Critique du nouveau visage de la justice française
Une régression de civilisation se manifeste aujourd’hui dans la réforme de notre justice et ses insuffisances non corrigées. Régression de civilisation, recul de l’Etat de droit, mise à mal de la conception classique du droit pénal. La Justice commence à montrer un mauvais visage.
Plusieurs réformes défigurent l’image de la Justice. Mais aussi plusieurs dénis ou oublis.
1 - Le juge délégué aux victimes :
Désigné sous le sigle ridicule de "judevi", ce nouveau magistrat a été créé par un décret de novembre 2007. Le judevi de Metz, Pascal Bridey, se sent très mal à l’aise dans sa nouvelle fonction et s’inquiète de devoir tenir le rôle d’un magistrat qui prend parti systématiquement pour la victime, alors que son statut l’oblige normalement à la neutralité. Dans Le Monde du 15 janvier, il confie ses scrupules : "Rendre justice, ce n’est pas pratiquer la vengeance, ce qui conduirait notre société vers une régression sans précédent de l’État de droit et de civilisation". Le syndicat de la magistrature dénonce aussi "un problème d’impartialité" et il a saisi le Conseil d’Etat en demande d’annulation du décret. Il semblerait que le texte soit en contradiction avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui énonce le droit à un procès équitable. Or, le judevi sera en situation de partialité. Pascal Bridey dénonce aussi la tendance au compassionnel que sous-tend sa fonction. Il y avait certainement d’autres moyens de mieux défendre les droits des victimes et d’ailleurs la justice n’a pas attendu le décret pour s’en soucier, créant des partenariats actifs avec les avocats, les huissiers et le réseau associatif.
2 - Le projet de loi sur la rétention de sûreté :
Le projet est en cours d’élaboration. Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, il sera examiné par le Sénat fin janvier. Il comprend trois volets :
a - La rétention de sûreté : cette privation de liberté viendra prolonger la rétention pour certains criminels sexuels jugés très dangereux. Les infractions concernées sont : le meurtre, l’assassinat, la torture ou les actes de barbarie, le viol, l’enlèvement et la séquestration. Notons au passage que le meurtre et l’assassinant ne se confondent pas. Article 221-1 du Code pénal : "Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle". Article 221-3 : "Le meurtre commis avec préméditation constitue un assassinat. Il est muni de la réclusion criminelle à perpétuité". Enfin, puisque nous rappelons les définitions, rappelons que le crime désigne une catégorie d’infractions, la catégorie des infractions les plus graves. Les autres catégories étant les délits et les contraventions.
La mesure de sûreté, originellement réservée aux cas d’infractions graves sur des mineurs, a été étendue par voie d’amendement aux mêmes crimes commis sur des majeurs s’ils sont aggravés.
Ce qui est critiquable, c’est le caractère rétroactif donné à la mesure. Cette faculté de revenir en arrière pour appliquer la mesure à des criminels déjà jugés est contraire aux grands principes du droit pénal. Le Conseil d’Etat l’a réaffirmé, mais le gouvernement n’a pas tenu compte de son avis et a fait entériner ce point par l’Assemblée. Le Conseil constitutionnel aura à l’examiner lors de la promulgation du texte. Pour les criminels déjà jugés et enfermés, ce n’est pas le critère de forte probabilité de récidive qui est retenu, mais la multiplicité des crimes déjà commis.
La deuxième critique que l’on peut formuler, c’est la privation d’espoir que cela implique chez les mineurs condamnés. Les mineurs de plus de 15 ans tenus pour dangereux pourraient se voir maintenus en détention jusqu’à la fin de leurs jours. Présageant d’une évolution législative possible, on peut craindre que la limite ne soit abaissée sous les 15 ans pour les cas les plus graves, sur la foi de l’argument sécuritaire selon lequel un enfant peut bien être considéré comme étant doté de la même maturité qu’un adulte pour ce qui est de répondre de ses crimes. Cette privation d’espoir et d’avenir ruinerait les tentatives de réinsertion et d’éducation au sein même de la prison. Comment se comporteront ces jeunes qui n’auront plus rien à perdre ?
b - L’irresponsabilité pénale : le projet crée aussi une procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental qui, contrairement au non-lieu, figurera au casier judiciaire. Une fois l’irresponsabilité déclarée, une mesure de sûreté sera décidée, allant de l’hospitalisation d’office à des interdictions, comme l’interdiction de fréquenter certains lieux ou certaines personnes.
c - Le refus de soins pendant l’incarcération sera assimilé à une mauvaise conduite. Sur la question des soins, on peut se demander pourquoi les nouvelles dispositions se focalisent sur les soins à la sortie de prison, soit 18 ou 20 ans après les faits. Alors que les soins en prisons pour les délinquants sexuels sont négligés. On ne s’en n’inquiète qu’au moment de leur sortie. Certes, les soins ne peuvent pas être légalement imposés au détenu. Certes, des soins intensifs durant toute la durée de la peine seraient très coûteux. Mais l’intervention "à chaud", peu après que les faits ont été jugés, aurait certainement une portée efficace, intervention qui pourrait être suivie d’un traitement périodique plus léger, d’"entretien", durant le temps d’exécution de la peine puis d’une mesure maximale si justifiée dans l’année précédent la sortie de prison.
3 - La prison, devient-elle un nouvel asile psychiatrique ?
C’est ce que craint le Dr Michel Schmouchkovitch, psychiatre et chef de service à l’hôpital psychiatrique de Brest, qui intervient à la maison d’arrêt. De plus en plus de détenus souffrent de troubles, mais peu sont détectés et pris en charge. (Ouest-France, interview du 12 janvier 2008) "Il ne faudrait pas que la tendance à responsabiliser les malades mentaux se traduise par une privation de soins du fait de leur incarcération. Il y a là un vrai problème de santé publique", déclare le psychiatre. Privation de soins en plus de la privation de liberté, on est loin d’un système digne d’une bonne démocratie.
Non seulement le système de soins est très défaillant, mais, en plus, les actes dégradants sont légion ! Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a rendu public en décembre son rapport adressé à la France par lequel il "en appelle à l’adoption rapide d’une loi pénitentiaire qui intégrerait les normes européennes en matière de privation de liberté". En 2000, la commission du Sénat sur les prisons avait dénoncé une situation "indigne d’une démocratie". En 2004, 24 députés et sénateurs s’étaient rendus dans des prisons pour vérifier que leur état était vraiment déplorable. Ils ont été édifiés. Depuis ? Rien ! Ou presque. Un symbolique contrôleur général qui n’aura pas les moyens de sa mission. En France, la surpopulation pénale organisée entraîne une montée des suicides chez les détenus.
Enfin (si l’on peut dire...), la durée de la détention provisoire ne cesse d’augmenter selon le récent rapport que la commission de suivi de la détention provisoire a rendu à la garde des Sceaux (14 janvier). Le rapport indique que contrairement à son objet initial, un nombre significatif de détenus assujettis à la procédure de comparution immédiate sont mis en détention provisoire.
La réforme de la justice n’a pas eu lieu. Aucune leçon tirée de l’affaire d’Outreau. La réforme n’aura pas lieu. Seules des mesures sécuritaires et comptables ont été adoptées. "La justice coûte cher. C’est pour cela qu’on l’économise", disait Marcel Achard. Il n’empêche que la justice est un indicateur de premier plan de la valeur d’une démocratie et d’un Etat de droit.
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