Dépravée, la jeunesse française ?
Vous aurez remarqué comment la comparaison en politique fonctionne unilatéralement : on compare notre droit du travail et notre économie à celle outre-manche ou à celle scandinave pour montrer à quel point nous avons du retard. Mais jamais l’on ne se compare à d’autres nations pour relativiser des situations que certains sont bien prompts à appeler crise. Est-ce là un exercice diplomatique que de ne jamais critiquer un pays ami ? Est-ce plutôt pour effacer toute contradiction, comme une sorte de TINA du mouvement et de la réforme plus que de TINA du statu quo ? Exemple avec la famille.
Depuis environ un an, le gouvernement a circonscrit notre jeunesse à l’intérieur de grandes apocalypses. Nos jeunes seraient donc très portés sur la boisson, à tel point qu’il faut légiférer en urgence à ce sujet. Nos jeunes seraient aussi très vulnérables face à l’ogre Internet, repaire des violeurs, des kidnappeurs, des égorgeurs et autres Jack l’Éventreur cybernétiques, comme l’affirme la vidéo publiée par le Secrétariat d’État à la famille, dans laquelle Arthur va prendre cher face à une bande de néo-nazis et où la petite Anna va pouvoir faire joujou avec un vrai lapin libidineux (ou -nœud, on ne sait pas si le script s’est livré à des facéties langagières). Et puis, à chaque cas de pédophilie, comme on vient encore d’en engloutir un à Lille (double combo, il s’agit d’un prêtre, en plus !) il y a une semaine, on nous rappelle à quel point nos enfants sont en danger, même à l’école.
Tel serait ainsi le portrait d’une jeunesse dépravée, irresponsable, inconsciente du danger. Tremblez, parents ! Traversons pourtant la Manche. Avons-nous des raisons de nous inquiéter ?
Quelques statistiques : en France en 2005, l’âge moyen au premier rapport sexuel était de 17,5 ans pour les filles, 17,2 ans pour les garçons, sensiblement le même en Grande-Bretagne. Pourtant, depuis quelques jours, la Grande-Bretagne se passionne pour Alfie, un adolescent de 13 ans dont la voix n’a pas mué et qui ressemble à un enfant de 8 ans, devenu papa (la mère en a tout juste 15), symbolisant pour les Conservateurs le déclin des valeurs morales de l’Angleterre. Les scientifiques s’inquiètent d’une montée des rapports sexuels avant l’âge de 16 ans en Angleterre, pourtant le pays de la vieille morale rigoriste de l’ère victorienne.
En ce qui concerne la consommation d’alcool, les jeunes Français seraient en 2003 3% à consommer de l’alcool régulièrement (10 fois/mois) à 14 ans, 13% à 17 ans (20% des garçons et 7% des filles). Ils sont 32% des garçons de 15 à 19 ans à déclarer avoir été ivres au cours des douze derniers mois, contre 20% des filles. On remarquera d’ailleurs que ces chiffres sont à manipuler avec précaution, tant la notion d’ivresse est premièrement subjective, et ensuite est généralement beaucoup plus rapidement ressentie quand on est jeune : on peut être ivre avec une très petite quantité d’alcool. En Angleterre, si l’on s’en tient à des chiffres du Daily Telegraph de septembre 2007, il y aurait eu 26 000 hospitalisations entre 2002 et 2006 pour cause d’empoisonnement à l’alcool, soit 18 par jour, à tel point que la lutte contre la consommation excessive d’alcool devient en Angleterre un vrai sujet de société. C’est d’ailleurs en Grande-Bretagne qu’est apparue la pratique de binge drinking, qui consiste à boire le maximum d’alcool en un minimum de temps. Cette pratique est d’ailleurs encouragée par deux phénomènes : le prix modique des boissons et surtout la fermeture très hâtive des pubs (23h). Autrement dit, quand on sort, autant rentabiliser un maximum.
Nos jeunes sont donc sages vis-à-vis de l’alcool. Il semble que les parents jouent le jeu. Mais surtout, il n’y a pas en France d’icônes jeunes faisant montre d’une image désastreuse. Lorie et M. Pokora ne sont pas des ivrognes ni des toxicomanes, bien au contraire. En Angleterre, les deux nouvelles icônes de la jeunesse, Amy Winehouse et Lily Allen, font à elles seules tourner les tabloïds anglais par leurs frasques : ivresse répétée, addiction aux drogues, etc. Leur succès médiatique est tout autant basé sur leurs talents musicaux que sur leur image icônique. D’ailleurs, la seconde tend à supplanter la première, puisque Amy Winehouse n’a plus rien produit musicalement depuis deux ans et enchaîne les annulations de concerts, tandis que la seconde mêle maladroitement les deux dans un parcours à la Britney Spears. Lily Allen, d’ailleurs, vient de soulever un tollé outre-Manche en invitant les parents à laisser leurs parents essayer les drogues, affirmant que « certaines personnes réagissent bien [aux drogues], d’autres non. Essayez et voyez ce que vous en pensez. » On imagine mal en France des bad boys assimilant les pilules d’ecstasy à des Smarties ! Ils sont déjà bien occupés à convaincre les jeunes de casser du flic.
Mais c’est tellement mieux de ne pas regarder ailleurs pour maintenir la désinformation. C’est aussi ça, TINA : ne pas présenter d’alternative pour mieux dire qu’il n’y en a pas.
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