromes d’excitation, même si elle reste efficace dans les syndromes de dépression simple ou réactionnelle, l’expérience montre qu’au contraire de l’électrochoc, la nouvelle chimiothérapie neuroleptique ne fournit dans les dépressions endogènes que des résultats décevants et n’est pas exempte d’effets secondaires. Mais si les psychiatres eux-mêmes participent largement au succès du produit, le personnel soignant des asiles joue aussi son rôle dans sa généralisation dans les hôpitaux.

 

 

5.Le Largactil : libération des patients ou du personnel soignant ?

 

« Que les neuroleptiques aient fait tomber les décibels sonores d’un service, c’est ce que tout le monde admet assez facilement. Il est vrai qu’une autre image interfère avec celle de l’apaisement, c’est celle d’une camisole de force chimique qui maintient les malades dans un habitus d’inertie et parfois d’assez affreux et caricaturaux abrutissements »[24].

 

On trouve encore peu d’indications sur la manière dont s’est répandu l’usage du Largactil puis de la chimiothérapie en général dans les institutions asilaires. Le travail récent de Toine Peeters et Stephen Snelders, qui examinent la trajectoire de ce produit dans un asile néerlandais ou encore ceux d’une équipe de praticiens et d’historiens de Lyon[25], est une aide précieuse pour montrer qu’au-delà d’une dichotomie entre partisans de la psychiatrie biologique ou de l’origine psychogénétique de la maladie mentale, l’usage de ce produit a joué un rôle beaucoup plus complexe, voire contradictoire, avec ce que l’on a pu en écrire jusqu’à présent. Ce qui est frappant notamment dans le travail de Peeters et Snelders, c’est la pression exercée par le personnel soignant (les infirmiers) pour utiliser le produit en dépit de ses effets secondaires importants, comme des irritations cutanées douloureuses, des troubles kynestésiques dits parkinsoniens ou encore un effet hypotenseur général qui peut être fatal à certains patients. Comme le soulignent très justement ces auteurs, l’usage des neuroleptiques, puis la généralisation des médicaments pour soigner la maladie mentale et aujourd’hui la souffrance psychique en général (de l’anxiété à la dépression), reflète davantage qu’une commodité médicale ; « they also reflect developments and transformations in the science and art of healing as a cultural process »[26].

Toine Petters et Stephen Snelders appuient leurs analyses en étudiant l’introduction du Largactil par l’équipe de Frederik Tolsma responsable d’une institution psychiatrique, le Maasoord aux Pays-Bas. Tolsma débute l’utilisation du Largactil en 1953, 9 mois après les premières publications de Delay et Deniker. Il est familier des cures de sommeil employant des antihistaminiques comme sédatifs (Antergan et Phenergan) pour traiter des patients agités. Son idée initiale est de reproduire la technique d’hibernation artificielle développée par Laborit, malgré son absence d’expertise liée à cette technique particulière de refroidissement interne. Son équipe débute l’expérimentation du Largactil seul et en association avec d’autres sédatifs. De la même manière qu’à Saint-Anne, l’équipe note un type de sédation inédite. Après quelques jours de traitement avec ce produit, celle-ci obtient une sédation étrange, plus proche d’un détachement général que d’un sommeil proprement dit, qu’elle rapproche d’un effet de lobotomie pharmacologique. Celle-ci permet aux patients hospitalisés depuis de nombreuses années d’accéder à une forme de thérapie active dans laquelle la communication avec le personnel devient possible. Une des infirmières qui travaille avec des patients « chroniques » note un changement radical d’atmosphère dans son pavillon, l’agressivité fait place au calme et à la paix. En calmant les patients agités c’est-à-dire la terreur de l’institution, l’usage de la chlorpromazine diminue de manière drastique l’usage des autres sédatifs administrés jusqu’ici. Malgré ces effets très positifs de la cure de Largactil, l’équipe de Tolsma se montre critique. Elle relève que la cure neuroleptique n’est pas curative, mais suspensive. Dans la plupart des cas, elle observe que l’interruption de la cure entraîne le retour des symptômes et que celle-ci présente des effets secondaires gênants comme des troubles allergiques et de l’hypotension. Peeters relève également que, dans d’autres institutions asilaires, l’introduction du Largactil ne s’est pas faite spontanément, mais qu’elle est fortement poussée par les représentants médicaux des laboratoires Specia, qui offrent des échantillons gratuits et présentent le produit comme le médicament idéal pour obtenir la paix, le calme et la stabilité du système nerveux, ce qui séduit parfois davantage les infirmiers psychiatriques que les chefs de cliniques eux-mêmes. Peeters et Snelders notent en ce sens : "In offering both an effective means of chemical restraint and a therapeutic tool that could produce visible recoveries in even the most desperate cases, chlorpromazine boosted the moral of the staff. The fact that chlorpromazine could also produce visible side-effects did not seriously affect their enthusiasm. Nurses were already familiar with the occurrence of the side-effects of the conventional somatic therapies in general (...) such as insulin coma therapy and electroschock therapy. They considered management of side-effects as something that came with the job" [27]. La position de Peeters et Snelders est que les équipes soignantes de terrain ont joué un rôle central dans la mise en place routinière des cures de chlorpromazine, en aménageant notamment la cure pour limiter les effets secondaires, qu’il s’agisse de l’administration du traitement par voie orale, pour éviter les effets d’irritation cutanée ou le port du chapeau pour protéger les patients d’une photosensibilité induite par la molécule. La mise en place, sous la pression du personnel soignant de la cure de Largactil, a forgé la réputation du traitement chimique comme le plus humain, dans la mesure où il devient un moyen d’accès à la thérapie sociale et psychothérapique. Peeters et Snelders notent qu’en aucun cas la chlorpromazine n’est envisagée comme une forme nouvelle de chimiothérapie de l’esprit, mais comme un « état de l’art » de la sédation adaptable au cas par cas. Tolsma lui-même envisage le traitement comme catalyseur dans le processus de guérison. On n’hésite plus dès lors à administrer le produit à des doses très importantes (plus de 2 000 mg par jour) en considérant la présence d’effets secondaires de type parkinsonien comme un indicateur clinique de l’effet optimal du traitement.

Ce point est également très important dans le succès des thérapies chimiques, dans la mesure où comme nous l’avons montré dans les illustrations publicitaires du Largactil, le traitement est dans un premier temps présenté par l’industrie comme un médicament fourre-tout aux indications aussi vastes que non spécifiques, celle-ci s’emploie dès 1953 et devant son succès en psychiatrie, à lui construire une identité propre en le différenciant notamment des traitements sédatifs habituels. C’est cette volonté de l’industrie de construire un terrain thérapeutique en partant de la molécule et non de la clinique, qui est frappante dans ce cas et qui explique notamment que l’on ait pendant longtemps (jusqu’aux années 60 au moins) défini son action par un de ses effets secondaires comme les troubles extra-pyramidaux. En 1968, à l’occasion du 15e anniversaire de l’introduction de la molécule aux Pays-Bas, Tolsma relève que le nouveau remède est l’objet d’un phénomène d’habituation chez les patients de la même manière que les médecins et le personnel soignant des hôpitaux psychiatriques. Selon lui, l’usage à long terme des neuroleptiques doit être corrélé à la baisse de la tolérance de la société envers les patients agités des hôpitaux psychiatriques [28]. L’évolution et la situation actuelle devaient malheureusement lui donner raison.

6.Succès paradoxaux de la chiomiothérapie psychiatrique

Nous avons vu que la construction par la psychiatrie du premier neuroleptique est intervenue à un moment bien spécifique, l’après-guerre : où l’enfermement, l’exclusion des malades mentaux, n’étaient plus tolérables. L’expérimentation et le « succès » de la cure neuroleptique ont apporté un formidable élan à la psychiatrie et cela de différentes manières. D‘abord en la légitimant : en se réclamant de la biologie, elle intégrait le sérail de la science médicale. En permettant l’accès à la parole et au dialogue : elle entérinait l’humanisme de la psychothérapie et de la cure analytique. Enfin au niveau institutionnel lui-même, elle permettait enfin de désaliéner les fous, de sortir les malades de l’asile, même si ce terme était remplacé par celui d’hôpital psychiatrique. Que s’est-il passé depuis ?

On a assité depuis le Largactil à une augmentation de l’offre de médicaments de la maladie mentale et de la souffrance psychique en général. Le premier antidépresseur, d’ailleurs issu de la même famille de molécule que la cholpromazine (les phénothiazines), est mis sur le marché en 1957 par Ciba, suivent bientôt les anxiolytiques. Les laboratoires pharmaceutiques se sont trouvés face à un marché énorme et sans trouver véritablement de nouveaux produits, aménagent les effets secondaires de familles de molécules qu’ils connaissent bien (les tricycliques, les IMAO, Les IRS). Mais ce succès n’est pas sans revers de médaille.

En offrant cet outil pharmacologique à la psychiatrie, elle a entraîné celle-ci à définir les maladies mentales sur la base des effets provoqués par les médicaments. Cette situation induit aujourd’hui la psychiatrie dans une impasse théorique dans laquelle un symptôme devient la description nosographique de la maladie toute entière, sans que l’on sache, même si les neurosciences proclament le contraire, d’où vient la maladie mentale. Elle a aussi, il est vrai permis la sortie des patients hors des murs de l’asile, puisqu’avec les produits à effet retard, une injonction mensuelle est devenue suffisante. Mais là aussi, elle aboutit à ce paradoxe que le malade n’est réellement pris en charge par la psychiatrie qu’en situation de crise d’une part, et que la première solution, sinon la seule, est devenue la prescription du médicament d’autre part. La désaliénation est devenue une nouvelle forme d’aliénation, une aliénation pharmacologique pour la psychiatrie elle-même et pour les patients. La prophétie de Tolsma est devenue une réalité, ces médicaments pratiques pour le personnel soignant, et pour finalement la société dans son ensemble, entraîne l’abaissement de notre tolérance vis-à-vis de la folie et de ce qui est devenu dans notre vocabulaire « la santé mentale », « la souffrance psychique » et aujourd’hui « le handicap psychique ». Ces drogues « parfaites », comme le souligne Alain Ehrenberg, induisent trois types de risques. Dans un premier temps, une inflation de la position d’autorité de la profession médicale. Ensuite, une pathologisation des traits de personnalité avec la création de pathologies à laquelle nous assistons (difficulté érectile, syndrome prémenstruel et dépression dans une très large mesure) qui entraîne l’exclusion des « inadaptés psychiques » assimilés de plus en plus à des handicapés sociaux. Enfin, les difficultés croissantes à supporter les frustrations, faute de disposer de moyens de différencier souffrances pathologiques et malheurs ordinaires, peuvent contribuer ainsi, dans un cercle vicieux, à supporter de moins en moins les problèmes sans assistance chimique [29].



[1] COUPECHOUX, Patrick, Un monde de fous, Seuil, Paris, 2006, p.16.

[2] WIDLOCHER, Daniel, Les Psychotropes, une manière de penser le psychisme ? Paris, Seuil, Les empêcheurs de penser en rond, 1990.

[3] EHRENBERG, Alain, L’Individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

[4] THUILLIER, Jean, Les Dix Ans qui ont changé la folie, la dépression et l’angoisse, Paris, Erès, 1981, 1999, 2003, p. 221.

[5] FOUCAULT, Michel, Le Pouvoir psychiatrique, cours au Collège de France, 1973-1974, Paris, Gallimard-Seuil, 2003.

[6] COUPECHOUX , Patrick, Un monde de fous, comment notre société maltraite ses malades mentaux, Paris, Seuil, 2006, « L’Eugénisme et l’Extermination des malades mentaux », pp. 71-88.

[7] DELAY, Jean, Discours d’ouverture du premier congrès mondial de la psychiatrie, Paris, Puf, 1950, p. 89.

[8] Voir illustration de publicité à destination des médecins de 1952, page suivante.

[9] DESCHAMPS, Andrée, « L’Hibernation artificielle en psychiatrie », La presse médicale, Paris, 21 juin 1952, p. 945.

[10] DELAY, Jean, DENIKER, Pierre, HARL, Jean-Marie, « Utilisation en thérapeutique psychiatrique d’une phénothiazine d’action centrale élective (4560 RP) », Annales Médico-psychologiques, Centenaire de la Société Médico-psychologique, Paris, juin 1952, 110 (2), pp. 112-117.

[11] Ibid, p. 112.

[12] Ibid, p. 117.

[13] Ibid, p. 304.

[14] THUILLIER, Jean, Les Dix Ans qui ont changé la folie, la dépression et l’angoisse, Paris, Erès, 1981, 1999, 2003.

[15] DELAY, Jean, L’Electrochoc et la Psycho-physiologie, Paris, Masson, 1946. DELAY, Jean, DENIKER, Pierre, Méthodes chimiothérapiques en psychiatrie, les nouveaux médicaments psychotropes, Paris, Masson, 1961.

[16] PIETERS, Toine, SNELDERS, Stephen, « Mental Ills and the Hidden History of Drugs Treatment Practices », In : GIJSWIJT-HOFSTRA, M, OOSTERHUIS, J, VIJSELAAR, H, Freeman (eds), Psychiatric Cultures Compared. Psychiatry and Mental Health Care in the 20 th Century : Comparisons and Approaches, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2005, pp. 308-401.

[17] COUPECHOUX, Patrick, Un monde de fous, comment notre société maltraite ses malades mentaux, Paris, Seuil, 2006.

[18] THUILLIER, Ibid, p. 192.

[19] DELAY, Jean, DENIKER, Pierre, article cité, p. 503-513.

[20] DELAY, Jean, DENIKER, Pierre, HARL, Jean-Marie, GRASSET, André, « Traitement d’états confusionnels par le chlorhydrate de diméthylaminopropyl-N-chlorophénothiazine (4560 RP) », Annales Médico-psychologiques, 110 (2), n° 3, octobre 1952, pp. 398-403.

[21] BONNET, Olivier, « De l’asile à l’hôpital psychiatrique : la révolution des années 1950 à l’hôpital Sainte-Marie de l’Assomption à Clermont-Ferrand (1945-1965) », In : Actes de colloques : « Questions à la révolution psychiatrique », Editions la ferme du Vinatier, le 8 décembre 1999, pp. 37-54.

[22] LEHMANN, Heinz, « L’Arrivée de la chlorpromazine sur le continent américain », L’Encéphale, vol. XIX, Fasc. 1, Janvier-février 1993, pp. 57-59.

[23] DELAY, Jean, Séance d’introduction, Colloque international sur la chlorpromazine et les médicaments neuroleptiques en thérapeutique psychiatrique, Paris, 20-21-22 octobre 1955, Paris, Doin, 1956, pp. 303-306.

[24] EY, Henri, « Neuroleptiques et services psychiatriques hospitaliers », In : « Neuroleptiques vingt ans après », Confrontations psychiatriques, Paris, n° 13, 1975, p. 32.

[25]Actes de colloques : Questions à la révolution psychiatrique, en collaboration avec le groupe de recherche « Enfermement, marges et société », EMS, Ministère de la Recherche-Université Jean Moulin Lyon III. Lyon, Editions la ferme du Vinatier, 2001.

[26] PEETERS, Toine, SNELDERS, Stephen, « Mental Ills and the Hidden History of Drug Treatment Practices », In : M.Gijswijt-Hofstra and H. Oosterhuis, J. Vijselaar, H. Freeman ( Eds), Psyhiatry Cultures Compared. Psychiatry and Mental Health Care in the Twentieth Century : Comparisons and Approaches, Amsterdam, Amsterdam UniversityPress, 2005, pp : 381-401, p. 382.

[27] PEETERS, Toine, SNELDERS, Stephen, art.cit., p. 390.

[28] PEETERS, Toine, SNELDERS, Stephen, art. cit., . 394.

[29] EHRENBERG, Alain, L’Individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 150.


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13 réactions à cet article    


  • aurelien aurelien 17 octobre 2007 12:58

    Merci pour ce petit rappel historique. Les processus du développement du marché pharmacopsychiatrique ne sont pas sans corrélation avec ceux d’autres marchés plus spécifiques : une fragmentation de l’offre et de la demande, et une conversion de la profession vers l’idéation de la chose comme produit substantiel et rénovateur des comportements socio-économiques en vigueur. Par la constitution d’une identité propre à la réification de l’acte médical par le jeu de l’accès marchand au remède substantifié, la psychiatrie a introduit en son espace de persuasion (espace d’isolement sociétal) les traits d’un accaparement sociogène institutionnel sur le psychisme latent des insoumis de la « folie ». Les réactions anti-psychiatriques nombreuses de la part de praticiens, survenues dans les années soixante, peuvent-elles s’expliquer par ce retournement de perception dans la profession, dont l’introduction du Largactil a été l’un des éléments précurseurs ? L’inertie sociétale autour de cette nouvelle direction prise par la psychiatrie à partir des années cinquante a-t-elle elle-même absorbé la profession dans la situation socio-économique contemporaine en développement dans laquelle l’efficacité et la recherche de facilité priment, déplaçant la censure de l’acte de la prise en charge psychiatrique vers des aspects plus facilement assimilables aussi bien pour les personnels hospitaliers, que pour les industries et les institutions administratives ?

     smiley


    • massat séverine massat séverine 17 octobre 2007 13:09

      Effctivement, je pense que le Largactil est l’évènement à l’origine du processus auquel nous assistons aujourd’hui : une inertie tripartite entre industrie (qui souhaite garder un marché qui s’est révélé extrêmement lucratif pour elle), les soignants qui disposent d’outils thérapeutiques « pratiques » et le citoyen qui affronte avec les médicaments des situations stessantes, angoissantes. Le Largatil est à l’origine de ces béquilles pharmacologiques que sont devenus la plupart des psychotropes.Il est urgent selon moi, que la psychiatrie retourne à des recherches théoriques (d’interprétation de l’origine de la maladie mentale)et qu’elle lutte contre son propre asservissement épistémologique aux médicaments.


    • aurelien aurelien 17 octobre 2007 13:26

      Je suis d’accord, mais en a-t-elle les moyens (humains) ?



      • aurelien aurelien 20 octobre 2007 10:43

        Une histoire un peu sensationnaliste, car vu les doses et les cocktails de neuroleptiques ou autres calmants donnés aux résidents des hôpitaux psychiatriques, je doute que ce cas soit généralisable à toute personne incarcérée dans un tel établissement et qui souhaiterait profiter de ce séjour pour étudier et préparer des examens.


      • ZEN ZEN 17 octobre 2007 14:52

        Merci pour cet article intéressant, qui aurait pu être sans doute plus concis, pour ne pas décourager les lecteurs moins avertis.

        J’ai apprécié vos références à Ehrenberg, qui pointe bien les origines psycho-sociales de certaines pathologies actuelles,enracinées dans le mal -être civilisationnel de notre époque incertaine ,où la précarité fragilise les moins chanceux.L’adjuvant chimique permet de faire l’économie d’une analyse des causes de nombre de « malaises » d’aujourd’hui, pour reprendre le terme de Freud. Il entraine aussi la psychiatrie vers la seule approche biologisante et déshumanisante.


        • Bobby Bobby 17 octobre 2007 21:49

          Bonsoir,

          Article intérressant, bien que fort long, commentaire en « plus » également, nottament chez Tal pour la référence !

          Bien cordialement


          • Bernard Dugué Bernard Dugué 17 octobre 2007 21:56

            Bel article qui a l’audace d’être long et c’est ce qui fait son intérêt. Certains questions ne peuvent se traiter avec le format de la zapette. Sur le fond, je n’ai pas assez de recul pour peser le pour et le contre, entre le travail de fond, lourd, sur l’âme et le verbe et la solution rapide et pratique du médicament. C’est un vaste débat qui engage la société. Et même convoque la métaphysique.

            bien cordialement


            • aurelien aurelien 17 octobre 2007 22:34

              S’il fallait donner un bémol à cet article, ce serait sur le manque d’ouverture aux notions actuelles de neuroleptiques dits « typiques » et « atypiques » (ou encore de deuxième génération). Les neuroleptiques atypiques seraient plus ciblés que ceux de première génération et auraient des effets plus pertinents sur les troubles spécifiques relatifs aux formes les plus dures de schizophrénie ou de psychoses. Le largactil appartient à la catégorie des neuroleptiques typiques, avec un spectre d’effets plus large.

              Il aurait été intéressant peut-être d’avancer les modes opératoires ayant permis la différenciation actuelle de ces classes de médicaments, d’en analyser le protocole d’observation expérimentale et d’en interroger les tenants d’un point de vue à la fois clinique, économique et épistémologique.


            • brieli67 18 octobre 2007 00:58

              L’École de Fann ou École de Dakar vous connaissez ?

              http://www.refer.sn/psychopathologieafricaine/IMG/pdf/Biblio20ansPsy.pdf

              c’est bien maigre sur Wiki à son sujet psychiatre, médecin militaire français Henri Collomb http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Collomb

              A signaler que le Dr Laborit ètait encore chirurgien militaire en 195o et la spécialité d’anesthésie n’éxistait pas encore. Le chirurgien s’occupait aussi de la narcose.

              De nombreuses zones d’ombre eh oui sous le sceau du secret défense.

              quant à la molécule http://fr.wikipedia.org/wiki/Chlorpromazine The drug had been developed by Laboratoires Rhône-Poulenc in 1950 but they sold the rights in 1952 to Smith-Kline & French (today’s GlaxoSmithKline). The drug was being sold as an antiemetic when its other use was noted. Smith-Kline was quick to encourage clinical trials and in 1954 the drug was approved in the US for psychiatric treatment.

              De la pharmacologie d’un autre âge...


              • massat séverine massat séverine 18 octobre 2007 09:00

                Effectivement, il y a bien peu de choses à propos d’Henri Laborit et de son travail scientifique. Aussi, je vais publier sa biographie aux éditions du Manuscrit et j’organise un colloque en avril prochain au Val-de-Grâce sur son actualité, car énormément de techniques ont été mises au point par Laborit et ses collaborateurs indirects (Pierre Huguenard le père de l’anesthésie-réanimation française avec Laborit et sa femme) et directs (Bernard Weber, Camille Wermuth, Berbard Calvino, etc.). Avec cet article de Wikipédia on a un exemple d’information fausse, biaisée et incomplète. Enfin pour réagir à la longueur de mon article. Il est impossible de traiter en profondeur de telles notions en 10 lignes, et si je souhaitais parler des molécules actuelles ciblées ( le largactil signifie large action...), il me faudrait 20 pages minimum. Je doute que les modérateurs et les lecteurs aient cette patience, c’est pourquoi je choisis le format livre pour m’exprimer à ce sujet.


              • TRIBAK hamadan 18 octobre 2007 23:54

                Pour enrichir un peu le débat, je vois qu’il s’agit de l’un des techniques du pouvoir au sens où Foucault le définit ; il est question des corps qu’il faut rendre docile ( voir mon article : « Le corps dans les espaces du pouvoir » in http://trib1.blogspot.com ) Finalement Largactil ou PROZAC, il est question de rendre les corps soumis et irrésistants ; c’est donc la démission sociétale comme le veut tout pouvoir !


                • massat séverine massat séverine 19 octobre 2007 08:49

                  Je ne pense pas du tout qu’il faille assimiler Prozac, molécule antidépresseur de nouvelle génération et le premier médicament neuroleptique. Ils ne visent pas la même pathologie, on ne peut pas comparer la psychose maniaque du schizophrène avec les 80 % actuels d’antidépresseurs prescrits par les médecins généralistes aujourd’hui. L’environnement social a évolué, le médicament est devenu un produit de santé cad de « bien-être ». Mais ce que je veux dire c’est que le Largactil a inauguré le processus dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, qui est davantage un nivellement comportemantal (voir Ehrenberg), qu’un pouvoir au sens où Foucault le pense pour la psychiatrie.

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