Administration : Il est permis de bien se conduire
La commission médicale d'une quelconque préfecture.
Histoire vraie ...
Le chroniqueur n'est pas prêt de se trouver démuni. Tous les jours ou presque arrivent à ses oreilles attentives des situations rocambolesques ou bien ubuesques, des contes à la Kafka ou bien des récits dignes de Courteline. Sans avoir la prétention de me mesurer à ces grandes plumes, je vous livre céans, une histoire qu'on m'a confiée. Elle n'est hélas que trop vraie !
Cette aventure se déroule dans un département dont nous tairons le nom par égard pour ceux qui sont les acteurs de cette farce administrative. Deux personnes se présentent au petit matin devant la commission médicale des permis de conduire. Cette émanation de cette austère administration se situe dans des locaux annexes.
Un homme, atteint hélas de la terrible maladie d'Alzheimer doit répondre à une convocation afin de se voir, par prudence, retirer son permis de conduire. C'est la fin d'une procédure menée par la famille pour que cesse ce risque de plus en plus réel quand ce pauvre personnage prend le volant. Il a dû passer devant un médecin conseil qui a empoché 33 euros pour ne rien décider et faire suivre le dossier vers la commission ad-hoc. Tout est bon à plumer les dindons !
Donc, voilà nos amis devant cette fameuse commission à l'heure précisée par leur convocation. Ils arrivent bien sagement dans les temps, se retrouvent devant quelques sièges pour qu'attendent les chalands et un bureau à la porte ouverte. Ni affichette, ni procédure explicite, l'usager doit savoir par lui-même les us et coutumes de ce lieu.
Ils approchent de ce bureau ouvert. Une dame y travaille, elle lève la tête et dit sèchement, « C'est pourquoi ? », elle vocifère d'un ton de mégère revêche : « C'est pas votre tour ! » Par la suite, ils découvriront que cette secrétaire atrabilaire manie, maîtrise la phrase non verbale et la forme exclamative avec un rare talent. Penauds, ils vont s'asseoir sans trop savoir quand sera leur tour.
Ils sont dans un local sans lumière du jour. Ils se retrouvent avec quelques personnes aux parcours différents. A l'entrée, deux tables d'écolier, pour recevoir des casisers à lettres posés là, pour répartir sans doute le courrier des différents services relégués loin de la préfecture mère. L'ambiance est à l'image du lieu, c'est glauque, la suite le confirmera en tous points.
La dame à la tenue stricte, hurle parfois un nom de famille : " Machin est arrivé ? " Point de monsieur ici, il faut aller à l'essentiel. Faute de réponse après plusieurs tentatives, la dame de gueuler alors « Qui est qui est arrivé ? » Les gens se lèvent pour signaler leur patronyme. Pas besoin de longues conversations.
Du bureau retenti alors : « Dupont, à vous ! » L'intéressé se lève et pénètre dans le bureau. La porte ne se referme pas derrière lui, la dame ne va tout de même pas se lever. C'est ainsi que chacun peut entendre les raisons de la présence de ce monsieur dans ce bureau de la honte. « Perte du permis pour conduite après consommation de cannabis. Vous avez vos examens médicaux ... » Les autres, dans la salle d'attente sont gênés. La confidentialité n'a pas sa place ici.
Dupont ressort. Un autre nom est hurlé à la cantonade. Celui-là est vertement sermonné. Il est venu en voiture chercher son permis. La dame s'en étonne et tous d'entendre ce qu'il a osé faire. Le public apprend et comment ne pas le faire, que ce triste sire a perdu son précieux papier rose pour conduite en état d'ébriété. Son taux de gamma GT semble ne pas être assez descendu, c'est pas gagné pour lui !
Les gens dans la salle ne savent plus où se mettre. Ils doivent discuter entre eux pour échapper au dossier du suivant. Pire encore, les gens sont ensuite appelés dans le bureau du médecin conseil. Si celui-là ferme la porte, les murs sont si fins que chacun peut, en tendant l'oreille, tout savoir de ce qui se dit, là aussi. Cette fois, c'est un questionnaire médical, la chose pourrait être plus intime.
C'est au tour de ceux qui m'ont narré l'aventure de passer devant la dame. Des questions sèches qui profitent à tous. Une nouvelle attente, le passage devant le médecin flanqué d'une collaboratrice puis après une nouvelle attente, le retour devant la dame pour le résultat de la décision du docteur. Et là, la dame a voulu se montrer aimable. Notre ami s'étant vu retirer le permis en toute logique compte tenu de l'avancement de sa terrible maladie, notre dame de vouloir le rasséréner : « Vous savez, la mémoire ça se travaille, vous pourrez réclamer une convocation ultérieure ! »
Dans la salle d'attente, quelques rires étouffés ajoutent à l'humiliation de cette perte symbolique. C'est ainsi que ça se passe dans cette préfecture de province. Les administrés n'ont pas droit au respect et au secret. Chacun profite de la détresse des autres. Il suffirait de peu de chose pour que ce moment difficile se fasse dans des conditions acceptables, mais qui en a vraiment envie ?
Permissivement vôtre.
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