Comment qu’on cause ! (2)
Enrichissant régulièrement le mégadictionnaire de la langue française de rubriques de l'Office québécois de la langue française et de l'Académie française, il m'est souvent difficile d'insérer ces dernières, certaines me paraissant inutiles, d'autres devant être modifiées pour être efficaces. Voici les rubriques de ce mois expurgées de leurs exemples (on dit, on ne dit pas).
Elle s’est rendue compte qu’elle s’était rendu coupable
Vous vous êtes rendu compte que l'Académie française s'était volontairement rendue coupable de deux fautes dans ce titre. C'est ce qu'on appelle la cacographie, intitulée emplois fautifs par ladite académie. On vous montre des fautes que vous n'auriez généralement pas commises de façon à instiller un doute et vous amener à lire des explications sulfureuses de ceux qui savent mieux que vous. Cela permet à certaines entreprises de s'enrichir en prétendant vous rendre performant.
Voici les explications :
On sait que l’accord des verbes pronominaux dépend, le plus souvent, de la fonction du pronom complément dans la proposition où se trouvent ces verbes. On distingue ainsi Elle s’est lavée, phrase où le pronom s(e) est complément d’objet direct du verbe laver, d’Elle s’est lavé les mains, où ce même pronom est complément d’objet indirect du verbe. Il en va de même avec le verbe rendre et l’on se gardera bien de confondre Elle s’est rendue à la ville et Elle s’est rendue coupable d’une petite indiscrétion, phrases dans lesquelles le pronom s(e) est complément d’objet direct du verbe rendre, d’Elle s’est rendu compte, où le pronom s(e) est complément d’objet indirect de ce même verbe.
On remarque "le plus souvent" et s(e) pour se, s', qui n'améliore guère la compréhension.
Va-t-on un jour nous ficher la paix avec ces compléments d'objet direct ? Elle s'est lavée '(c'est elle qui est lavée). Elle s'est lavé les mains (ce sont les mains qui sont lavées).
Cette approche est évidemment plus complexe avec des verbes dont le sens a évolué : Elle s'est rendu compte (elle a compris, "c'est le compte qui est rendu"). Elle s'est rendue coupable (elle est devenue coupable).
La rubrique suivante critique "ce qui commence à s’entendre ici ou là". Même l'oral fait ainsi l'objet d'un éreintement visant à renforcer l'élitisme de la langue française dont la vitalité ne dépend plus que de la francophonie.
Entre 50 à 70 km/h
Pour donner une estimation grâce à une échelle, on peut employer les couples de/à ou entre/et, comme dans L’anaconda peut mesurer de huit à dix mètres et Un éléphant d’Afrique adulte pèse entre cinq et six tonnes. Mais on évitera de mêler ces deux tours et on se gardera bien de dire, ce qui malheureusement commence à s’entendre ici ou là, entre/à et on ne dira donc pas Le vent souffle entre cinquante à soixante-dix kilomètres à l’heure ni La traversée durera entre quatre à six heures.
Comme si le titre ne suffisait pas, cette rubrique nous indique encore deux exemples "fautifs" !
Mais ne convient-il pas de s'interroger sur cet "emploi fautif" ?
Il y a toujours eu débat sur la signification de "entre 5 et 7". Les mathématiciens vous diront certainement que cela exclut 5 et 7 alors que l'usage correspond à "de 5 à 7". Ce télescopage entre/à est une forme de réponse à cette incertitude, une évolution peut-être.
Je pensais que je viendrai
Il existe différentes formes de futur : le futur simple, le futur antérieur, le futur proche – qui se construit avec le verbe aller, employé comme semi-auxiliaire (Le train va partir dans trois minutes) –, mais aussi un futur du passé encore appelé futur dans le passé. Ce dernier s’emploie dans des subordonnées pour situer une action à venir par rapport à un verbe principal au passé, comme dans : Il savait qu’il partirait demain. Ce futur, comme on le voit, emprunte ses formes au conditionnel présent. On prendra bien garde à ne pas le remplacer par un futur simple. Si l’oreille nous avertit d’une faute éventuelle à la troisième personne (on perçoit l’erreur dans il savait qu’il partira demain), il n’en va pas de même à la première personne du singulier où la différence entre le son -ai [é] du futur et le son -ais [è] du conditionnel ne se fait plus guère entendre. Rappelons donc que l’on doit écrire je savais que je viendrais et non je savais que je viendrai puisque l’on dit il savait qu’il viendrait et non il savait qu’il viendra.
Et pourquoi donc ne pourrait-on pas écrire "il savait (déjà) qu'il viendra".
Halte à cette tyrannie de la concordance des temps :
On m'a dit que vous étiez une excellente cuisinière.
Mais je le suis toujours !
Quel esprit tarabiscoté a inventé ce futur dans le passé, identique au conditionnel ?
Revendiquons le droit d'utiliser les temps pour s'exprimer clairement. : Il a su que je viens. Il saura que je viens. etc.
Partager autour d’un sujet
Nous avons vu naguère que le verbe échanger devait avoir un complément d’objet et que le construire absolument était incorrect. Le verbe partager accepte lui cette construction (Partager en frères, apprendre à partager, etc.), mais on ne doit pas lui donner le sens d’« échanger des propos » ou de « discuter ». On rappellera d’ailleurs que dans une conversation on ne partage pas son point de vue, ses idées, son opinion, mais on cherche à les faire partager à son interlocuteur, c’est-à-dire que l’on fait en sorte que celui-ci les fasse siens.
Cela vous fait certainement penser à ces enseignants qui exigeaient "Je vous prie de m'excuser" pour "Je m'excuse". Si vous réussissez à trouver encore des personnes prêtes à partager autour d'un sujet ou à s'excuser, vous n'allez pas leur demander une formulation académique !
Être confortable au sens de Se sentir à l’aise
Au sujet de l’adjectif confortable, Charles Nodier a écrit dans son Examen critique des dictionnaires : « Confortable est un anglicisme très intelligible et très nécessaire à notre langue, où il n’a pas d’équivalent ; ce mot exprime un état de commodité et de bien-être qui approche du plaisir, et auquel tous les hommes aspirent naturellement, sans que cette tendance puisse leur être imputée à mollesse et à relâchement de mœurs. » Rappelons que l’on ne doit pas utiliser cet adjectif, qui ne peut qualifier que des objets, pour parler de personnes, et qu’on ne peut donc pas lui donner le sens d’« à l’aise ».
Certes. Pour ma part, je n'ai jamais entendu "On est confortable sur ce canapé. Vous sentez-vous confortable avec cette notion, cette théorie ?". Ou bien cela ne m'a pas choqué selon le contexte.
Être en pole (position)
Il existe deux noms pole en anglais. L’un est l’équivalent de notre français « perche », dont le sens premier est « long bâton », et il désigne, comme son homologue français, une ancienne mesure de longueur et une ancienne mesure agraire. Il entre aussi dans la désignation d’une épreuve d’athlétisme, pole vault, « saut à la perche ». La seconde forme pole correspond au français « pôle » ; ces deux noms ont la même étymologie et de nombreux sens communs. Mais l’anglais pole signifie aussi « tête » – sens que n’a pas le français pôle – dans la locution, tirée de la langue du sport automobile, pole position, c’est-à-dire place de tête qu’occupe, sur la ligne de départ, le concurrent ayant réalisé le meilleur temps aux essais. Plutôt que d’employer cet anglicisme, utilisons un équivalent français comme « position, place de tête » ou « tête de la course », qui dira exactement la même chose.
N'y a-t-il pas d'autres combats à mener ? Cette expression est comprise et admise contrairement aux slogans anglouillards qui achèvent de me dissuader de changer de voiture, aux incongrus citybus, citypass (t'y reviens pas), évents sans accent, time is move que m'assène la ville qui me fait payer des impôts mais qui demande dans les rares espaces verts de respecter la "tranquilité" du voisinage.
Ce parti doit changer son logiciel
Un logiciel est un ensemble structuré de programmes informatiques remplissant une fonction déterminée et permettant l’accomplissement d’une tâche donnée. On parle ainsi de logiciel de traitement de texte, de logiciel éducatif, du logiciel d’exploitation d’un ordinateur. On évitera d’abuser de l’image qui consiste à faire de logiciel un équivalent de « manière de penser, de voir le monde » ou d’« ensemble d’idées », fût-ce pour évoquer des groupes, des partis, des institutions qu’on juge en décalage avec leur époque ou avec la situation actuelle. Plutôt que de dire que tel ou tel parti « doit changer son logiciel », on pourra dire qu’il « doit se renouveler », « envisager différemment l’avenir », « s’adapter au monde actuel ».
Beaucoup attendent que les partis politiques changent réellement, peu leur importe la formulation.
C’est dans l’a.d.n. de l’équipe
Désoxyribonucléique ! C’est là un bel octosyllabe, peu employé en poésie et assez difficile à retenir pour les non-initiés, mais formidablement utilisé quand il est sous sa forme abrégée (précédé d’acide, lui aussi abrégé), A.D.N. De la même manière qu’il convient de ne pas abuser des métaphores informatiques, on évitera d’emprunter trop systématiquement au vocabulaire de la biologie quand des locutions déjà validées par l’usage sont à notre disposition.
L'Académie propose de remplacer l'ADN (que je n'ai jamais lu en minuscules) par une caractéristique majeure, une valeur fondamentale. Ça ne mange pas de pain...
Suivent deux rubriques fort intéressantes : Galimatias et laïus ; Lantiponner, pondre, accoucher.
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