Colonna n’est plus innocent
Comme prévu, au terme d’un procès équitable, mais peu éclairant, Yvan Colonna a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, hier, reconnu coupable de l’assassinat du préfet Erignac. Une peine cohérente pour un procès sans aveux.
L’histoire retiendra donc cette date du 13 décembre 2007, en fin de journée, instant choisi par la Cour d’assises spéciale de Paris pour prononcer un verdict dans l’affaire de l’assassinat du préfet Erignac, neuf ans plus tôt, à Ajaccio. Perpétuité pour Colonna, Yvan, reconnu comme le « tireur », celui qui, ce soir de février 1998, appuya plusieurs fois sur la détente, mettant un terme à la vie d’un homme, Claude Erignac, préfet de Corse. Hier soir, la Cour d’assise n’a surpris personne, c’est le moins qu’on puisse dire. Les défenseurs de Colonna ont suffisamment, ces dernières semaines, hurlé au « procès joué d’avance » pour aujourd’hui ne serait-ce que feindre l’étonnement. Quant à la partie civile, convaincue de la solidité du dossier, elle a semblé gérer la pénurie de preuves formelles, tout au long du procès, déroulant ses arguments sans forcer, sûre de son fait. Ce verdict-là, donc, est tout sauf une surprise. Et c’est peut-être là que le bât blesse.
Parce que le doute doit profiter à l’accusé. Et une telle condamnation, prononcée après juste cinq heures de délibération, tendrait à prouver que dans ce dossier il n’y avait pas l’ombre d’un doute. Pourtant si : pas d’aveux, d’abord, de l’accusé. Pas d’alibi non plus, certes, mais pas d’aveu. Pas le début du commencement d’un aveu, même. Rien. A aucun moment, Colonna n’a fléchi sur ce point. L’enquête, elle, passée sur le gril pendant presque tout le procès, a laissé entrevoir quelques moments de faiblesse, c’est le moins qu’on puisse dire, sinon, de-ci de-là, de vieux relents de guerre des polices au pire, de guerre des services de police au moins. Avec des personnages coutumiers des méthodes peu orthodoxes, comme Roger Marion, qui n’ont rien fait pour alléger l’ambiance. Ou encore avec les réserves très médiatiques du préfet Bonnet, successeur d’Erignac, qui avant même de venir à la barre, s’était servi de la radio pour affirmer ses « doutes sur Colonna ». Et puis, il y eut même quelques épisodes d’experts, en médecine légale notamment, venus nous affirmer que le berger Colonna était sans doute trop petit pour le costume d’assassin qu’on voulait lui tailler. Tout cela peut s’appeler, ou s’apparenter à des doutes, en tout cas dans nombre de procès. Pas dans celui-ci, manifestement.
En revanche, l’arme majeure de Colonna, les rétractations des co-accusés déjà condamnés, s’est retournée contre lui : ces pieds nickelés-là, tous plus alambiqués les uns que les autres dans leurs théories, dans le récit de leurs interrogatoires et finalement dans leurs nouveaux aveux revus et corrigés, ont grandement desservi le clan Colonna. Leur « non, ce n’était pas lui » n’est pas apparu franc, ni convaincant. La Cour a manifestement plutôt eut l’impression d’assister à quelque coup d’éclat de pacotille de condamnés en mal de publicité. Personne n’a cru à leur histoire d’interrogatoires « dirigés », personne du coup n’a cru non plus à leur version des faits, floue, si floue, dans laquelle Colonna ne figurait pas, certes, mais qui alors ? Les épouses de ces girouettes-là, elles aussi, chargèrent plus la barque Colonna qu’elles ne l’allégèrent, avec leurs témoignages qui se contredisaient, et dont certains fragilisaient même le scénario mis au point par l’accusé et sa défense. Colonna aura finalement plus été desservi par sa défense qu’accablé par l’accusation, c’est peut-être d’ailleurs ce constat, froid, qui le rend le plus amer aujourd’hui.
Pourtant le procès n’a pas été un procès « politique », ni « stalinien », évidemment, n’en déplaise à Me Simeoni, jeune avocat fougueux, mais souvent à côté de la plaque dans ses expressions, ses comparaisons. Du temps de Staline, un tel procès n’aurait pas eu lieu, une balle dans la tête aurait suffi, ou un départ pour la Sibérie. Pourtant l’instruction n’a pas été uniquement « à charge », le nom de Colonna n’étant apparu dans le dossier qu’après les aveux des premiers membres identifiés du commando. Pourtant, enfin, la Cour, qui n’en avait ni l’envie, ni les moyens, a pris la peine de se déplacer sur le terrain, sur les lieux du drame, pour une reconstitution qui tendait à prouver, notamment, qu’il n’y avait pas de « troisième homme » possible, et qui en fait n’a rien démontré du tout. Un déplacement très coûteux qui n’a rien appris de nouveau, mais qui s’est fait. Vraiment, n’en déplaise aux défenseurs du condamné, ce procès s’est déroulé loyalement, normalement, et même très sereinement vu le contexte, un procès comme il s’en déroule chaque année en France où les gens sont nombreux, encore, qui considèrent qu’on n’abat pas un homme, comme ça, « sans autre forme de procès », c’est le cas de le dire, dans la rue, au nom d’une quelconque revendication idéologique.
La défense d’Yvan Colonna n’aura pas beaucoup marqué de points, tout au long du procès, trop vite enflammée par le premier coup de théâtre relatif à la taille présumée du tireur. La défense d’Yvan Colonna aura été médiocre jusqu’à la fin, jusqu’à hier, où on a eu droit au chuchotement d’une éventuelle « nouvelle piste », avec la possible implication de « trois hommes », peut-être mêlés à l’affaire, mais depuis partis loin de Corse. De l’à-peu-près, comme trop souvent ces dernières semaines, de l’à-peu-près, des hypothèses, là où il aurait bien sûr fallu du très lourd, du solide, de l’inoxydable pour parvenir à emporter l’acquittement.
Yvan Colonna a donc été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité sans période de sûreté, ce qui paraît là aussi tout à fait normal. Les réquisitions de l’avocat général, qui réclamait « 22 ans de peine de sûreté » étaient bien trop sévères, et sans doute injustes, pour un individu, qui, même habité par une certaine idée du « nationalisme », du « patriotisme » ou de « l’âme corse », ne présente vraisemblablement pas un danger pour la société. Une peine de sûreté aurait été ressentie comme une provocation, ce qu’on aurait pu comprendre. Le verdict est donc équilibré, juste, lucide, responsable. Yvan Colonna qui va faire appel, a demandé à ses proches de ne pas pleurer. Il n’est, légalement, plus innocent, mais la vérité, elle, se fait encore attendre : celui qui ce soir de février 1998 appuya sur la détente n’a toujours pas avoué. C’est cette ombre du doute-là, ce silence pesant, cette non-reconnaissance, qui alimentera les rancoeurs chez les Colonna, et une tristesse certaine chez les Erignac. Humaine, trop humaine, la justice ne peut dissiper tous les mystères.
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