1984 en 2008 ?
Bon, eh bien ça se précise, le futur selon W. Bush. La société de demain sera informatisée, ça on le sait déjà, merci, même les grands-mères s’en sont aperçues, à truster les places de cours de formation dans les centres sociaux ou les maisons de quartier pour arrêter de passer pour des ringardes auprès de leurs petits-enfants. Ce dont on se doute aussi, c’est qu’elle aura une tendance au « bigbrotherisme » accentué, la future société. Les dernières nouvelles en provenance des Etats-Unis confirment la tendance. La surveillance des individus, là bas, prend des proportions alarmantes et parfois assez inattendues.

Récemment, en effet, on a vu un comté californien tester un drone de la police pour surveiller la région qui entourait le bureau de police. Plusieurs Etats en sont déjà convaincus : à force de voir les Predators et autres dérivés dans leur téléviseur, dans des reportages sur la guerre en Irak, plusieurs shérifs locaux on eu l’idée de recourir à ces engins. Si l’on veut bien croire en l’excuse des coûts de revient et de fonctionnement inférieurs, l’intensification de la surveillance risque de poser quelques problèmes d’éthique assez rapidement. En fait, dès aujourd’hui, aux Etats-Unis, un simple papier, le Certificate of Waiver or Authorization, ou COA permet de faire voler ce qu’on veut... En réalité un papier réservé pour l’instant aux militaires et aux agences fédérales type FBI. Ce papier précise le plus souvent que les vols de nuit sont interdits et qu’un suivi effectif au sol du drone a lieu. Un simple papier, et non une licence de pilote ! L’été dernier, la FFA (Federal Aviation Administration) a ainsi délivré plus de 100 certifications pour la police dans le pays.
Parfois même des policiers n’attendent pas la certification : ainsi à Gaston County, N.C, où le département de police a fait voler tout l’été 2007 un modèle non homologué : des policiers hors la loi, donc, ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette course à l’armement policier aux Etats-Unis : il n’y a pas que le Taser dans leur besace technologique. Dans les zones sensibles de frontière comme avec le Mexique, c’est déjà chose courante : le drone fait aujourd’hui partie intégrante de l’équipement policier. Le Skyseer d’Octatron Inc. of La Verne, Californie, a ainsi été testé dès 2006 par la police de Los Angeles, un petit engin de 2,6 kg seulement. L’idée en fait a été reprise aux garde-côtes américains, désormais partie intégrante du Homeland Security. Avec parfois à l’usage les heurts avec certains magistrats américains, à l’origine des hic anticonstitutionnels, comme l’usage dénoncé de caméras thermiques pour détecter des plantations de marijuana à l’intérieur d’une maison "In a 2001 case, the U.S. Supreme Court found that federal agents had carried out an illegal search in violation of the Fourth Amendment when they used thermal imaging equipment to spot marijuana grown inside a private home."
Parfois aussi la police tente de faire des essais incognito, mais de braves citoyens texans veillent. Une vidéo édifiante montre le déploiement de force "sans média autour" pour le test d’un nouveau drone... L’appareil testé, de 16 kg seulement, est signé InSitu, et sa découverte par les journalistes a obligé la chef de police locale Martha Montalvo à faire une mise au point : selon elle, c’est "une nécessité du Homeland Security". Et a avoué par la même que le test aurait dû rester secret : "I wasn’t ready to publicize this". L’engin doit son existence à un groupe, le Second Avenue Partners, dirigé par un ancien dirigeant de Microsoft, Pete Higgins. Son principal avantage : le prix par rapport à la concurrence issue de l’armée : "Northrop Grumman’s Global Hawk, costing an estimated $15 million a plane, provides high-altitude reconnaissance and was used in Afghanistan. General Atomics Aeronautical Systems’ Predator drone, at $25 million per system, earned a name for itself after it was fitted with missiles and used over Iraq and Yemen.... Insitu had no interest in competing for those markets ; it wanted smaller, smarter and cheaper. Its ScanEagle military surveillance drone, now in full production, carries a price tag around $70,000." Les rues américaines vont-elles donc bientôt ressembler à celles de Bagdad, sillonnées tous les jours par des drones ?
Dans un autre registre d’idées ou, plutôt, dans le même univers, justement... l’armée se rapproche chaque jour un peu plus des gens, aux Etats-Unis. Mais pas dans le sens convivialité. La dernière en date (hier, le 5 mars !), de cet inquiétant phénomène, c’est l’annonce surprise du candidat au rachat de Diebold, la principale entreprise de fabrication de machines à voter, parmi les plus décriées (au point que la société a dû depuis changer de nom !). On s’attendait à tout sauf à ça... Car une offre de rachat a été faite par... United Technologies Corporation. La firme n’est pas une inconnue, c’est un gigantesque conglomérat qui fabrique aussi bien des ascenseurs (Otis) que des conditionnements d’air (Carrier), mais aussi des hélicoptères militaires (elle fabrique le BlackHawk, le modèle plus répandu en Irak avec le Chinook, car elle détient Sikorsky !) et des systèmes de vol sous le nom d’Hamilton Sundstrand ou des turboréacteurs sous le nom de Pratt&Whitney. Son patron, touchait déjà 70 millions de dollars de salaire et de stocks-options en 2003, et fournissait les deux campagnes de Bush a raison de 52 %, donnés aux républicains contre 48 % aux démocrates en 2000, score qui n’a cessé d’augmenter dans un sens : à l’élection de 2004, United avait offert 64 % de ses dons aux républicains et 36 % seulement aux démocrates : les guerres républicaines ont du bon pour les affaires !
Dans un article assez saisissant, le New York Times, qui avait soutenu l’invasion de l’Irak, rappelle les liens un peu trop étroits avec le pouvoir en place en citant même une superbe vidéo parodique annonçant que Diebold aurait annoncé le résultat de 2008 avant même l’élection ! Le constat du NYT est simple et très alarmant : il existe un danger évident à ce qu’un des plus gros fournisseurs de l’armée soit celui qui vende désormais les machines à voter soupçonnées depuis toujours d’être trafiquées : son candidat, naturellement serait celui qui a déclaré vouloir rester en Irak pour cent ans, puis même pour mille ans. Il est connu et déjà sur les rails pour le sprint final. Le NYT, à la lecture de l’annonce a aussitôt ressorti le célèbre discours du 17 janvier 1961 d’Eisenhower évoquant le pouvoir croissant et le danger pour la démocratie du "complexe militaro-industriel". Un lecteur attentif nous avait sur un autre sujet rappelé l’existence de cette fabuleuse vidéo qui n’était autre que le discours d’adieu d’un militaire écœuré par l’emprise de l’argent sur les conflits à venir et la politique internationale. Aujourd’hui, elle passe aisément pour prophétie.
Pour l’instant, Diebold a rejeté l’offre de rachat. C’est la deuxième fois en deux ans : la foi précédente c’était déjà United qui l’avait proposée... sans qu’on le sache pour autant. Pour beaucoup de financiers, l’offre ne s’explique toujours pas : Diebold est plombée de partout, ses machines ont des difficultés, etc. Et tous ces problèmes semblent insolubles. "All the things about why Diebold isn’t profitable are things they can’t control." Investir 3 000 milliards de dollars dans une entreprise aussi calamiteuse ? A part d’être le troisième distributeur de billets en... Russie ! Personne ne comprend donc cette offre hostile... sauf... si United songe à réinjecter un peu de technicité dans la production Diebold pour améliorer ces modèles calamiteux. En fait, United a déjà tout prévu.
L’année dernière, en effet, United avait déjà fondu sur Electronic Security Systems pour 1,2 billion de dollars : c’est cette entreprise qui pourrait en même temps redorer le blason de Diebold... et en même temps introduire McCain comme gagnant par défaut dans toutes les machines de vote du même nom. Ça a bien déjà marché deux fois, une troisième est possible. United s’apprête aussi à fabriquer, il est vrai, d’autres machines, au cas où les urnes électroniques contrôlées ne suffiraient pas. Encore une fois, c’est l’émission 60 minutes qui nous montre "l’arme qui ne tue pas", l’Active Denial System ou ADS.. .de Raytheon, sur laquelle planche aussi United. En cas d’émeute urbaine, c’est l’outil de contre-manifestation idéal : en échauffant la peau, il repousse tout manifestant.
L’avenir de la démocratie et de ses libertés s’assombrit pas mal en ce moment aux Etats-Unis. Ceux qui ne veulent pas le voir ni le comprendre se réveilleront demain au beau milieu du roman d’Orwell. On ne pourra pas leur dire qu’ils n’auront pas été prévenus avant.
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