Dieu est un fumeur de harengs
A force d’interdire, de faire peur, de prédire l’Apocalypse pour demain, toute une presse, relayée par des lobbies et des législateurs, rend la vie impossible au citoyen de base. Jusqu’à plus ample information, le cas de Lazare étant scientifiquement douteux, le taux de mortalité humaine est vraiment très proche de 100%. Alors, ne vaudrait-il pas mieux laisser les gens respirer à leur guise, quitte à ce qu’ils vivent un peu moins longtemps ? L’espérance de vie n’est pas un but en soi, s’il s’agit de s’ennuyer toute une existence. Russes et Africains s’attardent moins sur terre que nous autres Occidentaux. Je pense qu’ils s’y amusent beaucoup plus.
Dernier avatar du gang des bien-pensants, le cinéma américain envisage de supprimer toute référence au tabac lors de ses prochaines productions. Ou du moins un petit groupe de décideurs, qui, pour le plus grand bien de tous, y compris bien sûr et surtout les adolescents, veut limiter la présence des cigarettes à l’écran autant que cela sera possible. J’imagine le pire et le plus cocasse à la fois lors d’un remake du « Jour le plus long ». Les nazis, évidemment grilleraient clope sur clope. Ce serait un moyen binaire et efficace de les identifier comme les méchants du film. Manière facile de faire d’une pierre deux coups. Ceux qui fument ne sont pas un exemple à suivre (Regardez bien, jeunes gens, on commence par une Gitane à treize ans et une fois adulte, on envoie les Juifs au four !) et d’autre part cela simplifierait bigrement la compréhension du scénario pour ceux qui connaissent mal l’histoire et ont du mal à identifier les uniformes.
Les GI, par contre, ne distribueraient plus de cigarettes aux populations libérées en Normandie, mais des bibles et du dentifrice, le film étant à la fois sponsorisé par une église évangéliste et par Colgate. Pas de biscuits ou de chocolat non plus, car ces produits seraient aussi bannis à l’écran dans le cadre de la lutte contre l’obésité des jeunes. En allant plus loin, on peut même imaginer une vie de Churchill sur grand écran où le héros boirait uniquement du thé et troquerait le cigare contre un brin de paille comme dans Lucky Luke lors de son fameux « blood, sweat and tears » ! Castro, lui, mangerait des légumes frais en comptant les vitamines et les oligo-éléments, en attendant le débarquement de la baie des Cochons. Quant à Gainsbourg et Malraux ils seraient portraiturés avec une sucette à l’aspartam. Quoique pour l’aspartam, je m’avance peut-être un peu trop, le produit étant déclaré toxique par un lobby agressif au nom du principe de précaution. Donc, Gainsbourg et Malraux, on pourrait leur coller quoi dans le bec, sur les représentations graphiques ? Le mieux serait peut être de ne plus les représenter du tout, comme Maurras ou Drieu la Rochelle, et de les passer ainsi dans la catégorie des personnalités peu recommandables.
Mais doit-on inclure Pompidou à ce groupe de parias ? Revanche tardive et posthume pour quelques soixante-huitards, certes, mais président encore honorable pour bon nombre de Français. Cacher ce mégot que je ne saurai voir, voilà la dernière tartuferie de ce début de millénaire.
Ce que j’écris pourrait être une fiction au trait un peu forcé, pourtant James Bond ne fume plus ; il est une icône positive pour la jeunesse. Il joue au poker, distraction badine et juvénile s’il en est, avec neuf autres non-fumeurs au Monténégro, haut lieu du trafic de cigarettes. On frémit au réalisme du scénario ! Et en amuse-gueule, il démonte la tête d’un adversaire dans des toilettes publiques en le fracassant contre un urinoir. La morale est sauve, le film est visible par tous et passe la commission de censure.
Trêve de plaisanterie, ou de farce sinistre. Le cinéma va interdire le tabac dans un proche avenir, même sans le recours de cette commission d’ayatollahs américains excités. Les syndicats de maquilleuses, accessoiristes, cameramen et perchmen vont hurler à la mort dès qu’un acteur allumera une cigarette sur un plateau. Ils pratiqueront le droit de retrait et seules les scènes en extérieurs seront autorisées. Pas pour longtemps, car il faudra trouver des acteurs fumeurs, qui ne s’en cachent pas au risque de perdre des contrats publicitaires pour des produits ciblés jeunes. Ces téméraires devront de plus signer un engagement de non-poursuite contre le producteur, le réalisateur, le metteur en scène et le scénariste au cas où ils seraient victimes ultérieurement d’un cancer ou d’une pathologie cardio-vasculaire. Ils pourraient facilement se plaindre pour mise en danger de la vie d’autrui ! Gainsbourg dirait : « Où va-t-on, nous ? » Le tabac, au cinéma, c’est bien fini, j’en ai bien peur.
La Troisième République a produit une pléiade de grands hommes dont il serait fastidieux d’établir la liste. Parmi eux, nombre de politiciens agnostiques, fumant, buvant de l’alcool et du vin et fréquentant les prostituées. Certains cumulant autre chose que les mandats électifs, fumaient le cigare, devant un cognac, au bar d’une maison close. Si la politique ne doit pas se faire à la corbeille, comme le disait De Gaulle, elle se faisait alors quelquefois au bordel. Le moralisme récurrent de nos jours ne le permettrait plus. La station Félix Faure, sur la ligne Balard Créteil, risque d’être bientôt débaptisée, déontologie pudibonde oblige. Pourtant, ce président mort à l’Elysée en épectase, dans le feu de l’action, est l’honneur de la France, je dirai même de l’exception française. « Il voulait être César, il ne fut que Pompé(e) ! »
La trilogie « cigarettes, whisky et petites pépées » chantée par Eddie Constantine dans les années cinquante est devenu un anachronisme à la limite de l’obscénité. Chaque période à ses interdits, ses boucs émissaires et ses chevaux de bataille. Chaque époque a ses chrétiens, ses sorcières ou ses juifs à brûler. On cloue au pilori et jette à la vindicte populaire des catégories bien ciblées. Un jour il s’agit des communistes, un autre des homosexuels. Quand on n’a pas assez de coupables, on voit des pédophiles partout et on aboutit à la brillante affaire d’Outreau.
Aujourd’hui, il s’agit des fumeurs. Demain une autre catégorie sera dénoncée, ce n’est qu’une question de mode et de chiffre d’affaires. La lutte contre le tabagisme a créé des lobbies, des emplois et toute une industrie du patch et de la substitution. Ces gens ne sont pas plus moraux que les fabricants de cigarettes, ce sont des hommes d’affaires qui défendent leur métier en utilisant les mêmes armes de marketing et de désinformation. Loin de moi l’idée de comparer les ligues antitabac aux nazis, on n’extermine pas les fumeurs, on essaie seulement de les tuer socialement. Mais il faut bien reconnaître que les petits écriteaux « espace non fumeurs » qui fleurissent un peu partout, ressortent du même état d’esprit d’exclusion que les sinistres « Juden Frei » du Troisième Reich. Le désir de rester entre soi, (sous-entendu les bons, les gens biens, les fréquentables, ceux qui ont raison), et de ne pas se laisser polluer par des fumeurs est un aspiration à l’exclusion, à la ségrégation. Dans les deux cas on laisse « l’autre » à la porte, car il est supposé dangereux, inférieur et différent.
A force de vouloir le bien des gens contre leur gré, on en arrive à l’aberration contraire. Tout ce qui n’est pas totalement inoffensif devient potentiellement dangereux. Hors il est bien connu qu’à force d’avoir peur, la cible de cette propagande commence à y croire et développe une pathologie psychosomatique importante. L’exemple de certains asthmatiques est typique.
L’allergie au caoutchouc naturel est bien connue depuis longtemps, l’inhalation de particules de cette substance peut entraîner des crises d’asthme sévères chez des individus sensibilisés. Par contre, l’idée d’être exposé à l’allergène, le caoutchouc en l’occurrence, peut aussi déclencher des crises. La mise en présence de pneus en matériaux synthétiques sans caoutchouc naturel et même la projection de films montrant l’allergène dans une salle qui en est totalement exempte ont la capacité d’induire des réactions d’ordre psychosomatique sans besoin du substrat allergisant dans l’air respiré par le patient.
La peur d’avoir une crise engendre la crise. Ce qui est vrai pour l’asthme l’est, tout proportion gardée, pour toute autre mise en présence de quelque chose de dangereux ou supposé tel. A force de se faire peur, l’homme ne se protège pas, il diminue ses capacités de résistance à l’adversité. Et puis, même en cas de toxicité réelle, comme pour le tabac, doit-on en permanence effrayer, interdire, moraliser ? Le libre arbitre est le propre de l’homme. Il a aussi le droit de faire le mal envers lui-même et les autres s’il accepte d’en assumer toutes les conséquences. Enfin, je pense que certains antifumeurs sont beaucoup plus gênés par l’idée que l’on puisse fumer en leur présence que par le tabac en soi.
Il n’est pas question de nier les effets toxiques du tabac, d’abord sur celui qui fume et disons le tout de même beaucoup moins sur celui qui le subit. Le bon sens est de considérer le confort de vie, l’importance relative du risque et les priorités d’une société. Dernier épisode délirant de ces excès de précaution : un cénacle d’histrions glapissants vient de découvrir que le radon, naturellement présent dans le granit, allait éradiquer Bretons, Auvergnats et Corses qui vivent sur leur sol rocheux depuis des siècles. Ils devront ouvrir les fenêtres, même en hiver s’ils veulent atteindre l’âge de la retraite. N’est-ce pas un peu démesuré ?
Je ne sais quel vocabulaire je me dois d’utiliser pour dire qu’il ne faut pas griller un feu rouge à défaut d’une cigarette. Moral, religieux, légal ou légaliste, peut-être citoyen, peu importe. Ce dont je suis certain, c’est qu’une société où absolument personne ne traverserait hors des clous, ou aucun vol, délit, voire meurtre (fût-il atroce) ne serait commis, aucune beuverie, orgie ou libation autorisées, serait une société d’un mortel ennui. Toute l’œuvre de Zola, de Balzac et de Gérard de Villiers repose sur la déviance, l’abject, la corruption et la sexualité extraconjugale. Dans un monde parfait et moral, ils n’auraient plus rien à dire et écrire. Ce serait surtout dommageable pour de Villiers, car quasiment plus personne ne lit Balzac et Zola.
« L’inconvénient dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres » disait Léo Ferré. Le poète est bien mort. « Toute pensée en commun est une pensée commune » ajoutait-il, aurait-il tort de nos jours ?
Bien-pensants, vos papiers !
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