Bouchons, sautez maintenant
La circulation devient de plus en plus problématique sur nos routes encombrées. On étudie les mouvements des véhicules et leurs arrêts dans les files. Les bouchons qu’est-ce qui les provoquent à pieds ou en voitures ? Quelles sont les règles du jeu ? Un article de notre magasine Touring Explorer avait attiré mon attention, avec quelques sourires de plus.
- ’Accidents sur la route "x", travaux sur le pont "y", bouchons sur la bretelle d’autoroute "z".’
Véritable litanie journalières que l’on écoute d’une oreille presque distraite. Plus de réactions contradictoires n’apparaissent dans notre réseau neuronal. Passif, l’utilisateur de la route en a pris l’habitude, sans rires, sans sourcilier.
La colère ne sert à rien. Quand faut y aller, faut y aller, faut y aller et s’intercaler dans les files. Pas d’autres alternatives. Métro-boulot-dodo, dit-on. Les alternatives sont volontairement méconnues, mais, d’ailleurs, tout autant bondées.
Une pub, promotion des transports en commun, nous montre une vieille dame bien digne qui dit "J’aime me laisser conduire". Il faut dire qu’à son âge, elle ne doit pas connaitre les mêmes encombrements.
On ne la verra pas emprunter ces chers transports en commun entre 8 et 9 heure du matin et, en plus, le lundi. La brave dame ne sort pas à cette heure indue.
Les retards du matin sont importants. Évidemment. Ils ont le plus d’impact sur l’économie d’un pays. Pardonnez à cette population qui a des volontés incongrues d’aller travailler tous en même temps.
Les bouchons du soir, eux, ce sont les particuliers qui accumuleront les retards sur leur propre horaire. Donc, moins "stratégiques". On en parlera un peu moins.
Il devient urgent d’analyser les phénomènes de trafics dans les villes qui deviennent les mégapoles de plus en plus grouillantes de voitures. Les taux de fréquentation à bord des voitures restent eux, très bas. Le car-pooling préconisé reste embryonnaire et dépendant de tellement de facteurs tel que des horaires trop variables pour raison de flexibilité.
Un rappel d’une première tentative de mobilité contrôlée m’avait fait réfléchir très sérieusement à ce qui n’allait pas. Cette fois, j’ai envie d’y ajouter une touche moins sérieuse.
Car certains se sont mis à analyser les phénomènes par le bas de la "chaîne", celui du piéton. Ceux-ci ne sont pas drillés avec un code de la route avec des règles implicites, non apprises, sans sanctions pour en vérifier la bonne compréhension du "code du piéton". Donc, à priori, l’idée est bonne.
Tout d’abord, il y a les piétons qui se rencontrent parce qu’ils vont en sens inverses sur des voies identiques. Pas de bandes de roulement. Des trottoirs de chaque côté de la rue ou de la chaussée. Chacun choisit son côté, son "vade mecum". Première différence avec la conduite en voiture.
Que se passe-t-il ? Vont-ils se heurter, créer un bouchon, obstruer les autres piétons qui suivent ou, vulgairement dit, se rentrer dans le lard quand ils se cognent ?
Non. Cela marche et, apparemment,très bien même.
Les basses vitesses, comme explication ? Pas vraiment, surtout que celles-ci ne sont pas toujours de mise. Surprise, les piétons s’organisent parfaitement sur les trottoirs. On ne se touche pas. Pas de collisions. L’esquive est de rigueur.
Une fois à gauche, une fois à droite de l’obstacle. Si c’est un piéton motorisé, il va suivre une voie par son seul réflexe en s’organisant un peu comme s’il était à bord de son véhicule en maintenant sa droite. Pour traverser, il regardera à gauche puis à droite. La priorité à droite, c’est pour les anglais ou pour les utilisateurs d’un véhicule. Chacun à donc, sa bande imaginaire. Il gardera la liberté de ses mouvements. Deuxième différence.
A l’aéroport, sur les tapis roulants pour atteindre les terminaux d’embarquement, la droite reste de rigueur pour les moins pressés comme sur la route.
Le croisement ne se fait qu’à des moments critiques du changement de directions. L’attention du piéton augmente, alors, comme s’il se rendait compte qu’il sort de la normalité de ses mouvements. Il s’infiltre patiemment, consciencieusement même. Les règles deviennent implicites, guidée par le seul subconscient. Toujours, pas besoin de code de conduite. Il n’aime ni les collisions, ni les contacts même si ils resteront sans dégâts corporels. Il veut rester impersonnel. Au besoin, il cède le passage, dans une grand mouvement du bras. Il dépasse sans effusion, sans bruits. Il regagne ensuite sa vitesse de croisière avant un autre croisement. Troisième différence.
En ville, le piéton est-il plus grégaire que solitaire avec une discipline programmée par les seules habitudes ?
Il est clair qu’à bord de l’auto, l’homme n’est plus le même. Ce n’est pas un martien, ni un vénusien. C’est un individu qui a une cage autour de lui et cela fait toute la différence.
La sociologie pourra-t-elle apporter des réponses à ce changement de personnalité ? Pas, nécessairement, des évidences. Quelques essais suffiront.
Lincoln Ryave et James Schenkein se sont intéressés à ces phénomènes dans une ville universitaire américaine. Enfin, déjà une remarque, pas toutes les villes américaines. Se promener à Los Angeles risquerait de vous occasionner quelques questionnements de la part de la police. Là-bas, la promenade, c’est la bagnole et rien que la bagnole à L.A.
La marche est une activité intensive qui touche le mental et les jambes. Quatrième différence.
Mikael Jonasson, à Göteborg, constatait que dans un carrefour compliqué, l’ordre cherche son chemin dans le chaos. La rue est pour lui, un théâtre d’improvisations pour sa musique. A l’écouter, on comprend où il veut en venir.
Tom Vanderbilt, dans son livre "Trafic", y voyait notre comportement de vie dans sa généralité et pas dans la route en particulier. Sans blague. Il en a trouvé quelques principes.
Marcher en solitaire ou en groupe demande des réactions spécifiques. Le solitaire, normalement, laissera la priorité au groupe qu’il rencontre. Il contournera celui-ci dans le cas où ce groupe s’est arrêté. Il n’a pas envie d’entendre des échos très peu honorifiques. Il dérangerait la règle de la constitution de l’agglomérat et la loi du nombre. Un trottoir trop étroit et le piéton solitaire en descendrait naturellement, sans hésitation. Passer au travers équivaudrait à devenir vulgaire et ne correspondrait pas à l’image qu’un citoyen bien pensant veut donner de lui-même.
Des noms d’oiseaux, des insultes, un bras d’honneur, ne font pas partie de l’arsenal de réactions du piéton. De telles répliques aux échos ne changeraient rien et tomberaient dans une ambiance délétère.
On se les réservera dans un autre cadre bien plus protégé. Pas folle la guêpe ! Surtout quand celle-ci a des ailes un peu fatiguées...
Alors, on arrive aux règles générales, raisonnables, pour réguler la circulation sur les routes :
- La continuité : Circulez, y a rien à voir, comme dirait le policier. Il ne dit pas évitez les feux rouges, les files, mais restez dans le flux en évitant les obstacles.
- La compétition : "First in, first out" (le premier dedans, le premier sorti). Les rond-points sont les exceptions à la priorité de droite et sont difficilement acceptés car le processus casse la règle. Dans ce cas, la première règle de "continuité" qui entre à nouveau en jeu.
- Se faire remarquer : Être vu et pas uniquement avec les lumières de la voiture. S’identifier dans le trafic par des véhicules les plus volumineux possibles avec des couleurs voyantes, un échappement qui pète, des coups de klaxon, des phares allumés pour assurer la continuité. Volonté de faire acte de présence, mais, aussi, pour se donner plus de chance d’imposer sa propre loi.
La couleur de la voiture est importante pour être vue. Ça, c’est pour la théorie. Le look, c’est pour la pratique. Choix, délégué au coeur de l’épouse ou à la raison de l’époux. Éviter les nettoyages trop fréquents ou plus prosaïquement, la difficulté de la revente.
Henry Ford disait "Vous pouvez l’avoir dans toutes les couleurs tant qu’elle est noire". Depuis, il s’agit de personnaliser son conducteur par la couleur.
La couleur se veut optimiste, fiable, parfois, neutre.
Le blanc, le noir et le gris sont pourtant, à nouveau, à l’honneur. Bizarre, tout de même, quand on sait que les couleurs voyantes ne se retrouvent pas nécessairement dans les nuances de gris. Les chromopsychologues constatent que les couleurs pastels se retrouvent dans l’environnement. On aime le blanc dans les hôpitaux. Tout est en charge d’apaiser les excitants de la vie active. Affaire de mode, de classe et, aussi, de pays ? Peut-être.
Le noir reste la couleur de l’autorité, du luxe, de la puissance et de la fiabilité. L’argenté, de l’élégance, du respect et de la subtilité.
L’automobiliste s’adapte à la circulation routière et avec son ego. Il n’a plus ses impulsions du piéton bien gentil en dehors des personnes reconnues et agrées. Il exprime sa force à bord de son véhicule, derrière la protection de la carlingue de son vaisseau. Il suffit de voir le nombre grandissant du style 4X4 qui circulent sur le béton bien dur en dehors de tous terrains auxquels ils sont destinés naturellement.
Le code de la route n’est qu’un code imposé qui tente de standardiser la circulation sur route mais qui laisse quelques trous dans les législations locales. Législations très dépendantes de l’endroit, du pays, de l’image sociétale qu’elles donnent.
Plus frappant encore, ou amusant, c’est selon, le rabat sur une seule bande des automobiles à l’approche d’un rétrécissement pour canaliser les voitures sur une file, suite à des travaux. Le plus souvent, la bande qui disparaîtra, seulement bien plus tard, est désertée bien longtemps à l’avance pour respecter une règle socialement acceptée. L’efficacité serait, pourtant, de garder les deux bandes utilisées jusqu’au bout. Purement technique, la meilleure solution technique serait de s’intercaler à la dernière seconde selon le principe de la fermeture éclair en alternatif. Mais, oui, le zip, c’était pas si mal comme invention. Pas de frustration, pas de négociation, pas de forcing. La logique ! Et bien non, cela ne marche pas ainsi.
L’idée ne suit pas la logique technique, mais celle de ne pas donner l’impression de vouloir dépasser tout le monde. On ne dépasse qu’en conduite normale quand les voies sont ouvertes et pas dans les cas d’encombrements.
La courtoisie serait-elle souvent utilisée en échange d’un avantage personnel : accélérer sa propre fuite en avant tout en refusant le passage de l’autre ?
L’honneur est ainsi sauf et il pourra intégrer le troupeau l’âme sereine. Nous sommes au théâtre de la vie de l’homme en société, alors, on interprète ou on improvise avec des notions inappropriées. L’intrigue, elle, passe au bleu.
Nous sommes sur autoroute avec des bandes de roulement, pas dans une file en attente dans la boutique. Toujours du "first in, first out". Pas beaucoup de liberté d’actions. A moins d’être prévenu, le conducteur n’a aucun moyen d’échapper aux bouchons.
Le chauffeur qui, précautionneux, prend la tangente plus vite en se faufilant dans une file est considéré comme prudent, avenant et prévenant. C’est lui qui, d’après les statistiques, aura, néanmoins, le plus d’accidents à son actif sur route. La raison a aussi des raisons dans lesquelles, le coeur et la courtoisie n’ont pas droit de cité.
Alors, on regarde dans le ciel. Le vol des étourneaux sansonnets intéresse les scientifiques. ARTE a eu, il y a quelques mois, une enquête sur le sujet. Le vol de ces oiseaux est étonnant à plus d’un titre. Qu’est-ce qui décide le groupe de ces oiseaux de changer de direction de concert en obligeant les autres à en faire de même ?
L’instinct de conservation de ces oiseaux est parfois une "idéologie" implicite sans aucun code écrit du vol qui mériterait bien plus d’égards.
Maintenant, sautez bouchons !
Du champagne s’entend, mais pas sur autoroute, évidemment.
L’enfoiré,
Citations :
- "Le piéton ne va nulle part - mais, en revanche, il est partout, partout où il ne devrait pas être. C’est une sorte d’ennemi qui a été créé pour rendre la circulation difficile.", Sacha Guitry
- "Les gagnants seront ceux qui restructurent la manière dont l’information circule dans leur entreprise.", Bill Gates
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