Barcelone : quand le tourisme devient un fléau
La capitale catalane est devenue, non sans raisons, l’une des destinations les plus prisées du continent européen. Mais l’afflux massif des touristes dans une ville mal préparée n’a pas manqué, au fil du temps, de poser des problèmes non seulement aux habitants, mais aussi aux édiles, confrontés à des atteintes à l’ordre public et à des dérives locatives. Benvinguts a Barcelona !
Il est dans l’air du temps de se plaindre de la disparition de l’esprit de fête à Paris. La capitale française a pourtant beaucoup de chance : à trop vouloir exporter cet esprit de fête dans les villes européennes les plus branchées du moment, c’est à des conflits aigus que donne lieu la confrontation entre les touristes et les riverains excédés. Certes, elle est bien jolie, la ville de Barcelone, avec ses « casas modernistas », son superbe Park Guëll, son merveilleux Palais de la Musique Catalane, ses fabuleux musées et ses vieux quartiers bâtis autour de la cathédrale de la Sainte-Croix et de la célèbre Rambla. Mais elle paie aujourd’hui la rançon d’un succès qui n’a cessé de croître depuis les années 90 dans des proportions devenues problématiques au fil du temps.
En vingt ans, le nombre des touristes est en effet passé de 2 millions par an à près de... 8 millions, soit quatre fois plus ! Une progression spectaculaire d’autant plus difficile à gérer que les autorités municipales de l’« Ajuntament de Barcelona » ont été peu à peu débordées par les dérives liées au manque croissant d’hébergements saisonniers. Résultat : face à la demande chaque année plus importante, de nombreux Barcelonais se sont mis à pratiquer la location sauvage, souvent en sous-louant leur appartement en toute illégalité. Et cela dans des conditions parfois extravagantes, certains loueurs permettant aux touristes de s’entasser à 6, voire à 8, dans des logements adaptés pour seulement 2 ou 3 personnes.
On imagine facilement les nuisances sonores dans les petits immeubles des quartiers anciens du Barri Gotic, de La Ribera, d’El Born et surtout de La Barceloneta, le plus proche de la plage. Des quartiers de surcroît particulièrement bien pourvus en bodegas et autres bars à tapas eux-mêmes sources de désagréments récurrents pour les riverains dans la chaleur estivale. Mais le pire restait à venir : aux touristes venus admirer les beautés de la capitale de Catalogne, s’est ajouté depuis quelques années une catégorie de visiteurs d’un autre genre : les « fêtards » venus notamment du Royaume-Uni et d’Allemagne. Peu sensibles aux charmes de la ville, ceux-là n’ont qu’un objectif en tête : s’éclater dans les ambiances bruyantes et la consommation débridée d’alcool et de cannabis, le cas échéant dans les dérives à caractère sexuel.
Depuis des mois, des dizaines de banderoles sont apparues sur les balcons et les façades du vieux Barcelone pour exiger le respect des riverains, confrontés dans les rues et sur les places les plus exposées de la vieille ville, aux débordements de ces hordes d’énergumènes. On comprend aisément le ras-le-bol de ces Barcelonais : entre les vociférations, les chants, les vomissures, l’urine sur les habitations et l’exhibitionnisme, difficile de vivre dans des conditions normales, surtout lorsque la prétendue « fête » dure très tard dans la nuit, parfois jusqu’au petit matin.
Mais, paradoxalement, c’est en plein jour qu’une goutte d’eau a fait déborder le vase de la colère. Le vendredi 15 août, trois jeunes Italiens se sont promenés totalement nus durant trois heures sur la plage puis dans la ville, allant jusqu’à pénétrer dans une supérette, sans être inquiétés par une police municipale manifestement dépassée, comme l’a rapporté le quotidien El Pais. Deux jours plus tard, le dimanche 17 août, des milliers de Barcelonais descendaient spontanément dans les rues pour protester contre des débordements devenus intolérables et contre l’inaction de la Municipalité.
Face à la colère de leurs administrés, les autorités municipales se sont enfin décidées à réagir. D’une part, en renforçant les patrouilles de police, afin de remettre un peu d’ordre dans les rues de Barcelone, et en mettant en place une amende de 300 euros afin de lutter plus efficacement, en période estivale, contre toutes les formes d’exhibitions, y compris les déambulations d’individus torse nu en ville. D’autre part, en prenant des mesures contre la prolifération des locations illégales, plus ou moins tolérées jusque-là pour compenser les effets de la crise économique. Mais au regard de la réalité, il est évident qu’il devenait urgent d‘agir comme le montre la situation dans le quartier de La Barceloneta où l’on a pu compter sur les sites internet jusqu’à 10 fois plus d’offres d’hébergement que de locations saisonnières officielles ! Les loueurs illégaux s’exposent désormais à une pénalité pouvant atteindre 9 000 euros. Une mesure qui partage toutefois les Barcelonais auxquels elle semble trop radicale, eu égard à la précarité économique de la majorité de ces loueurs. Sans doute faudra-t-il trouver des solutions de compromis passant, peut-être, par des agréments pour une partie de ce parc d’hébergement clandestin.
Dans l’immédiat, rien ne semble réellement réglé, même si une cinquantaine de lieux de commercialisation du cannabis ont été fermés. Mercè Homs i Molist, conseillère municipale de La Barceloneta, a pourtant promis la « tolérance zéro » contre les dérives comportementales lors d’une conférence de presse tenue au mois d’août après les manifestations de colère des Barcelonais. Mais il est évident que bien peu d’habitants des vieux quartiers, échaudés par l’incurie qui a si longtemps prévalu, croient en cette promesse. En attendant d’en constater les éventuels effets de manière concrète sur le terrain, les résidents de la capitale catalane peuvent souffler avant le retour des beaux jours du printemps 2015, et avec eux, celui des nuisances. Ils n’en restent pas moins mobilisés, et plus que jamais déterminés à maintenir la pression sur l’Ajuntament de Barcelona, comme le montrent les banderoles, toujours présentes en grand nombre sur les façades en ce mois d’octobre.
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