Apologie des boules
Il est de bon ton dans les milieux bien-pensants à plus de deux briques par mois de vilipender l’ouvrier grossier, fainéant et alcoolique qui dépense toute sa maigre paie au bar en cigarettes, vin médiocre et loto. Par-delà cette analyse sociologique d’altitude intragravière, l’ouvrier grossier, fainéant et alcoolique a-t-il vraiment tort de jouer au loto ?
Il est aisé de démontrer que jouer au loto est illogique. Cela se démontre de deux manières :
- - Par les mathématiques
- - Par l’économie
Les mathématiques :
Prenons le cas de l’Euromillions et ne considérons que les gagnants du premier rang (on peut postuler que les gains de rang supérieur comptent pour peu dans l’attrait de ce jeu auprès des clients). Il s’agit, pour gagner, de cocher cinq cases sur une grille de 1 à 50, puis deux étoiles parmi neuf. Une application moins élémentaire qu’il n’y paraît des lois de la probabilité nous indique que pour une grille remplie, on a une chance sur 76 millions de gagner. Le gain moyen peut être estimé (à la louche) à 15 millions d’euros, chaque grille coûte 2 euros, la plupart des joueurs remplissent cinq grilles, soient dix euros par semaine. Pour un investissement de 10 euros, on a donc une chance sur 15 millions de gagner 15 millions d’euros, soient une espérance de gain de 1 euro (rappelons que nous ne considérons ici que les gagnants au premier rang). Investir 10 pour gagner en moyenne 1 est évidemment une sottise.
L’économie :
La Française des Jeux n’étant pas un organisme à but philantropique, il est inutile d’avoir de fortes notions d’économie pour postuler qu’ils vont essayer de gagner plus d’argent qu’ils n’en dépensent. Et compte tenu du fait que ce sont eux qui décident des règles du jeu, on peut là encore postuler qu’ils n’ont pas trop de mal à réaliser cet objectif.
Ayant démontré que jouer au loto est une mauvaise affaire, je vais maintenant vous expliquer en quoi ceux qui y jouent sont pourtant rationnels. Et pour ce faire, je vais prendre l’exemple inverse. Imaginez qu’une entreprise n’ayant guère le sens de ses intérêts vous propose le contrat suivant : toutes les semaines, ils s’engagent à vous verser dix euros. Comme ça, cadeau, à vie. Oui, mais en retour, il y a un petit risque : chaque semaine, vous avez une chance infime, une sur quinze millions, de perdre 15 millions d’euros à leur profit. Allez-vous signer ce contrat ?
Je suis prêt à parier que non. Il faudrait être remarquablement stupide, vous en conviendrez, pour faire une chose pareille. Même si, objectivement, il n’y a qu’un risque infime de se retrouver définitivement ruiné, de vendre tout ce que l’on possède et de passer le reste de sa vie à manger des nouilles pour rembourser sa dette, ce risque est non-nul et causera chaque semaine des sueurs froides à toute personne normalement constituée. Surtout si l’on considère qu’en contrepartie, on ne gagne qu’une somme tout à fait dérisoire, que n’importe quel paumé peut aisément gagner en une demi-heure de mendicité et qui ne changera en rien votre quotidien. On peut considérer que vous payez alors dix euros par semaine votre tranquilité d’esprit.
Ceci illustre que la logique comptable d’une grande entreprise ne peut pas nécessairement s’appliquer à un particulier. En l’occurrence, la différence entre la Française des Jeux et monsieur Tartempion, c’est la capacité d’assumer un risque. La FdJ est parfaitement capable de perdre 15 millions d’euros par semaine, car précisément ce n’est pas une perte, c’est un investissement. Un particulier n’a pas ces moyens. Les 10 euros que gagne la société sont très importants, car multiplié par x millions de joueurs chaque semaine, c’est son revenu. Par contre, ces 10 euros ne représentent pas grand-chose pour celui qui les paye.
Résumons la logique derrière ce curieux comportement du joueur : lorsque je joue, cela me coûte si peu que ça ne modifie en rien mon niveau de vie. Mais si je gagne - et je suis parfaitement conscient que la chose est peu probable - j’accède soudainement et sans efforts à la classe des possédants. En somme, l’investissement peut être considéré, subjectivement, comme nul, tandis que le bénéfice, tout hypothétique qu’il soit, est immense. Dans cette optique, jouer est parfaitement rationnel. Il faudrait donc cesser de considérer les activités de loterie comme un scandale national ou un impôt sur la bêtise, et les envisager pour ce qu’elles sont, un échange d’argent entre deux parties ayant chacune bien compris son intérêt propre.
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