C’est le monde à l’envers ? Mais où est le monde à l’endroit ?
Il s'agit d'un fait réel que toute ma famille connaissait tant son héros aimait le raconter.
Le nom est un peu modifié car il n'est plus là pour m'autoriser à la publier sur un support qu'il n'a pas eu le temps de connaître. Il était mon "Cousin Jean", très contestataire, très libre et un peu provocateur. Je ressens toujours une grande affection pour lui. Il m'a apporté beaucoup.

La scène se passe en 1934 à Paris. Peu de temps avant, les banques américaines ont été très imprudentes et cela fait deux années que la crise s'est installée en France. Les emplois sont rares et la pauvreté s'étend en même temps que le chômage. Nous n'avons malheureusement pas besoin de faire un gros effort d'imagination pour reconstituer le décor.
Jean Nicollet est satisfait : il a réussi à décrocher un rendez-vous pour une offre d'emploi. Il doit se rendre à quatorze heures dans une entreprise de maçonnerie où il rencontrera le patron lui-même puisqu'il s'agit d'un poste de maîtrise. A l'heure précise, il se présente sur les lieux. Il a mis son "bleu" presque neuf et bien propre, sa chemise de la même couleur, mais en plus clair, ses grosses chaussures bien cirées et sa casquette sur ses cheveux gominés.
La secrétaire le conduit au bureau du patron, elle frappe respectueusement à la porte et va annoncer son arrivée. Elle le fait entrer. Jean Nicollet, la casquette à la main, inspecte les lieux d'un coup d'oeil. La pièce est spacieuse, plusieurs bibliothèques cachent une partie des murs très neutres, un bureau foncé et massif occupe le centre, un large fauteuil bas en cuir se trouve devant lui et, de l'autre côté du meuble, un autre siège un peu plus haut et rigide sur lequel est assis le "Patron". Il a de grosses lunettes qui essaient de cacher de gros sourcils bruns, une moustache importante et bien coupée et un ventre proéminent. Il s'attend à ce qu'on l'invite à s'asseoir, mais il n'en est rien.Il demeure donc debout à presser machinalement sa casquette dans sa main. L'homme continue à regarder son sous-main. Il relève enfin la tête et, sans le saluer, demande d'une voix rauque :"Qu'est-ce que tu sais faire ?". Jean s'explique. Ils échangent quelques phrases : d'un côté l'humilité et de l'autre, le mépris et la morgue. D'abord un peu décontenancé, Jean sent la chaeur lui monter aux oreilles. L'autre aboie presque :"Ca suffit. Où sont tes références ?" La réponse fuse : "Et les vôtres, vous me les montrez ?"
"Quoi, comment, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Mais c'est le monde à l'envers !"
Peu à peu, le corps de Jean s'est redressé, ses paupières se sont levées et son regard bleu toise son interlocuteur accroché aux bras de son fauteuil : "Enfin, réfléchissez. Vous, vous ne risquez rien dans l'affaire. Si mon travail ne vous convient pas, vous me mettez à la porte sur l'heure, mais moi je ne recevrai mon salaire que dans un mois, trente jours à vous avancer la valeur de mon travail quotidien. Qui me dit que vous les paierez bien à la date prévue ? Il est donc normal que je prenne des renseignements sur vous." L'autre était subitement devenu tout rouge, la bouche ouverte sans qu'un mot ne sorte, puis enfin un énorme :"Dehors !".
Jean ne mangerait peut-être qu'une soupe trempée ce soir, mais il se sentait soulagé, heureux, satsfait et même fier de lui :
Il lui semblait qu'il avait un peu remis le monde à l'endroit ...
En ce moment, où la radio et la télévision font appel à des économistes type "chiens de garde" pour nous démontrer, seul ou à deux ou trois, que la politique n'est pas si facile qu'on le croit, qu'il faut rendre les riches plus riches afin que les pauvres le soient un peu moins, que les entreprises ont besoin encore de nouveaux cadeaux pour ne pas faire faillite, que les actionnaires doivent gagner plus pour rester en France, que les syndicats patronaux sont avant tout patriotes et désintéressés... Je pense alors à mon Cousin Jean qui leur aurait fermé le bec en leur faisant remarquer que leur système était tout à revoir et à changer pour le remettre à l'endroit. Merci à toi, Jean.
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