Entretien avec Sylvianne Spitzer, de « SOS Hommes Battus »
Tout
d’abord je tiens à remercier Madame Sylvianne Spitzer d’avoir si
aimablement répondu à cette série de questions, envoyées et renvoyées
par courriel interposé. Je précise qu’il n’est en aucune façon question
d’instrumentaliser la démarche de « SOS HOMMES BATTUS » ; cet entretien
n’ayant aucun autre but que celui de faire connaître une réalité trop
peu développée aujourd’hui dans notre pays. Selon la formule consacrée,
la violence niée fait d’autant plus mal et aucune raison ne justifie le
silence autour de la violence conjugale faite aux hommes.
Le lecteur, que cela intéresse, prendra aussi la peine de se renseigner sur l’association « SOS HOMMES BATTUS » à travers son blog et son forum,
dans lequel des femmes interviennent aussi, toujours à propos ; le but
n’étant pas d’opposer les hommes aux femmes dans une course à la
victimisation.
Je laisse la parole à Madame Spitzer, à travers l’entretien précité :

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos activités professionnelles et associatives ?
Eh bien comme vous l’avez écrit, je suis psychologue en libéral. Je suis par ailleurs criminologue et j’effectue une recherche doctorale dans le domaine du profilage criminel.
Si je me recentre sur les victimes, j’en reçois en consultation dans le cadre d’agressions diverses : agressions physiques, abus sexuels, violences conjugales… J’ai créé en janvier 2008 l’association SOS Hommes Battus afin de proposer une aide psychologique aux victimes de la violence au féminin.
- Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en place l’association SOS Hommes Battus ?
Tout simplement parce que dans le cadre de mes consultations, j’ai rencontré des couples au bord de la séparation qui s’inscrivaient dans cette problématique particulière. Lorsque j’ai voulu orienter ces hommes vers une aide plus adéquate, je me suis aperçue qu’il n’existait rien : ni association, ni structure, ni tout simplement prise en compte de ces hommes victimes de la violence de leur compagne.
J’ai donc décidé de créer mon association afin d’apporter un soutien psychologique à ces hommes perdus, terrorisés, torturés psychologiquement mais parfois aussi physiquement, via une permanence téléphonique. Il s’agit pour eux de trouver -enfin- quelqu’un qui les écoute parler de leur situation, de quelqu’un qui peut accepter qu’ils pleurent et surtout de trouver une personne au moins qui les croit et ne les dénigre pas. Il s’agit alors de leur montrer qu’ils peuvent regagner leur dignité.
-Existe-t-il une définition admise de la violence conjugale ?
Oui bien sur il y a celle du code pénal (La loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 modifiée par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006).
La reconnaissance de la violence conjugale concerne depuis peu non seulement les couples mariés, mais aussi les personnes déjà séparées (les « ex »), les concubins et les pacsés.
Néanmoins on ne parle que de violence conjugale au singulier car seule les atteintes volontaires à la personne (coups et blessures et viols) sont prises en compte. En effet, elles se voient et sont faciles à prouver par un simple constat médical.
Mais cela reste très restrictif. Rien sur les autres types de violences conjugales : psychologique, financière, sexuelle, sociale ….
- Y a-t-il une particularité dans les violences faites aux hommes dans le couple ?
Oui. Je constate que dans les couples où c’est l’homme qui est victime il existe une forte violence psychologique. Cela peut durer des années avant que la compagne passe à "l’agir" de la violence physique. L’homme déstructuré psychiquement n’est plus en état d’anticiper et de réagir. C’est alors que les coups, les morsures, les coups de pieds peuvent pleuvoir.
Alors que dans les couples où c’est la femme qui est victime, cela débute souvent par la violence physique. Il s’agit d’installer le souvenir de la souffrance physique. La violence psychologique s’installe par la peur des représailles puis la déstructuration de la personnalité se réalise petit à petit.
En fait, les « méthodes » sont les mêmes mais elles n’apparaissent pas dans le même ordre chronologique.
- L’on admet généralement que les statistiques de la violence conjugale sont en dessous de la réalité concernant les hommes, en France. Selon vous, quelle estimation se rapproche le plus de la réalité ? Existe-t-il des statistiques plus fiables dans d’autres pays et qui pourraient s’appliquer au nôtre ?
En France difficile de savoir exactement.
On constate simplement que le nombre de plaintes de femmes victimes à tendance à diminuer alors que les plaintes des hommes victimes sont en légère augmentation. Si l’on se fie aux différentes études sur le sujet, le chiffre noir des statistiques des hommes victimes est important.
En Amérique du Nord, les études ont démontré que les meurtres au sein du couple étaient en diminution et cela depuis le début des années 90 (début de la communication de prévention sur la violence au sein du couple). Les Canadiens ont dès 1999 lancés de grandes études statistiques sur le sujet. La plus importante à ce jour est celle de 2007 où les chiffres parlent d’eux mêmes. Il y est même fait référence à 196 études et analyses réalisées entre 1997 et 2007 dans le monde entier qui montrent que la violence exercée par les femmes envers leur compagnon est égale, et parfois même plus élevée, que celui de la violence commise par les hommes.
- Un homme a généralement plus de force qu’une femme. Comment explique-t-on qu’un homme puisse recevoir des coups d’une personne plus faible, sans réagir, sur des délais parfois très longs ?
Tout d’abord de façon générale, les hommes –tout comme les femmes- ne se mettent pas en couple avec la volonté d’entrer dans la violence. Chacun de nous est capable d’être violent. On nous a appris à nous retenir, à user de notre intelligence pas de notre force musculaire. On sait qu’on peut le faire, mais on préfère régler nos conflits sociaux comme amoureux d’une façon plus « intellectualisée ».
Enfin, ces femmes violentes savent utiliser la loi pour elles. En fait parfois elles n’attendent que ça : que leur compagnon réagisse. Cela leur permettra de déposer plainte pour violence conjugale s’il frappe à son tour ou abandon de famille s’il part du logement et avec toutes les sanctions immédiates que cela sous-entend : garde à vue, interdiction d’approcher du foyer, interdiction de voir les enfants…. Elles le disent d’ailleurs à leur compagnon. Donc s’il réagit, il se met immédiatement dans son tort. Les représentants de l’ordre tout comme la Justice portant plus de poids aux dires d’une femme qu’à celle d’un homme.
- Lors d’un précédent article sur ce sujet, des intervenants se sont offusqués de ce que l’homme puisse être décrit comme étant victime d’une femme, rappelant combien les femmes sont victimes des hommes, par trop souvent. Comment accueille-t-on votre association d’une manière générale ?
Les associations d’aide aux femmes victimes de violence conjugale font comme si SOS Hommes Battus n’existait pas. J’ai demandé à plusieurs d’entres elles de bien vouloir mettre un lien de leur site vers le mien, cela m’a toujours été refusé.
Le fait que l’association soit présidée par une femme fait que nous ne sommes pas attaqués de toute part. C’est plus « sournois ». Certaines féministes ou femmes victimes de violences n’hésitent pas à contacter les étudiant(e)s qui travaillent sur le sujet des hommes victimes en les insultant et en les accusant de « traîtrise ».
L’association fait néanmoins son chemin par le bouche à oreille : services de mairie, assistantes sociales, éducateurs, médecins… donnent nos coordonnées.
- L’association se retrouve sous la forme d’un blog, avec un forum. Dans le cadre de l’association, vous tenez aussi une permanence. Recevez-vous de nombreux appels ?
Oui, en tout cas par rapport à ce que j’en attendais !!
Au départ je n’ai pas décompté ni pris note des appels car je ne pensais pas avoir affaire à un tel phénomène. J’ai du commencé à prendre en compte le nombre d’appelants à partir de mars 2008. A l’heure où j’écris la permanence de SOS Hommes Battus a reçu plus de 450 contacts, par téléphone mais principalement par email. Soit environ 2 contacts par jour. Étrangement, il n’y a pas d’appel ou d’email pendant les périodes de vacances scolaires.
- Selon vous, est-il nécessaire que les infrastructures évoluent, par exemple avec des centres d’accueils à l’égal des femmes et pour quelles raisons ?
Il ne faut pas qu’elles évoluent, il faut qu’elles soient créées !! Aujourd’hui il n’existe rien pour les hommes victimes de violences conjugales. Le 3919 est pour les femmes victimes. Les hommes y sont reçus sèchement et on ne leur propose pas grand chose. Les centres d’accueil pour victimes de violences conjugales ne sont pas adaptés pour les hommes. Les rares qui acceptent d’en recevoir hésitent car cela pose problèmes pour les femmes victimes de croiser si tôt un homme, ce qui peut se comprendre.
- Existe-t-il des infrastructures pour les hommes, dans certains pays européens, ainsi que dans le monde ? Quels sont les ressorts qui en ont permis la mise en place ?
Oui, en fait les violences conjugales faites aux hommes sont prises en compte dans d’autres pays.
D’abord citons l’Allemagne qui a mis en place des structures d’accueil, certaines pour les hommes victimes mais d’autres aussi pour les femmes agresseuses.
La Suisse, bien qu’encore peu concernée par cette problématique, vient néanmoins d’ajouter à son foyer d’accueil pour les femmes victimes de violences conjugales, une "aile" pour accueillir les hommes victimes.
Et c’est tout en Europe.
La problématique des hommes victimes de violences conjugales est très prise en compte dans certains pays d’Afrique (Kenya, Ouganda, Tanzanie, Malawi, Zimbabwe, Botswana, Namibie, Afrique du Sud, Mozambique, Rwanda et Burundi). Contre toute attente, dans ces pays, les violences faites aux femmes ne sont pas considérées voire sont niées, alors que celles faites aux hommes sont étudiées et donnent lieu à des actions de prévention ou d’accueil.
En Afrique du Nord, les violences conjugales dont les hommes sont victimes sont extrêmement dénoncées. S’il n’existe pas d’institution pour les suivre, il existe des actions de prévention et de communication sur le sujet (Algérie, Maroc, Iran...).
Aux Etats-Unis, chaque état a mis en place des structures d’écoute et d’accueil pour les hommes victimes. Les dernières études menées par le "Department of Justice" chiffrent 1,3 millions de femmes et 835 000 hommes victimes de violence conjugale physique.
Enfin, bien sûr, au Canada et au Québec sont réalisées de très nombreuses études sur les violences conjugales. Il existe une communication gouvernementale, des associations, des institutions pour aider les hommes victimes de violences conjugales. D’autant plus que leurs études tendent à démontrer que la violence conjugale envers les hommes est plus fréquente que celles envers les femmes !
-Cette violence conjugale envers les hommes est-elle un fait nouveau ?
Non. Si vous regardez bien les images d’Epinal vous constaterez que ce n’est pas nouveau. Qui n’a jamais vu la représentation d’une femme armée d’un rouleau à pâtisserie cachée derrière la porte en attendant son mari ? Qui n’a jamais entendu dire que l’homme ne fait pas la loi chez lui ? Mais cela était censé faire rire car on était dans la caricature sociale avec des rôles soit disant inversés : un homme faible et une forte femme, mais en fait cela ne faisait que mettre au grand jour les différences entre ce qu’on montrait à l’extérieur et ce qui se passait lorsqu’on arrivait chez soi.
- Les victimes de violence conjugales sont-elles des personnes plus vulnérables que d’autres, à travers leur passé affectif par exemple ? Ont-elles tendance à se sous-estimer par rapport à leur compagnon avant même que violence ne leur soit faite ?
Ce n’est en rien un problème d’estime de Soi. Mais vous avez raison de le souligner, il existe un problème affectif. On est face à des hommes qui aiment les femmes, leur mère, leur compagne. Ils les mettent au dessus de tout. J’ai maintes fois été surprise de constater que les hommes victimes regardaient leur compagne comme « une madone sur un piédestal ». L’homme victime admire sa femme, est prêt à tout pour elle, il est à genoux devant elle. Il finit par céder à ses tous ses caprices, à toutes les exigences. C’est d’ailleurs souvent lorsque l’homme n’est plus en moyen de répondre à une exigence (problèmes financiers par exemple) que la femme devient ouvertement agressive voire passe à l’acte.
- Au-delà de la personnalité de chacun, existe-t-il des éléments déclencheurs à la violence dans le couple ?
Oui, mais dire cela c’est ne pas prendre en compte le passé de l’agresseuse.
Les études canadiennes le démontrent et les témoignages que je reçois le confirment : ces femmes semblent souvent atteintes de troubles de la personnalité avec des incapacités à supporter la frustration, avec des crises de colère aiguës, issues d’une famille dans laquelle la violence par les hommes (père ou frère) est déjà présente. Elles ont été des adolescentes mal dans leur peau, agressives ou violentes.
Contre toute attente, ces femmes se « calment » avec l’accès au travail ou à l’autonomie. Dès la mise en couple, certains traits réapparaissent, mais comme cela reste du domaine de ce que le conjoint qualifie "d’acceptable", cela passe.
Si toutes les situations ne se ressemblent pas, je note néanmoins une forte mise en place de la violence psychologique tout de suite après la naissance du premier enfant.
Le passage à la violence physique s’effectue souvent lorsque le compagnon se rebelle, envisage de partir ou de divorcer. C’est alors clastique.
- Il se dit parfois que la violence conjugale envers les femmes découle d’une société patriarcale. Avez-vous conscience de ce que votre initiative peut remettre en cause certaines idées sur notre société ?
La seule chose que je remets en cause c’est la vision féministe actuelle qui veut que la femme ne soit qu’une victime soumise dès sa naissance. A croire que les femmes ne sont pas capables d’être dominantes, qu’elles ne sont pas dans "l’agir", qu’elles ne peuvent avoir de la violence en elles. Les faits divers nous démontrent tous les jours qu’il n’en n’est rien. De lointains souvenirs nous ramènent aux comportements des gardiennes de camps pendant la guerre et plus près de nous les photos prises à Guantanamo, nous montrent que les femmes agressent, torturent autant que les hommes.
En poussant le raisonnement au bout, on peut se dire que reconnaître qu’un homme puisse être victime d’une femme, c’est reconnaître l’égalité des femmes dans leur liberté d’action et de pensée.
- Qu’attendez-vous du rapport de la mission du député Guy Geoffroy, sur la violence psychologique dans les rapports conjugaux, qui sera rendu durant le mois de juin ?
Pas grand-chose, j’en ai peur. SOS Hommes Battus a bien sûr écrit à Monsieur Geoffroy. La réaction de son staff a été de me demander des données sur les violences faites aux hommes. Comme s’ils n’avaient pas accès aux statistiques police et gendarmerie !! En tout cas SOS Hommes Battus n’a pas plus été convié à participer aux réflexions de la mission qu’aux Assises sur les violences intra-familiales ! On ne peut qu’espérer que la cause des hommes victimes de violences conjugales sera considérée.
- Enfin, quel conseil donnez-vous aux victimes de violences conjugales ?
Partir !!!
C’est facile d’écrire cela car la victime de violences conjugales est dans le déni de sa situation. Hommes comme femmes victimes se sentent coupables de ce qui leur arrivent. La prise de conscience est parfois longue. De plus, ces victimes n’ont plus l’habitude de réfléchir et d’agir par eux-mêmes. Or avant même de fuir la situation critique il leur faut avant tout retrouver les capacités d’action propre.
C’est alors seulement que le processus de mise à distance peut se mettre en place. Soit la personne qui agresse est accessible aux soins et on peut espérer que cela s’arrange. Soit elle ne l’est pas (par sa volonté tout simplement en général) et il faut accepter de quitter une personne destructrice. Pour se reconstruire et pour retrouver sa dignité.
- Je tiens à rappeler que vous avez également écrit un guide sur les hommes battus. Comment peut-on se le procurer ?
Oui, c’est un petit guide d’une vingtaine de pages que j’ai rédigé, que l’on peut glisser dans sa poche, qui explique ce que sont les différents types de violences conjugales, comment savoir si on est en situation d’abus et qui donne aussi quelques « trucs » pour s’en sortir.
Il est disponible uniquement via le site de SOS Hommes Battus ou sur mon site professionnel.
39 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON