Dialogue avec un maçon
Alors que les PRES, l’intégration des IUFM, mais aussi les fusions entre universités, représentaient le socle d’une ambition inédite pour la nation et les valeurs républicaines, l’exécutif a fait le choix de la division et du travail de sape, de la réduction budgétaire et des manoeuvres de division.
Alors que le processus de Bologne représentait une opportunité, il en a fait un ensemble de mesures d’affaiblissement et de renoncement.
Dialogue avec un maçon
J’ai une histoire brève à vous raconter, et une question à vous poser. Voici pour l’histoire :
Mettons que la demeure que j’occupe soit une petite masure qui ait bien besoin d’un mur. J’appelle un maçon qui se rend chez moi, et je lui dis :
« Combien de temps pour construire ce mur ?
– Deux bonnes journées au moins, avec deux maçons.
– Très bien, vous avez donc l’après midi », que je lui réponds.
Et la question est la suivante : à votre avis, que me répond-il à son tour ?
Vous me direz sans doute, étant donné que vous êtes une personne réfléchie, qu’il réplique dans le meilleur des cas avec un sourire, et dans le pire en exigeant d’être dédommagé pour le déplacement. Mais vous ne pouvez vous empêcher de vous dire que s’il y a un grossier personnage dans cette histoire, c’est bien celui qui veut l’impossible. Malheureusement, c’est là, en résumé, ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine de la formation des enseignants.
Effectivement, après l’intégration des IUFM dans les universités, une « réforme » voudrait que la formation se fasse dans le cadre de « masters », autrement dit à la suite d’un « bac plus 3 ». Jusqu’ici, tout va bien, et par ailleurs tout le monde à peu près en convient : prenons le temps d’y réfléchir pour produire les cursus qui seront les plus à même d’insérer les jeunes et les moins jeunes dans le marché du travail, et donc, pour celles et ceux qui auront eu les concours, d’assurer des missions de service public.
Tout va bien, donc, jusqu’à ce que les équipes universitaires soient confrontées, brusquement, à la brutalité, aux insultes, à une campagne de discrédit. Peu à peu, l’« opinion » va être préparée, en quelques mois, à convenir de ce que l’on paye des bac plus 5 à changer les couches, que les classes ne comptent en somme que onze élèves, que toutes les évaluations nationales montrent que tout va de travers dans l’Education, et qu’on donne des milliers d’euros de traitements et de primes à des enseignants qui, mal formés, forment mal les élèves.
Ce premier travail de sape étant effectué, il ne reste plus qu’à bâcler l’encadrement des stages, miner la formation des maîtres, appliquer une concurrence de vendeurs de voitures aux universités, et masquer, par des annonces fracassantes, la diminution concrète de leurs crédits.
Pourtant, dès l’été 2008 (c’est en été qu’on fait les meilleures soupes pour l’hiver, car peu de gens se rendent compte qu’elles sont indigestes), tous les partenaires consentent à entreprendre ce qu’on appellera bientôt la « mastérisation » de la formation des maîtres.
Sachons toutefois, avant tout, que dans les faits, toute équipe universitaire a besoin, pour construire un master, de plusieurs mois de réflexion, de dialogue entre les organisateurs, les partenaires, les intervenants, et que cela prend beaucoup de temps. Ainsi, dans bien des cas, la mise en place d’une formation de ce type prend une à deux années, si ce n’est plus, et dans la mesure, bien entendu, où les personnes sont disponibles.
Rappelons aussi le fait que les universités, en intégrant des écoles qui disposent déjà de plusieurs formations de niveau master, avec leurs spécificités, leur organisation propre, intègrent aussi une culture professionnelle à laquelle elles souscrivent, mais à laquelle elles ne sont pas forcément habituées. Dans ce cadre, mettre en oeuvre des masters en commun implique de réajuster en partie les masters existants, de reformuler les parcours, de positionner des spécialités, d’envisager tous les débouchés pour les étudiants, de refonder l’encadrement, les cursus, les suivis, et l’inventaire est ici très, très sommaire.
« Mastériser » la formation des maîtres revient donc, mécaniquement, à se laisser au moins deux années pour que la professionnalisation soit progressive, pour que les stages soient vraiment accompagnés, et pour que tous les éléments indispensables à la pratique du métier d’enseignant, comme les savoirs académiques bien sûr (mais aussi la prise en compte de leur dimension épistémologique et des apports de la recherche), et comme il va de soi un questionnement constant sur les manières d’en formuler les contenus en classe (ce qu’on appelle la didactique des disciplines, sans laquelle les savoirs académiques demeurent inaccessibles aux élèves), soient rassemblés.
Toute personne responsable aurait donc laissé de deux à trois années pour que cela se fasse, concrètement, et dans l’esprit d’une productivité accrue, autrement dit avec une ambition conforme à l’esprit de Bologne.
Or, quel a été le calendrier soumis par les ministères concernés ?
Début septembre 2008, les universités et leurs écoles IUFM intégrées apprennent que leur copie est à remettre.. pour la mi-décembre. Un cadre général ? celui-ci intervient le 17 octobre. Quels concours ? ceux-ci ne sont pas même arrêtés. Quel budget pour les stages ? on verra. Que deviennent les formations pour les années qui suivent les masters ? du « compagnonnage ». Qu’est-ce que le « compagnonnage » ? l’oeuvre de « compagnons ». Qui sont les « compagnons » ? des gens expérimentés. Sur quelle « expérience » ? on expérimentera. Qui rémunérera les stages ? que les gens se débrouillent.
Mais dans le même temps que se poursuit le travail de sape envers « l’opinion », les universités s’y mettent quand même, et comme on ne peut faire ce qui ne peut se faire, sont bien obligées, fin novembre, d’indiquer aux ministères que ce qui est impossible n’est, malheureusement, pas possible.
Débarquent alors des brouillons de concours, rédigés à la va-vite, et qui confirment les brouillons qui précèdent. Les gens commencent à se fâcher, et un délai intervient donc : ce n’est plus pour le 15 décembre que les masters sont à construire, mais pour le 15 février.
Vous qui êtes une personne réfléchie, vous vous dites que l’exécutif a pris la mesure des difficultés, et qu’il corrige son erreur en passant du 15 décembre 2008 au 15 février 2010. Un peu moins d’un an et demi de travail pour accomplir ce qui devrait en prendre deux fois plus, bon ! C’est déjà ça.
Mais ce n’est pas de 2010 dont il s’agit : le 15 février est celui.. de 2009. En dehors des congés, cela fait donc, si l’on compte le passage devant toutes les instances qui composent l’université, deux ou trois semaines de plus.
Alors que le « court-termisme » a déjà en grande partie déconstruit l’économie, on le pratique sur la formation des enseignants : autant tout casser, puisque c’est l’air du temps.
Dans ce contexte, une fois que tout le monde a goûté à la soupe, personne ne peut plus dire qu’elle n’est pas indigeste, et la CPU signifie dans une lettre, le 5 janvier 2009, puis dans une autre, le 8 janvier, qu’à l’impossible nul n’est tenu.
J’ai donc une autre question : que répond l’exécutif, à la suite d’une grande réflexion qui lui a pris au moins deux jours ? Un communiqué de presse donne alors quelques mesures transitoires, mais maintient, quoi qu’il en soit, un calendrier dont chacun a mesuré combien il est intenable. Avec bien sûr des menaces : certains conseillers envisageraient même d’imposer aux universités, par le biais d’un arrêté, des masters aux organisations bâclées, tant dans leur suivi qu’en pratique, avec par exemple une « initiation à la recherche » aboutissant à la rédaction d’un rapport de stage, et des composantes d’enseignement tout aussi brouillonnes que les éléments de cadrage qui les conditionnent.
Que deviennent les équipes pluricatégorielles dont a besoin la formation ? Que deviennent la préprofessionnalisation ? la professionnalisation ? les remplacements des stagiaires ? les partenariats ? les mobilités ? les collaborations ?
Débrouillez-vous, de toute manière vous coûtez trop d’argent.
Alors que les PRES, l’intégration des IUFM, mais aussi les fusions entre universités, représentaient le socle d’une ambition inédite pour la nation et les valeurs républicaines, l’exécutif a fait le choix de la division et du travail de sape, de la réduction budgétaire et des manoeuvres de division.
Alors que le processus de Bologne représentait une opportunité, il en a fait un ensemble de mesures d’affaiblissement et de renoncement.
La politique de campagne menée par les présidentiables de 2007 a été celle de la compassion. Celle qui est menée aujourd’hui s’enfonce dans l’éparpillement et l’exagération, qui mènent à l’exaspération.
En imposant des calendriers intenables, la politique publique a provoqué la dispersion.
En pratiquant les réformes dans l’empressement, elle a réduit les réformes à des corrections et de vulgaires ajustements.
En suscitant des démarches contreproductives, elle suscite l’improductivité, la grève, la tension sociale et le repli.
Peut-être est-il encore temps de réformer autrement, avant que les murs trop élevés ne s’érigent entre les personnes. Pour le comprendre, autant commencer par avoir un dialogue concret, exact, patient avec celles et ceux qui font la productivité de la nation.
Un maçon par exemple.
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