Qu’est-il passé par la tête du docteur Nicolas Bonnemaison ? Les lits manquaient-ils tant dans son unité de soins qu’il fallait passer à trépas les patients jugés trop mal en point ? Etait-ce l’épuisement psychique à voir, chaque nouvelle nuit, arriver des personnes âgées esseulées dont personne ne savait plus que faire ? Personne ne sait encore ce qui a poussé ce médecin à euthanasier des patients admis aux urgences de l’hôpital de Bayonne.
Le plus inquiétant dans cette affaire ne sont pas les actes isolés du docteur Bonnemaison, quand bien même ils seraient criminels… Le plus inquiétant, c’est l’indéfectible soutien dont bénéficie aujourd’hui le médecin-urgentiste. Des dizaines de milliers d’anonymes levés en masse, défendant corps et âme un médecin dont ils ne connaissent rien, à peine la réalité des actes qui lui sont reprochés. Peu importe !... Ils se sont levés comme un seul homme, magnétisés parle nouveau mot d’ordre : euthanasie !
Euthanasie… euthanasie… euthanasie… C’est devenu un mot magique aujourd’hui… Presque une incantation, comme une prière qui effacerait tout : la souffrance des mourants, celle de ceux qui restent et peut-être même la réalité de la Mort…
Les militants de l’euthanasie partagent tous le même secret. Un secret qu’ils avouent à mots couverts quand une affaire d’euthanasie comme celle de Bayonne délient les langues. Les témoignages et les messages d’amitié postés au Docteur Bonnemaison racontent tous la même histoire : celle d’une mort ratée qui continue à hanter les vivants. Le fantôme d’une mère mal morte, un père dont le râle de l’agonie les empêche toujours de dormir, un fils dont on soupçonne qu’il se retourne encore dans son cercueil… Tous ont un compte à régler avec la Mort. Et tous, d’une manière ou d’une autre, sont rongés par la culpabilité.
Culpabilité de s’être défilé face à la Mort qui vient, de n’avoir pas été à la hauteur, de n’avoir pas su trouver les mots pour parler au mourant, de n’avoir pas eu le Courage d’aider l’autre à mourir. Aider quelqu’un à mourir ne consiste pas à le tuer mais à faire un bout de chemin avec lui dans le Noir, trouver les mots ou les caresses qui apaisent, le regarder en face, lui pardonner, car très souvent c’est le Pardon que réclament, sans oser le demander, ceux qui n’arrivent pas à mourir.
Aider un être à mourir demande beaucoup d’Amour, de la Joie et de l’Espérance. Et de tout cela, très souvent, nous manquons. Au lieu d’avouer la détresse et l’effroi dans lesquels nous plonge la venue de la Mort, au lieu d’oser demander de l’aide, on se tait, on ne parle que des souffrances insupportables du mourant, de l’indignité de son état, de l’acharnement thérapeutique du médecin.
On se laisse persuader que l’euthanasie est un problème strictement médical alors que c’est un problème de société, ce que nous savons, tous, au fond de nous. Exactement comme personne ne souhaite voir les décharges immenses où s’accumulent nos monceaux d’ordures ou la pollution que génère notre terrible société, nous ne voulons pas voir les corps de nos parents rongés par le cancer, nos grands-parents dégénérescents et tous ces gens âgés abandonnés dont plus personne ne veut. Et on voudrait que tout cela disparaisse vite et bien, sans un cri, sans un mot, afin que rien ne vienne troubler la fiction sur laquelle repose notre petite existence.
Bien que les héros de l’euthanasie tentent de nous persuader du contraire, on ne tue pas ses parents par amour, on ne tue pas son enfant par amour, on les tue parce qu’il leur en manque et qu’il arrive un instant où, épuisé, esseulé, on ne peut leur en donner plus. Si les 40 000 personnes qui soutiennent Bonnemaison s’étaient relayées jour après jour au chevet de Vincent Humbert, il est peu probable que ce garçon ait eu une telle envie d’être euthanasié. Il est peu probable que sa pauvre mère, manipulée par l’A.D.M.D., en soit venue à tuer son fils.
Pourquoi Marie Humbert n’a-t-elle jamais trouvé la Paix si en euthanasiant son fils elle accomplissait ce qui lui semblait juste en son âme et conscience ? Après qu’elle eut bénéficié d’un non-lieu, elle clamait sur toutes les chaînes de T.V : « On a trahi mon fils ! ». Que voulait-elle de plus ? Son fils était mort comme il le souhaitait et elle-même bénéficiait de la clémence de la justice.
La vérité est que comme tous les militants de l’euthanasie, Marie Humbert aurait souhaité être absoute de son geste, être libérée de sa culpabilité. Tous les militants espèrent qu’à travers une loi, l’Etat — érigé en Dieu — va les laver de leur « faute ».
La cause de l’euthanasie avance grâce au prosélytisme. On connaît le principe. Le prosélytisme consiste à soudoyer l’autre en flattant sa bassesse, en encourageant sa lâcheté. « Fais comme moi murmure le prosélyte. Si nous agissons tous de la même façon, cela deviendra la seule référence » ; « Soutiens-moi quand je souhaite la mort de mon vieux père ou de mon enfant malade et je te soutiendrai en retour quand l’heure intolérable sera venue pour toi ». Voilà, pourquoi en matière d’euthanasie reviennent sans cesse les mêmes questions insidieuses, celles qui jettent le trouble dans les esprits faibles : « Que feriez-vous à ma place ? ». Ceux qui douteraient encore des bienfaits de l’euthanasie sont invités à regarder sur Dailymotion d’atroces vidéos. On y voit des êtres à l’agonie qui souffrent le martyre nous laissant croire que c’est la seule réalité de la mort et que le l’unique réconfort consiste à avaler très vite un flacon de Nembutal.
L’euthanasie, c’est le crime de L’Orient-Express. Dans ce roman d’Agatha Christie, tous les personnages du wagon ont un intérêt secret à voir mourir la victime et tous, l’un après l’autre, vont lui asséner un coup de couteau. Ces personnages ressemblent aux 40 000 pétitionnaires rassemblés autour de Bonnemaison, pour un motif dont chacun, au fond de lui, a le secret. Dans le lot pourtant, il n’y en a pas un pour assumer réellement un assassinat ou un acte d’euthanasie. C’est pour cela qu’ils admirent secrètement Bonnemaison qui, quoi qu’il ait fait, est spirituellement le moins salaud d’entre eux. Tous, cependant, ils sont prêts à filer un coup de couteau à la victime désignée mais un seul coup, bien sûr, ce qui permettra à chacun de ne pas se sentir vraiment responsable de la mort donnée… On n’est pas très loin du vote par SMS… Libérez Vincent Humbert (ou Chantal Sébire) de sa souffrance ! A chaque vote, vous enverrez dans sa perfusion une petite dose de barbiturique.
Qui a tué ? Personne. Tout le monde. La société entière rassemblée. Se partager la responsabilité permet à chacun de ne pas se sentir responsable de la mort d’un être humain. L’euthanasie légalisée, c’est l’équation parfaite du prosélytisme : si nous sommes tous coupables, il n’y a plus de coupable, il n’y a donc plus de crime.
Anne-Sophie Benoit.