Ce novembre noir de 2015 qui annonce des heures sombres pour la France et le monde
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Je ne sais pas s’il est bon de jeter des perles aux pourceaux ! A bon entendeur !
(A) L’épaisse brume envahissante derrière laquelle se cache le soleil se prête à un usage allégorique pour décrire une Histoire moderne marquée par des périodes relativement claires et lumineuses entrecoupées par des phases sombres et parfois tragiques. Pour désigner les périodes claires, nous avons le choix entre plusieurs notions, lumière, embellie, parenthèse enchantée comme l’avait si bien énoncé Françoise Giroud pour désigner cette époque foisonnante des sixties et seventies. Pour les autres périodes, on peut se contenter de parler des heures sombres. Un rapide coup d’œil sur les siècles passés nous ouvre vers une description de ces heures claires ou sombres. Ces évocations nous permettrons peut-être de comprendre où nous sommes, bien que par les côtés technologiques la situation puisse être inédite voire inintelligible.
(B) Intro sur le novembre noir de 2015. Pour commencer, une simple recension de quelques faits marquants et d’abord l’afflux des migrants en Europe, puis évidemment les carnages du 13 novembre qui font presque oublier un chiffre détonnant, celui des 42 000 chômeurs supplémentaires du mois précédent, une hausse inquiétante eu égard au nombre déjà élevé de demandeurs d’emploi et à la montée de la courbe depuis des années. Dans la foulée, l’Etat d’urgence est proclamé alors que la France accentue les frappes contre l’EI et que la politique se prépare à entrer dans une phase critique, avec l’Europe qui vacille de tous les côtés. A l’ouest la menace de sortie de la Grande-Bretagne, à l’est la Grèce que l’on envisage de sortir de l’espace Schengen, sans oublier les dissensions causée par l’afflux de migrants et bien entendu, au niveau national, la montée du FN aux régionales. Le déficit budgétaire paraît presque anecdotique bien qu’il aggrave la conjoncture.
(C) Et maintenant, quelques notes sur les périodes d’embellies. Juste pour signaler qu’elles se traduisent par un ensemble d’espérances nourries par les penseurs et traversant plus ou moins les couches sociales. Cette foi dans l’avenir se manifeste notamment dans les écrits déterminants de l’époque, dans les systèmes de pensée, dans le domaine des arts et de la culture sans oublier la politique et le religieux. Mais cela ne signifie par pour autant que les grandes découvertes et œuvres se situent uniquement dans les périodes d’embellies. Pour preuve la relativité générale née pendant la grande guerre alors que les sombres années précédant la seconde déflagration ont été marquée par la publication d’écrits majeurs, Jünger, Heidegger, Mounier, Bergson, Freud pour ne citer que quelques figures, tandis que la mécanique quantique allait révolutionner la physique.
(1) L’embellie des Lumières vers 1750. Cette période a été marquée par le symbole de la raison. Un symbole puissant associant la foi et la culture. Foi dans le grand architecte et développement d déisme, religion naturelle s’il en fut, amenée à compléter voire supplanter la religion révélée. Foi dans l’avenir guidé par la raison et l’action des hommes capables de se servir et de s’éclairer de la raison. D’où les Lumières pour désigner cette époque pendant laquelle se sont signalés des auteurs prolixes et fulgurants. Montesquieu et Voltaire, puis la rédaction du dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers, plus connu sous la dénomination de l’Encyclopédie, ouvrage édité entre 1751 et 1771 sous la direction de Diderot et d’Alembert. Cette époque fut aussi marquée par un certain art de vivre mais toutefois réservé aux aristocrates et à la classe bourgeoise ascendante. On sait comment s’est terminé cette époque. La Révolution puis la Terreur et pour finir l’aventure contrastée de l’empire sous Napoléon. Mais en 1815, le monde a été changé. Notamment dans les terres germaniques, Fichte, Hegel et Beethoven, ça vous parle ?
Pour conclure. Le rationalisme des Lumières et son progressisme placé sous le signe du grand architecte se sont achevés avec le culte de la Raison et de l’être suprême au moment de la Terreur. Saint-Just qui avait célébré cette idée nouvelle qu’était le bonheur a fini guillotiné. Napoléon a achevé la Révolution qui s’est abîmée dans la Berezina puis terminé à Waterloo.
(2) 1900, la Belle Epoque et la Troisième République. Le lecteur aura noté que j’ai sauté un peu vite sur 1848 et Auguste Comte. C’est un choix. S’il est une époque qui rappelle l’embellie des Lumières, c’est celle qui a été marquée par les idéaux républicains, la fois dans l’avenir et la nation, ainsi que le peuple, de Michelet à Renan et par la suite le positivisme comme espérance basée non plus sur la raison mais sur la science. Sans oublier un certain catholicisme social. Et un art de vivre mais pas pour tout le monde car les classes ouvrières ont été écartées du bien-être matériel. La sortie de l’esprit et l’avenir radieux promis à l’humanité ont été prophétisés par Victor Hugo sur le tard. La fin du 19ème siècle, c’est aussi les expositions universelles qui sont en quelque sorte des Encyclopédies incarnée des métiers et savoir-faire, avec la tour Eiffel, l’art nouveau puis le futurisme, les mouvements avant-gardistes dans la peinture, impressionnistes et symbolistes, le roman atteignant quelques sommets sans oublier les aventures musicales inédites et radieuses de Debussy à Ravel. Cette époque n’était pas aussi lumineuse qu’on a voulu le croire. Il suffit de lire Proust. Cette époque s’est achevée dans la tragédie de 1914 puis 1939. Dans le monde d’hier, Zweig raconta le foisonnement culturel et l’art de vivre de la Belle Epoque avant que la guerre de 14 et les années suivante ne viennent signer le suicide de l’Europe. La défaite de 40 a marqué la fin de la Troisième République, comme la Terreur mit fin aux Lumières.
Pour conclure. Le positivisme et le républicanisme ont marqué les heures radieuses de la Troisième République mais tout s’est achevé par les ambitions nationalistes et les velléités colonialistes. Et pour finir, les totalitarismes.
(3a) 1960-70 et la parenthèse enchantée. Nous y voilà, en pleine effervescence, les yéyés et les copains qui alimentaient les radios généralistes alors que les vinyles 45 tours nourrissaient les électrophones Teppaz qui firent le buzz de concert avec les premières FNAC, magasins ayant symbolisé l’embellie culturelle de ces années folles marquées aussi par la naissance de la pop puis du rock et bien entendu une immense foi dans l’avenir avec en France, le projet de nouvelle société vendu par Chaban après 1968, le plaisir de vivre incarné par Giscard à la barre, puis le programme commun décédé en 1978 pour renaître sans les communistes (ou presque) avec l’élection de François Mitterrand. Mais en 1983, Laurent Fabius signa la fin de la récré et le journal Actuel nouvelle formule annonça la fin des jours heureux après avoir célébré l’entreprenariat. Que dire de plus de cette époque, marquée également par le festival de Woodstock, avec une musique rock pointue et créative, alternative et post-psychédélique, sans oublier la pop légère, la chanson française pour la génération Guy Lux et enfin, les années disco, ainsi le nouveau désordre amoureux et un Finkielkraut enjoué tel un portrait de Dorian Gray décliné à l’envers. Cette période a été marquée par la fin des Trente glorieuses qui ont vu le niveau de vie des ouvriers s’élever substantiellement. Mais sans qu’on y porte attention, une frange de la population n’a pas pris part au progrès matériel.
(3b) Comment la parenthèse s’est achevée. Un cri, No future ! Vague punk dans l’Angleterre de Thatcher, Vague pizza et mauvais goût avec Madonna aux States dans une Amérique gouvernée par Reagan. Ces années 1980 ont commencé à sentir d’un goût amer et frelaté. La cold wave du début des eighties a engendré quelques belles œuvres d’une noirceur détonante, des Cure à Bauhaus, en passant par Play Dead et Joy Division. La parenthèse enchantée est devenue désenchantée et ça c’est remarqué dans les années 1990 avec la mélancolie post-communiste en Europe, les réflexions sur le sens, le spirituel et le religieux. Mais il n’y a pas eu d’effondrement sismique comme la Terreur qui acheva les Lumières et la guerre de 14-45 qui signa la fin des espérances nourries pendant la Belle Epoque. Il faut dire aussi que le progrès matériel et la globalisation ont inondé les sociétés d’objets technologiques et autres gadgets permettant de s’amuser, se divertir. Puis après le 11 septembre, une époque marquée par la médiocrité culturelle et les peurs, climat, virus, technologies, terrorisme. Loft story, Amélie Poulain, la gorgée de bière, symboles s’il en est de la culture de merde diffusée à partir du 21ème siècle.
Pour conclure. La parenthèse enchantée, qui s’est poursuivie deux décennies non sans des sentiments contrastés, a été placée sous le signe des mouvements sociaux et de l’Etat providence avec la démocratie ainsi que le modèle social décliné par le PS et la droite modérée. Ce qui a achevé ce modèle n’est pas encore cerné. Mais on devine derrière le narcissisme, l’individualisme et les différents corporatismes sans oublier quelques notes communautaristes ainsi que le financiarisme qui représente le corporatisme de la classe financière et capitaliste.
(3c) Et maintenant, après le novembre noir de 2015, que peut-on espérer ? La fin des parenthèses enchantée est le fait des évolutions sociales en Occident mais aussi en Orient. Souvenons-nous de la guerre de 14. Le nationalisme avait miné le républicanisme en France mais les autres pays, même s’ils n’étaient pas républicains ni démocratiques, s’étaient laissés gagner par des velléités martiales, autoritaires, belliqueuses. Notamment l’Allemagne sans oublier la Russie des tsars. En 2015, quelques pays sont marqués par des aspirations belliqueuses. C’est notamment le cas de l’Arabie saoudite dont le wahhabisme évolue vers une sorte de nazisme islamique, alors que la Turquie renoue avec ses penchants conquérants. Mais il n’est pas encore certain que ce conglomérat belliqueux auquel s’ajoutent des pays suspects comme la Libye conduise à une déflagration comme en 14. Ou en 39. Une nouvelle guerre froide est possible. Elle n’implique pas deux blocs mais plusieurs puissances, Etats-Unis, Europe, pays musulmans, Iran, Turquie, Russie, Inde, Chine et plus encore. Quant à l’Etat islamique, c’est peut-être un nouveau Viêt-Nam à géométrie territoriale et diplomatique variable dont l’issue est loin d’être inscrite à l’avance.
Mais ne soyons pas aveugles. Le problème de nos sociétés démocratiques et technocratiques ne se résume pas à quelques dizaines de milliers de combattants islamistes qu’il faut frapper. Nos sociétés sont minées de l’intérieur et ce ne sont pas les quelques centaines de jeunes radicalisés qui sont responsables du désarroi contemporain et de l’effritement du modèle social.
Nous sommes condamnés à vivre de sombres années. Sauf si nous inventons un nouveau mode de compréhension du monde, avec une réflexion sur le sens existentiel, quelques principes politiques et une espérance nourrie par une spiritualité qu’il faut développer. Ce qu’il nous faut penser, ce n’est pas tant la démocratie que la liberté. Car les solutions actuelles proposées par les idéologues nous maintiennent dans l’ignorance et le désarroi. Le combat contre le climat est vain. Le développement durable n’a rien des idéaux des Lumières. La religion de la terre mère, de Pierre Rabhi, le saint François de l’agriculture à Edgar Morin, le saint Thomas de la complexité, n’est qu’une illusion néopaïenne accompagnée de ressentiment culpabilisant. Le péché n’étant pas originel mais final. L’homme moderne pèche contre la nature. Le souverainisme en Europe conduit au désastre. Le modèle social du PS et de l’ex-UMP s’est abîmé dans les impératifs technologiques nourrissant des gouvernances technocratiques dont on voit l’échec après le protocole de Lisbonne qui s’est révélé inadapté, comme du reste le sera la COP-21. La lutte des classes du front de gauche n’a plus de raison d’être. La nouvelle donne n’est qu’un nouveau parti technocratique. La notion de justice climatique relève du pur délire, comme du reste ceux qui croient sauver la planète. La terre ne sera jamais en danger, l’homme oui, une créature parfois devenue stupide et belliqueuse, vengeresse et régressive, amenée vers un stade infantilisé.
Après tout, ces périodes d’embellies n’indiquent pas forcément une issue radieuse pour l’humanité. Il se peut bien que la nature humaine conduise vers le chaos et un cataclysme final associé à la technique. Ou un enterrement des lumières qui n’en finisse pas et qui dure des décennies.
Pour ma part, je crois possible de refonder une théologie humaine, avec les Evangiles, Plotin, Nietzsche et Heidegger. L’eschatologie christique peut amener un royaume platonicien et conjurer le drame de la violence moderniste. Telle est la doctrine ésotérique cachée qui trône dans un autre lieu, celui de l’Etre en face de l’étant, avec une nouvelle cosmologie et l’énigme quantique enfin dévoilée.
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