Une autre histoire d’arbre et de serpent
Tomber dans les pommes.
Il advint qu'un dieu de l'olympe se plaignit auprès de son père du vilain rôle qu'un de ses jeunes collègues faisait jouer aux femmes dans la Genèse. Zeus, bon père qu'il était, soucieux de ne pas semer la zizanie parmi les divinités le pria de taire ses griefs d'autant qu'il sentait chez le nouveau venu une volonté hégémonique qui ne lui disait rien qui vaille. Le maître du ciel du reste déclara à son rejeton : « Méfie-toi toujours de ces prétentieux qui défendent l'idée du monothéisme et pourtant se mettent en trois pour faire avaler des couleuvres aux mortels en les faisant passer pour des agneaux ! »
Hermès trouva la réplique paternelle non dénuée de sens même si, selon le code déontologique de l'endroit, elle relevait du blasphème. Mais les dieux doivent-ils s'appliquer à eux-mêmes les préceptes qu'ils fixent aux humains ? Pour l'heure cette question de théologie, était inopportune.
Un détail cependant dans la réplique de son père le poussa à la réflexion. Un mot, assez anodin, avait semé une petite graine dans son esprit qui ne demandait qu'à germer. Il fut si troublé du reste qu'il tourna la formule maintes fois dans sa tête pour en saisir le sens à moins que ce ne fût en tirer une leçon.
Après maintes réflexions, il se convainquit que l'évocation de la couleuvre méritait qu'il en mesure toutes les implications. Zeus ne dit jamais rien au hasard. Hermès se connectant au réseau céleste, se mit en demeure de compulser cet ancien testament qui prétend damer le pion à la bonne vieille mythologie grecque. Conscient de la volonté hégémonique du Dieu unique, il entendait bien chercher des poux dans toutes ces têtes ceintes d'une aura, un sens esthétique des plus discutables au demeurant.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il tomba sur un récit totalement abracadabrant ; une sombre histoire de pomme, ou d'un fruit approchant, poussant alors à foison dans un jardin miraculeux nommé Éden. Une femme y aurait été sournoisement influencée par un serpent, bête immonde sortie des entrailles de la Terre, pour pousser la pauvrette à croquer un fruit honteusement déclaré défendu dans cet univers de profusion. La malheureuse, sous influence croqua la pomme répandant ainsi le malheur sur l'humanité et surtout faisant porter la faute originelle sur toutes ses consœurs. La messe était dite et seulement par les hommes, lavés de tout soupçon dans cette sombre affaire.
Hermès se désolait que le dénommé Javé, nouveau venu dans la corporation n'ait rien trouvé de mieux que de se mettre à dos une moitié de l'humanité. Il faisait preuve d'une misogynie sans borne qui serait reprise par la suite par un encore plus jeune confrère. Comme divinité officielle des voyageurs, des bergers, des orateurs, des marchands et des voleurs, les deux dernières attributions relevant de la redondance et tout gardien de l'enfer qu'il puisse être, il savait qu'il partageait bien des responsabilités avec Iris au nom d'une parité de bon aloi. La femme était pour lui l'égale de l'homme, il lui appartenait de corriger l'effet désastreux de fruit défendu et de péché originel.
C'est précisément au pied d'un olivier qu'il trouva matière à redorer le blason de l'éternel féminin dans les bras d'une Aphrodite, belle comme un soleil. Lui le dieu lunaire ne pouvait que tomber sous son charme et leur union, consommée précisément en cet instant décisif pour l'histoire de l'humanité, engendra Hermaphrodite, l'enfant parfait pour participer par son action à la réunion des deux sexes.
Alors que la pâmoison les avaient laissés tous deux sans force, un serpent vint troubler leur bienheureuse somnolence. Hermès, craignant sans doute que le reptile ne vînt une fois encore semer le trouble et la division, attrapa une branche d'olivier qu'il tendit à la bête rampante. Le reptile s'y enroula lascivement. Aphrodite pudique, nimbée d'un voile blanc ne prit pas peur, les histoires de serpent n'étaient pas de nature à troubler la belle. Elle vit dans ce serpent enroulé sur sa branche, le pendant positif du péché originel et la plus belle manière qui soit de rendre gloire à toutes les femmes.
Hermès comprenant les pensées de sa belle, déclara que ceci serait le symbole des femmes qui se dévouent pour venir en aide à l'humanité dans la détresse. À toutes celles qui en dépit des injustices, des différences de traitement, du mépris et des rebuffades dont elles aussi, peuvent être les victimes, elles ont fait le choix de se dévouer corps et âme aux soins apportés aux autres : hommes et femmes sans distinction aucune de quelque nature qui soit.
Le serpent dans sa dualité est à la fois porteur de symboles contradictoires. En s'enfonçant dans les failles de la terre, il accède à la connaissance, au savoir au cœur des entrailles. Il est censé également posséder le secret des plantes et donc des médicaments. Dans le même temps, son venin peut provoquer la mort. Il est en ce double rôle le parfait représentant de ceux qui se vouent à la santé des autres.
La branche d'olivier faisant caducée peut soigner les morsures de vipères si bien qu'elle devient emblème du merveilleux métier des infirmières et des infirmiers qui à l'origine se vêtirent en blanc pour laver l'affront de la faute attribuée à Eve. L'amour désintéressée, le don de soi, la générosité et la bienveillance, il n'était rien de mieux pour définir cette corporation merveilleuse.
Lilith, la première femme oubliée dans cette Genèse écrite par des misanthropes pouvait se réjouir tandis que la pauvre Eve rayée des cadres sous prétexte qu'elle n'avait pas eu sa dose de piqûre, trouvait en Aphrodite par le truchement d'Hermès l'occasion de montrer aux phallocrates de toutes confessions que rien ne pouvait égaler le dévouement des héroïnes de première ligne, n'en déplaise à tous ces maudits bonhommes qui de Adam à Véran, les envoyèrent au diable et les vouèrent à toutes les gémonies ce dont seuls ceux qui se réclament d'un Dieu unique et forcément masculin sont hélas coutumiers.
À contre-sens.
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