12 ans, 3 ans, dans l’œuf, ils s’enlisent dangereusement dans leur folie
La répression ayant montré ses limites, certains se penchent sur la prévention du risque. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une prévention de type social, par la réduction des inégalités, la réduction de la misère etc., autant de facteurs qui sont connus depuis le XIX ième siècle comme criminogènes, grâce aux travaux de Le Play. Il s’agit d’une prévention fondée sur la prévision du risque de manière à l’étouffer si possible dans l’œuf
Ces études sont appliquées en milieu carcéral, notamment au Canada, mais pour beaucoup de personnes elles ont un défaut, celui de ne s’appliquer qu’à des personnes incarcérées, c’est à dire qui ont donc déjà commis un crime.
L’idéal se trouve alors, non pas dans le fait de savoir si l’on doit remettre en liberté un criminel ou pas, et ce de la manière la plus infaillible possible, mais d’éviter que ce criminel commette son forfait. Les scientifiques se sont donc lancés dans des études longitudinales portant sur trois générations de délinquants, pendant une quarantaine d’années. Ils en ont retiré un ensemble de données empiriques qui leur ont permis d’affiner le caractère culturellement transmissible de la délinquance.
Qu’est ce que signifie « culturellement transmissible ?
C’est le constat que dans
L’humain, en accédant à la conscience, a défini petit à petit qu’un individu n’avait pas le droit d’aller prendre une part de la chasse d’autrui sans son autorisation, sans sa volonté de partager. Et il a convié l’autre à faire l’effort d’aller chasser.
Sauf que ceci exige qu’il y ait une quantité de nourriture disponible pour chaque chasseur. Or, dans notre organisation socio-économique, la « proie » est devenue la monnaie, et quand elle peut être abondante, nous la raréfions pour qu’elle soit désirée. Partant de là, les chasseurs se livrent à une concurrence, et ceux qui ne sont pas assez vaillants ou adroits, peu enclins à l’effort, attardés, malades, handicapés ou d’un tempérament génétique moins adapté à la compétition, seront écartés.
Ce n’est pas pour autant qu’ils n’auront pas faim, et de ce fait, leur instinct de préservation les poussera à rechercher des moyens pour s’approprier la « proie » d’autrui. Mais dans le même temps les autres chercheront des mesures pour les en dissuader.
Partant de là, chacun élèvera sa famille dans des conditions différentes plus ou moins difficiles qui se répercuteront sur leur progéniture. Quelques milliers d’années plus tard, pour réguler tout cela, l’humain a défini une notion de bien et de mal qui condamnait les actes de celui qui volait par exemple, mais aussi invitait l’autre à partager. Ceci sans résultat. De telle manière que ceux qui possédaient des « proies » ont établi une liste de délits et de crimes, ont construit des prisons pour ceux qui enviaient les proies dont ils estimaient être les propriétaires. Les mêmes prisons également pour ceux qui, conscients de ces inégalités, prônent des solutions de modification de ce scénario pour que l’on puisse nourrir ceux qui sont écartés par la concurrence ou en organisant pour eux des actions de solidarité sociales pour les nourrir et leur apprendre à chasser « des proies ». Et nous sommes dans ce schéma réducteur depuis des millénaires.
Cette quête de la « proie » est structurée aujourd’hui par la division du travail et la mobilité, à partir desquels, des groupes vont se stratifier socialement. Ceux qui appartiendront aux groupes qui se trouvent « écartés ou plus faibles, moins méritants, et qui au grand désespoir des autres groupes ont faim et ne se décident pas à vivre les difficultés de leur existence, utiliseront les faiblesses des autres ou leurs points sensibles, pour s’approprier les biens qu’ils désirent, voire utiliseront leur faculté à se regrouper s’ils sont suffisamment nombreux, voire se laisseront aller. C’est dans ces groupes tenus à l’écart de la chasse à la « proie » que les structures organisatrices, discipline, obéissance perdront de leurs efficiences. C’est des difficultés inhérentes de ces groupes à vivre leur mise à l’écart que se développeront toutes les formes de transgressions, et ils les répercuteront sur ceux qui les partagent ou naissent dans leurs conditions. Et chacun peut comprendre que l’on peut leur apprendre à chasser, s’il n’y a pas de « proie » disponibles, ils chercheront toujours à aller prendre celles des autres qui s’en défendront.
C’est en cela que la délinquance est culturellement transmissible.
Et aujourd’hui la grande quantité de variété de biens et de services est si vaste qu’ils nourrissent des désirs insatiables de possession et de valorisation, alors que la chasse à la « proie » reste toujours limitée volontairement. Volontairement pour nourrir le désir d’en posséder, si bien que plus aucun groupe social n’échappe à la tentation de la transgression à divers pourcentage, même entre les dominants systémiques qui se communiquent leurs combines pour échapper à la notion de bien et de mal que leurs prédécesseurs ont élaboré pour se protéger.
Toutefois l’affirmation du caractère culturel de la délinquance a permis d’élaborer une typologie en termes d’origine sociale, géographique, ethnique…et ainsi de définir des profils criminogènes. Mais la détermination du profil ne s’arrête pas là. D’après ces études, il est possible de prédire qu’un enfant entre deux et trois ans, selon son environnement et les observations psychosociales faites de son comportement à l’école, aura 75% de chances de devenir un « délinquant persistant grave », selon la terminologie employée. Il serait donc possible d’intervenir dès la maternelle, sur ces populations potentiellement dangereuses.
Un chercheur Canadien, M. Tremblay, va jusqu’à dire que l’on peut prédire l’avènement d’un futur délinquant, dès que certaines adolescentes sont enceintes. Ce même chercheur, voyage et propage sa théorie dans le monde entier avec la bonne foi la plus totale, et il est manifestement entendu dans tous les pays. D’ailleurs, en France, pendant la campagne électorale des présidentielles, le 25 mars 2002, sur la chaîne de télévision France 2, le candidat Lionel Jospin a parlé d’impliquer l’école dans le processus de sécurité, notamment en surveillant les comportements déviants et asociaux de certains enfants. A cela il faudrait ajouter les recherches qui sont faites sur les causes éventuellement génétiques de divers crimes.
Déterminer des populations d’enfants de deux à trois ans, voire de fœtus criminogènes, pourquoi pas. Mais pour quoi faire ? D’autant que ces méthodes ne sont vérifiées qu’à 75%, et qu’ainsi il y a 25% de « faux positifs ». Il y a donc le risque de se tromper pour un quart de la population déterminée, pour ne pas dire stigmatisée, mais ce risque n’est pas perçu comme dangereux par la population. La question que l’on peut se poser alors est : « Que faire de ces populations ainsi désignées ? Appliquer le fameux principe de précaution ? Comment ? Traitement préventif[1] ? Mise à l’écart ? Éradication préventive ? »
Ce mode de contrôle et à la fois subtil et pernicieux. Il n’est pas appliqué par les institutions d’ordre, comme la police. Non. Il est administré par des scientifiques, des universitaires, indiscutables aux yeux d’une opinion publique qui ne cherche qu’à se rassurer avec ce genre de certitudes, et qui est prête à laisser le champ libre à ceux qui promettent de supprimer leurs angoisses et leurs peurs.
L’analyse de ces scientifiques devrait plutôt inciter les politiques à prendre des mesures économiques visant à la résorption des inégalités sociales qui sont à l’origine de la délinquance, en parallèle avec les mesures coercitives indispensables pour ceux qui sont réfractaires à ce type de traitement.
Au lieu de cela ils organisent dès l’enfance un système inquisitorial, pour satisfaire d’une part leur stratégie d’acteur, cacher leurs échecs successifs depuis plus de vingt ans dans un choix politique dont ils connaissaient les conséquences. De telle manière que les citoyens sont à la fois, victimes, complices, dupes et dupés, et leur absence de vue globale stigmatisée par le local et l’individualisme leur enlève toute vision événementielle.
Nous sommes là dans un schéma de déjà vu. Pourtant, le reconnaître n’est pas chose aisée. Compte tenu des moyens technologiques dont nous disposons dans le domaine de la génétique, la tentation va être grande de recourir à l’Eugénisme. Le terme d’eugénisme a été employé pour la première fois par le physiologiste britannique Francis Galton (1822-1911). Il le définissait comme l’étude des facteurs socialement contrôlables qui peuvent élever ou abaisser les qualités raciales des générations futures, aussi bien physiquement que mentalement. Galton ne disposait pas alors des connaissances qui sont les nôtres aujourd’hui sur la génétique, et s’appuyait sur des connaissances biologiques suffisamment précises. Le fruit de ses travaux trouva son application légale et réglementaire qui relevait du scandale pur et simple en imposant, au nom d’une fausse science des mesures radicales de castrations et de stérilisations à des êtres sans défenses. C’est dans ce cadre que les travaux de monsieur Tremblay par exemple pourraient faire l’objet d’une manipulation proche ou identique.
C’est dans ce cadre que ces pratiques servirent de référence aux idéologies racistes, dans la voie des travaux de Linné (1707-1778) et de Buffon (1707-1788), poursuivie par Gobineau (1816-1882). A la fin du XIX ième siècle, l’Europe cultivée est convaincue que le genre Humain se partage en races inférieures et en races supérieures. C’est surtout en Allemagne que ces idées, conjuguées aux conceptions du monde de Vacher de Lapouge et H. S. Chamberlain, vont jeter les bases de l’aryanisme historique. Dans l’Allemagne de Guillaume II ces idées étaient très largement vulgarisées dans la population. Et naturellement lorsque Hitler traduira le Mythe en réalité, il ne trouvera que très peu d’opposants[2].
Ainsi, quelques théories qui se voulaient scientifiques, sans avoir fait la preuve qu’elles étaient réfutables, ont conduit tout doucement au plus grand drame de l’histoire Européenne, car, tout aussi naturellement, des parties de populations d’autres États partageaient ces conceptions. Nous ne sommes jamais à l’abri de rouvrir des camps de déportation, de concentration, pour aller vers un génocide « labellisé » par la science, pour cacher à notre miroir personnel tous les crimes que nous nous sentons capables de commettre.
[1] Ce questionnement a été formulé par son auteur, M Cazeaux, au cours du séminaire de monsieur Guy Lemire le 25 mars 2002. Il faut reconnaître que le comportement des États-Unis en Irak apportent la confirmation de son analyse de cette époque.
[2] Le Matin Des Magiciens. Éditions Gallimard, 1960.
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