Ce qu’il reste de nous…
Dans les écoles, on nous apprend que l’apanage de l’héritage historique est symbolisé par des conquêtes agressives, des croisades belliqueuses, des massacres glorieux, des victoires sur les autres pays, sur les autres espèces, sur la Nature dont la soumission est un bienfait. Virtuosités artistiques, scientifiques, techniques, voire sportives complètent le tableau d’une histoire qui, pour l’essentiel, est subjective et relative à chaque étendard. Progrès et cathédrales, conquêtes et appropriations, marathons et découvertes ne suffisent pas à la grille de lecture de ce que l’on se plait à nommer l’aventure humaine, ce qui n’est pour l’essentiel que mésaventures et tribulations. Au-delà de la lorgnette académique, la postérité retiendra de nous tout le contraire d’une empreinte glorieuse, ne rapportera que cicatrices, saccages et dégâts, et quels dégâts ! Si nous ne pouvons apparemment pas éviter les outrages commis à la Planète, il serait de bon ton de cesser de les taire et de mentir. Les rapporter, les constater pour en mesurer l’ampleur, en ressentir une profonde honte pour tenter de corriger un tant soit peu le tir ne sont pas des attitudes historiques. Si la biohistoire existe, où sont les biohistoriens ? Il semblerait toujours que nos monuments aux morts ne relatent que des Homo sapiens. C’est incomplet, il serait l’heure d’un inventaire du « Vivant posthume ».

Le bien commun est mis en péril par une totale soumission d’une population grégaire à un marché global, à un mercantilisme forcené de tout, jusqu’au réservoir génétique et bientôt à l’eau potable… La Terre nourricière est étouffée, desséchée, exténuée, fourbue. C’est un peu normal quand on estime que l’homme ne fait pas seulement la guerre à l’homme, mais aussi à la Nature, qu’il a proliféré au détriment des autres espèces et de leurs habitats outrancièrement oblitérés. Consciemment ou culturellement, par un strict rapport de force doté du surnuméraire et étayé par la technique, il surexploite la Terre nourricière, il persécute tout ce qui pousse, tout ce qui bouge, épuise les stocks, abuse de la Nature jusqu’au recul, au déclin, à la défaite finale du Vivant, sans même se rendre compte qu’il signe ainsi son propre arrêt de mort. C’en est déjà presque fini du climat, du sol (biologiquement mort ou aridifié), de tous les écosystèmes et pas seulement des seules forêts (dont 20 000 hectares sont biffés chaque jour), des autres espèces (25 000 extinctions annuelles d’espèces), de l’eau douce (pollution, surpompage), des énergies fossiles (nous flirtons avec pic pétrolier), etc.
« L'humanité constitue en quelque sorte le cerveau collectif de la Terre-mère. La conscience humaine, avec son potentiel illimité de croissance spirituelle, doit maintenant dépasser les limites que lui imposent races et nationalités, religions et idéologies, afin de se pencher sur les problèmes de la planète tout entière. » « Nous devons nous débarrasser de cette superstition bizarre qui nous fait croire que l'espèce humaine a le droit particulier d'exploiter perpétuellement la planète à la seule fin de satisfaire ses besoins égoïstes ». Ces déclarations porteuses de sagesse et de simplicité écologique sont de Karan Singh, éminence spirituelle de la classe politique indienne et membre honoraire du Club de Rome, institution qui a toujours prôné la dépopulation mondiale et la croissance zéro comme prix à payer pour sauvegarder l’avenir planétaire (Rapport Meadows, 1972).
La Planète n'est pas à la disposition de l'espèce humaine, qui plus est se tient très mal. La Planète ne nous appartient pas, nous appartenons à la Planète. On connaît autant ces poncifs qu’on feint de les ignorer, ou que notre esprit calculateur et retord use de duplicité pour faire accroire à une prise de conscience. On se dit que le pire n’est jamais certain et on remet le couvert, on achète un nouveau trousseau de bébé, rose ou bleu, mais jamais vert, couleur de l’espoir écologique et donc du renoncement à procréer. La passivité devant le désastre annoncé n’a d’égal que la vie anormale des gens normaux. Nous vivons aux crochets de la Planète, à crédit sur le dos des écosystèmes, l’humanité s’endette sans cesse davantage auprès d’une Nature qu’elle ne pourra rembourser, usant, abusant, puisant des ressources que l’on sait en fin de stock. Le capital biopatrimonial est maintenant largement entamé, mais en aucune façon nous ne renonçons à nos prélèvements, la plupart du temps sans raison légitime. La dette écologique engendrée par cette surconsommation est insurmontable, la civilisation humaine est en faillite, la biocapacité de la Terre nourricière ne suit plus, nous en avons reçu d’innombrables avertissements, sans en tenir compte. Renoncer le plus possible à utiliser la voiture et l’avion, ne se chauffer qu’au minimum, privilégier les achats issus de circuits courts, moins énergétivores et moins polluants, notamment dans l’alimentaire en ayant recours aux produits de saison et de terroir, favoriser les articles sans emballage superflu, manger moins de viande, etc., seraient de bonnes résolutions pour diminuer notre empreinte écologique. Et parallèlement à ces bonnes résolutions, moins nous seront nombreux et plus légère sera la charge.
La société occidentale consomme à l’excès des ressources naturelles dont elle n’est pas détentrice et qu’elle extorque aux nations qu’elle domine tyranniquement. Nous sommes ainsi débiteurs par rapport aux contrées dont les citoyens exploitent moins de 1,8 hectare, comme c’est le cas d’un Indien, d’un Vietnamien, d’un Péruvien ou d’un Soudanais. On sait que pour continuer à vivre sur les modes adoptés, un Français nécessite trois planètes, un Américain quasiment six, ce qui projette un besoin moyen de deux planètes pour un Terrien. Belle leçon de solidarité planétaire quand on constate qu’un Américain s’octroie un droit de ponction cent fois supérieur à un Afghan. Difficile ensuite pour un Occidental de s’arroger le droit de donner des leçons de morale dans des pays écologiquement éreintés par notre faute.
Faire des enfants tue la Planète. Un nouveau-né monégasque usurpera sa vie entière sa part amazonienne ou groenlandaise sans jamais poser un pied ni en Amazonie, ni au Groenland, on l’a compris. Mais naître en Amazonie ou en Australie présente le méfait potentiel de menacer directement une biodiversité encore vive et remarquable. C’est pourquoi les populations des contrées naturelles présentent le risque rapproché d’une pression plus dommageable encore. On fera d’autant moins un enfant que l’on habite une région sensible, un des derniers bastions du capital vert de l’humanité. Le surpeuplement de l’homme est un antagonisme à la biodiversité. Contrairement à une vue trop hâtive de la situation planétaire, un enfant de plus à Londres, Mexico ou Hong Kong sera un moindre préjudice qu’un début de surpeuplement et d’inquisition humaine d’une Tasmanie ou d’une Papouasie. Restons absents ou absentons-nous de la Patagonie, du bassin du Congo, de la forêt boréale et de bien d’autres paradis encore sauvages et de riche naturalité, heureusement souvent peu hospitaliers pour l’homme. Ménageons les beaux restes du grand catalogue du Vivant, épargnons les ultimes réservoirs de gènes, les chambres fortes de biomasse et de stocks de carbone, mettons les prédateurs envahissants que nous sommes hors d’état de nuire et d’occire les derniers poumons de cette Terre. L’option du tourisme, même respectueux s’il existe, est un filon tout à fait négatif. Les régions encore partiellement épargnées n’ont besoin que d’une chose, de continuer à l’être. Toute présence d’un humain vivant sur le mode occidental incontournable et incontourné de l’American way of life est une calamité pour les équilibres naturels et une menace pour les ressources. Restons chez nous, confions les derniers berceaux de naturalité au savoir faire millénaire des peuples natifs et n’encombrons de nos progénitures et de nos futurs intrépides adultes que nos propres maternités, asiles et services d’urgence !
Tous les constats sérieux convergent : la poursuite d’un tel choix délibéré de croissance ne cesse d’amplifier la pression sur l’environnement dans des conditions qui créent des catastrophes ou qui démultiplient les cataclysmes que l’on disait naturels et qui le seront de moins en moins. Le levier démographique qui actionne cette économie forcenée pose même la question de la survie de l’humanité. Pour ne focaliser que sur le réchauffement climatique, qui ne représente qu’un des phénomènes damoclésiens actuels, on sait désormais qu’il s’est fortement accéléré sous l’effet des émissions humaines de gaz à effet de serre, dont le plus important est le gaz carbonique. Or, au-delà d’un réchauffement de 2° par rapport à l’époque préindustrielle, des méga catastrophes humaines sont prévisibles, bien plus graves que celles qui ont commencé à se manifester : sécheresses, inondations et tempêtes, élévation du niveau des mers, etc. On est actuellement à 1°, et comme les effets des émissions passées se font sentir durablement, on va passer de 1º à au moins 1,5° vers 2030. Si les tendances actuelles ne sont pas inversées, le réchauffement sera compris entre 2° et 6° bien avant le terme de ce siècle. Et nous nous abstenons d’évoquer certains scénarios beaucoup plus anxiogènes, non dénués de fondements pour autant. En France, pour que notre développement soit soutenable, il faudrait diviser par quatre nos émissions de CO2 par personne.
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