De Mai 68 à « La journée de la jupe »
« O rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie, n’ai-je donc tant vécu que pour cette sodomie ! »
Sans être laxiste ou démissionnaire et sans tomber dans une démarche alarmiste et vouloir revenir à un ordre ancien du temps du gaullisme historique, il faut bien admettre que le paysage culturel, sociologique et ethnique de la France urbaine et périurbaine a changé depuis quarante ans. De nombreux penseurs, Alain Finkielkraut en tête parle de déclin, de décadence et de pertes de valeurs. Sur ce forum, en particulier, les articles foisonnent sur le thème de l’éducation nationale et ses supposées (ou bien réelles) dérives. D’autres enfermés dans une pensée venue des syndicats d’enseignants refusent d’admettre la moindre contestation de leurs méthodes actuelles de travail et de se remettre en cause et comme tout bons fonctionnaires ils dénient toute part de responsabilité individuelle dans le fiasco actuel. Ils portent le blâme sur « la société inégalitaire », l’incurie des gouvernements successifs en la matière et considèrent les jeunes « inciviques » comme des victimes expiatoires d’une société injuste, pour ne pas dire raciste à leur égard. Il faut raison garder, l’état de l’Education Nationale en France présente certes des lacunes graves, un certain nombre d’élèves restent sur la touche, si ce n’est sur le carreau, en fin d’études, mais un grand nombre, même en banlieue difficile, arrive à s’en tirer et trouve du travail. Péniblement, c’est une évidence, mais ce phénomène touche aussi les fils de bourgeois blancs de nos jours.
Or, l’exemple historique de Mai 68 ne peut être indéfiniment remis au cœur de débat sur l’éducation avec ses chauds partisans y voyant le summum de la liberté individuelle d’un part et ses farouches détracteurs d’autre part, insistant sur le fait que le laxisme de l’époque, la chienlit, aurait dit de Gaulle serait à l’origine de tous les maux actuels.
La France de 68 était si ce n’est mono ethnique, du moins majoritairement d’origine européenne. Mai 68 fut au niveau des mœurs une révolution sans en avoir l’R, selon le mot des gauchistes, mais une révolution bourgeoise et blanche, récupérée en marche par des leaders syndicalistes dépassés par des prolétaires grévistes. Mais bien que teintée de rouge et de noir, le mouvement fut mené quasi exclusivement par des fils de bourgeois du côté étudiant et lycéen, et par des prolétaires de même origine ethnique du côté ouvrier. Des gens ayant tous ou presque les références culturelles, linguistiques et historiques communes, la différence se faisant surtout au niveau de l’ascension dans l’échelle sociale et du vocabulaire. Si l’on ajoute à cela la croissance des « Trente Glorieuses », un chômage plutôt bas comparativement à nos jours et une émigration faite quasi exclusivement de travailleurs célibataires occupant des postes subalternes mais non touché par le chômage, on comprend facilement que toute comparaison avec la décennie 2000 est impossible.
Ce qui a été considéré par les conservateurs comme une démission collective, un abandon des valeurs, une génuflexion devant une jeunesse rebelle, n’a rien de commun avec les problèmes des banlieues, des jeunes désœuvrés et des ghettos ethniques où règnerait le chômage endémique, le trafic et la délinquance. La France a changé en quarante ans et pas uniquement sa jeunesse. Mais ce qui persiste et s’amplifie est l’absence quasi-totale de responsabilité à tous les échelons de la société française. Jadis réservé aux fonctionnaires, aux politiques et aux syndicats, le credo de l’irresponsabilité s’est étendu à la famille, à l’immigration, à la jeunesse et en fin de compte à presque tout le monde et bien-sûr au corps enseignant. Quand le recours aux droits de l’homme a remplacé le sentiment de justice, de bon sens et de responsabilité individuelle, les droits ont effacés les devoirs. Les devoirs sont actuellement noyés par l’assistanat et remplacés par l’esquive et le sentiment d’impunité. Les soixante-huitards voulaient certes plus de droits, mais du fait de leur éducation et du contexte social, moral et culturel dans lequel ils avaient été élevés, ils concevaient encore avoir des devoirs envers la société. C’est l’éducation petit-bourgeois qu’ils avaient reçu qui fit d’eux des rebelles politisés.
Donc, ce n’est pas les insultes, le ton ordurier et l’attitude provocatrice vis-à-vis du corps enseignant qui pose problème de nos jours, mais l’absence de contenu idéologique, de support intellectuel et politique à la provocation. Ceux qui scandait en 68 comme un slogan « Crève salope, le peuple aura ta peau ! » à tout prof quelque en soit le sexe, avaient une réflexion élaborée, peu importe qu’elle ait été erronée et brouillonne, de type marxiste, maoïste spontanéiste, anarchiste ou gauchiste (à cette époque, seuls les sinistres trotskistes et les Jeunesses Communistes récusaient le langage ordurier). Les jeunes protestataires disaient refuser toute forme de paternalisme, fut-il de bon aloi, et certains de rajouter, surtout de bon aloi et ils repensaient souvent avec prétention le monde et la société. Il n’est donc pas impensable de structurer sa révolte autour de la vulgarité, l’obscénité, l’impudence et l’irrévérence, encore faut-il lui donner un contenu. La réplique récente devenue célèbre, « Elle, boite, elle a du se faire… », qui fit couler encre et salive n’est pas un problème en soi, c’est l’absence de revendication structurée qui l’entoure qu’elle soulève. Car le droit de glander et de téléphoner pendant les cours ne repose sur aucun critère de logique, sur aucune introspection et sur aucune revendication sérieuse et positive. Et ce comportement, qui n’a pas à être minimisé ou approuvé, n’a pu avoir eu lieu que du fait de la lâcheté d’individus adultes inféodés à une idéologie de non violence, de tolérance et de consensus. Le caricatural enseignant prêt à tous les renoncements dans « la journée de la jupe » est l’archétype du syndiqué barbu en chemise à carreaux capables de toutes les pires bassesses et compromissions. Paradoxalement, c’est une éducation stricte avec des règles, des interdits et une morale austère qui a permis l’éclosion des plus grands anarchistes. Car on ne peut se rebeller contre le vide et le néant. Et même un nihiliste pour exister a besoin d’une société répressive pour pouvoir s’exprimer pleinement.
Alors qu’on envisage d’interdire la fessée au niveau privé et familial par décret, on ne peut plus concevoir une paire de baffe en réponse à ce qu’on appelle pudiquement une incivilité à l’école. Mais depuis, la déresponsabilisation s’est installée à tous les niveaux. Un enseignant écologiste avec sa sacoche de cuir avachie ou un socialisant (dans le mauvais sens du terme), qui croit au principe de précaution et déblatère sur « les talents de cité » ne peut que baisser la tête devant un « petit con » qui fait le bravache. Et si ce « petit con » n’est pas d’origine française, même s’il en a la nationalité, l’enseignant fermera le bec de peur d’être assimilé à un raciste. Comme l’administration est frileuse et muselée par des principes qu’elle a elle-même édictés, l’enseignant sait qu’il ne pourra en obtenir aucun soutien de sa hiérarchie, alors qu’il aura tous les syndicats derrière lui s’il abuse des arrêts de travail ou participe à des revendications purement corporatistes de vestiaire ou de prise en compte de la formation sur le temps de travail.
Les jeunes « branleurs » qui polluent l’école ont leur part de responsabilité, leurs familles aussi, il ne faut en aucun cas les disculper. Mais les politiques, les services sociaux, le corps enseignant et le Ministère de l’éducation ont aussi une grande implication dans cette foire ridicule. On peut comprendre, si ce n’est admettre qu’un jeune inculte et immature gâche sa vie et celle de son entourage. On ne peut admettre par contre que toute une institution et au delà toute une partie de la société se laisse mener par le bout du nez par quelques inconscients qui rentreraient dans le rang avec seulement quelques coups de pieds au cul. Il y avait jadis un « Contrat social » entre l’enseignant et l’enseigné avec l’Etat comme médiateur. Ce contrat est devenu caduque, il faut en redéfinir les nouvelles clauses prenant en compte le contexte actuel sans pour autant réinventer la roue. Ce n’est pas le retour à l’ordre moral qui est souhaitable, mais celui du courage, de l’éthique professionnelle et du simple bon sens. Inutile de blâmer Nadine Morano ses relents prolétariens et ses petites phrases. Car un jeune, arabe ou non, musulman ou non, qui porte des Nike, une casquette à l’envers, qui parle le verlan des cités et se déplace avec la démarche ondulante d’un maquereau (la fameuse pimp walk américaine), ne trouvera jamais de travail, même auprès du patron le moins raciste, sauf s’il se cantonne à livreur de pizza. Et c’est probablement là où l’école est la plus déficiente. En revanche, un élève connaissant ses classiques et à l’aise avec le subjonctif déclamant : « Que voulez vous qu’il fit contre trois ?, Qu’il l’enculât ! », ça a tout de même beaucoup plus de gueule que les borborygmes d’un jeune peigne-cul inculte dans un collège de zone d’éducation prioritaire.
PS : Spécial remerciement à Paul Villach pour avoir inspiré mes ratiocinations non élégiaques.
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