Ecole primaire : les raisons de la grogne
A l’heure où une grande partie des enseignants, lycéens et parents sont dans la rue, certains se demandent sans doute pourquoi tout ce ramdam autour de la réforme Darcos, alors qu’elle ne promeut, en apparence, que des mesures de bon sens.
Certes, personne ne peut s’opposer à l’idée du « savoir lire, écrire et compter » à la fin de l’école primaire. Certes, la réforme de 2002 nécessitait quelques révisions et adaptations. Alors pourquoi une telle polémique autour de la réforme ?
D’une part, parce que les rectificatifs aux programmes de 2002 avaient déjà été effectués – ce que tout le monde semble ignorer aujourd’hui – par l’ancien ministre de l’Education nationale, Gilles de Robien, lors de la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences (voir le BO n° 5 du 12 avril 2007). Et d’autre part, parce que le projet Darcos implique bien davantage qu’une simple réforme des contenus de l’enseignement.
Après avoir fait une annonce de pure forme sur la suppression de l’école le samedi matin (sans doute pour satisfaire les 10 % de parents qui veulent partir en week-end), M. Sarkozy a obligé, de par le fait, son ministre de l’Education nationale à entériner ses propos tout en essayant d’y mettre du sens. Malheureusement, ce sens n’existe pas. Pire, ce qui apparaît va à l’encontre de tout ce qui aurait pu ou dû se faire.
Les rythmes scolaires
Si le temps était peut-être venu de supprimer la classe du samedi matin – sans doute trop contraignante pour certains parents d’aujourd’hui – il aurait fallu proposer le mercredi à la place et éviter ainsi à tout prix la semaine de 4 jours. On sait que celle-ci casse le rythme des enfants et que chaque reprise est source de difficultés ou de perte de temps. Ce qui se résume de façon caricaturale par : le lundi les élèves dorment parce qu’ils sont fatigués des couchers tardifs du week-end, et le jeudi ça chahute parce qu’ils sont énervés par un mercredi de télé.
Mais puisque la France est à la traîne des pays européens quant aux compétences des enfants du primaire, ne fallait-il pas s’interroger sur le pourquoi de ce fait ? Nous sommes le pays où la journée scolaire est la plus longue et qui a en même temps le plus de jours de vacances. Raisonnement logique : des apprentissages efficaces se font-ils en fin d’après-midi ? Ou bien : les ruptures des vacances ne sont-elles pas propices à l’oubli ?
Comme il est en France extrêmement délicat de toucher aux vacances, ne pouvait-on, au moins, reconsidérer la semaine de travail et passer, par exemple, à une semaine de 5 journées de 5 heures chacune ?
Mais non, le programme Darcos annule purement et simplement le samedi matin et fait passer la semaine de 26 à 24 heures, sans tenir compte du rythme des enfants.
On se demande quand le bien-être des élèves entrera en considération, mais on sait à quel point les décisions se font en fonction d’intérêts économiques, politiques ou démagogiques…
L’aide aux enfants en difficulté
La réforme prétend mettre ce dispositif en place pour venir en aide aux enfants en difficulté. En effet, le temps de travail des maîtres restant inchangé (27 heures hebdomadaire), il sera possible de prendre en charge ces élèves 2 heures par semaine. Sur quelle base ? Rien n’est dit là-dessus et c’est à chaque école de trouver sa formule. Mais quelle formule ?
Doit-on allonger encore la journée de travail d’élèves déjà submergés en leur proposant des heures de cours supplémentaires tôt le matin, à l’heure de déjeuner ou après 16 h 30, le soir ?
Doit-on plutôt faire revenir ces élèves le mercredi matin ? Mais dans quelles conditions, quand on sait que certaines municipalités s’opposent à l’ouverture des écoles le mercredi, que beaucoup d’enfants sont inscrits en centre aéré ce jour-là, et qu’il faudra organiser ce soutien sur la base du volontariat (des parents et des élèves) puisque le temps de l’école obligatoire ne sera plus que de 24 heures hebdomadaires ?
Imagine-t-on vraiment qu’un tel dispositif est susceptible de fonctionner ? C’est se moquer des parents, des élèves les plus démunis et des enseignants. Mais ensuite on pourra toujours reprocher à ces derniers de ne pas avoir fait correctement leur travail…
Les programmes
MM. Lang et Ferry se sont exprimés là-dessus dans Le Nouvel Obs du 13-19 mars, mais il est tout de même nécessaire d’insister sur certains points.
- Comment peut-on alourdir considérablement les programmes de français (grammaire), de même que les programmes de sport, tout en réduisant la semaine de travail ?
- Pourquoi introduire la division dès le CE1et la règle de 3 dès le CM1 alors que l’on sait très bien qu’il s’agit d’opérations beaucoup trop complexes à cet âge ?
- Est-il raisonnable de réduire d’un côté les horaires et programmes d’histoire-géographie et de créer de l’autre une nouvelle matière, l’histoire des arts, avec une progression largement trop ambitieuse pour les enfants des classes élémentaires ?
On peut donc s’interroger : s’agit-il de résoudre le problème des enfants en difficulté ou bien de mettre une grande partie des enfants en échec par des programmes trop lourds et des concepts trop abstraits ?
Il est toutefois intéressant de souligner que ces nouveaux programmes ont été soumis à consultation et que, pour la première fois, les maîtres devaient se réunir pour en débattre ; les conclusions étant attendues pour le 29 mars. Mais, deux jours plus tard, on entendait déjà M. Darcos annoncer qu’il n’envisageait pas de remise en question. Pourquoi dans ce cas avoir consulté le corps enseignant, si c’est pour ignorer ses réflexions et propositions ?
Un mois jour pour jour après la consultation des équipes éducatives, paraît donc le projet de programmes suivant, qui ne tient pratiquement aucun compte des mises en garde des pédagogues du terrain ou des recommandations des précédents ministres, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre.
Alors, oui, arrêtons de polémiquer en termes de droite/gauche car ce n’est plus de cet affrontement-là dont il s’agit, mais de l’avenir de l’école dans son ensemble. La question étant : comment appliquer de tels programmes au sein d’une semaine réduite, tout en prenant en compte les enfants en difficulté, mais de façon improbable ?
Parce qu’il ne faut pas s’y tromper : prétendre assurer le traitement de l’échec scolaire par les maîtres tout venant, c’est aussi signifier à court terme la disparition des maîtres E et G (enseignants spécialisés) membres du Rased [1] dont les équipes éducatives ont pourtant largement besoin. Certains postes ont déjà été supprimés, d’autres le seront encore…
Par contre, il est un problème qui n’a pas été abordé : c’est celui de l’intégration des enfants présentant un handicap. Et pourtant, c’est bien de cette question dont il aurait fallu débattre.
La loi de 2005 fait obligation d’accueillir ces enfants dans les classes dites « normales ». Pour autant, rien n’a été prévu par le législateur en termes de formation des professeurs des écoles. Et l’on sait par ailleurs que l’aide logistique assurée par les auxiliaires de vie scolaire dans ce domaine est loin d’être suffisante, faute de personnel…
En conclusion : faut-il vraiment imposer aux enseignants une énième réforme alors qu’il existe déjà de nouveaux programmes ? Nouvelle réforme impliquant des heures en moins, mais des contenus supplémentaires ; une aide aléatoire pour les élèves en difficulté et moins de soutien institutionnel ; et en même temps laisser croire que l’on peut assurer l’intégration des enfants handicapés, sans formation, voire sans aide ?
Soyons clairs : l’école est déjà une mission difficile, elle risque rapidement de devenir « mission impossible ». Mission impossible, mais pas dans tous les secteurs sans doute. Car si la désectorisation déjà engagée dans le secondaire s’étend au primaire, il y aura alors des inégalités flagrantes d’une école à l’autre et nous ne serons plus dans des valeurs démocratiques, mais dans un traitement à deux vitesses, en fonction des lieux. De là aux écoles ghettos, il n’y aura plus qu’un pas.
Elisabeth Mathias
Professeur
des écoles et psychosociologue.
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