Faire le point sur la délivrance de la carte de séjour aux étrangers malades
L’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité n’avance que très très lentement en raison notamment de la multiplication sur certains points du texte d’échanges forts sympathiques pouvant parfois durer pendant plus d’une heure ; tout cela pour qu’au final chacun campe sur sa position.
Illustration parfaite avec un amendement proposé en commission des lois par le rapporteur Thierry Mariani concernant la question de la délivrance de la carte de séjour à un étranger malade ; une disposition qui est aujourd’hui l’article 17 ter du projet de loi.
Essayons le plus tranquillement du monde de s’intéresser à ce sujet.
Tout commence avec une loi signée en 1997 par Jean-Louis Debré visant entre autre à instaurer une protection aux étrangers gravement malades contre l’éloignement du territoire ; auparavant, cela dépendait surtout de la pratique et de la jurisprudence.
L’année suivante, Jean-Pierre Chevénement vient renforcer le dispositif en décidant de la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire conditionné au fait que l’étranger, gravement malade, vivant en France "ne puisse effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d’origine" ; tout cela étant détaillé au 11° de l’article L.313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Les décisions des juridictions administratives ont été le reflet d’une difficile application harmonisée du texte en raison le plus souvent d’une divergence de point de vue quant à l’interprétation à donner au fait de pouvoir effectivement bénéficier du traitement approprié dans le pays d’origine.
En droit européen, l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants. Le risque réel que le renvoi du requérant soit contraire doit être, selon les juges de Strasbourg évalué "à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire, et notamment des informations les plus récentes sur la santé du requérant" (CEDH, Bensaïd contre Royaume-Uni, du 6 février 2001).
De plus, la maladie du requérant (psychologique ou physique) doit atteindre "un stade avancé ou terminal" (CEDH, Arcila Henao contre Pays-Bas, du 24 juin 2003) et l’interruption du traitement doit représenter "une menace directe pour sa vie" (CEDH, Amegnigan contre Pays-Bas du 25 novembre 2004).
Enfin, le seul fait qu’en cas d’expulsion l’état de santé de l’étranger se dégraderait considérablement et que son espérance de vie s’en réduirait significativement, "n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 "
Pas si protectrice que ce qu’on veut nous dire la Cour européenne des droits de l’homme.
Toutefois, le Conseil d’Etat a, dans une décision du 7 avril 2010, posé une interprétation que Thierry Mariani qualifie à plusieurs reprises de "très généreuse".
En l’espèce, la haute juridiction était amenée à statuer à la demande du ministre de l’immigration et de l’identité nationale suite à l’annulation par une cour administrative d’appel d’un jugement du tribunal administratif de Paris du 12 octobre 2007 et de l’arrêté du préfet de police du 26 juin 2007 refusant de renouveler le titre de séjour d’une femme de nationalité étrangère atteinte d’un diabète insulinodépendant ; obligeant cette dernière à quitter le territoire français pour rejoindre la Côte d’Ivoire.
Les juges justifiaient leur décision en retenant que l’existence de la maladie nécessite "une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité et que la personne concernée n’est pas en mesure, compte tenu du coût total du traitement et de la faiblesse de ses revenus, de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays."
Le ministre reprochait alors entre autre à la cour administrative d’appel de ne pas s’être limité à vérifier si un traitement approprié à l’état de santé était disponible dans le pays d’origine.
Ce qui montre de manière manifeste l’existence de deux interprétation différentes concernant l’effectivité du bénéfice du traitement approprié :
d’un côté, on y voit la recherche d’un accès effectif au traitement en prenant notamment en compte l’existence de ressources financières suffisantes ;
de l’autre, on se limite à demande la vérification de la simple disponibilité du traitement dans le pays d’origine.
C’est jouer sur les mots diront sans doute certains mais rares sont les cas où le traitement n’est pas disponible dans le pays d’origine ; en revanche, il est beaucoup plus fréquent que celui ne soit accessible qu’à une infime partie de la population et que ceux qui ont besoin en soit privé.
Le Conseil d’Etat repoussa l’argumentation du ministre et se rangea du côté de la cour administrative d’appel.
Une décision que certains, les associations venant en aide aux migrants en aide, voient au contraire comme un rappel de l’esprit de la loi.
Suite à cela, Thierry Mariani a décidé, à l’occasion de l’examen par la Commission des lois du projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, d’introduire une modification à l’article L.313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : remplacer au 11° les mots "qu’il ne puisse effectivement bénéficier" par les mots : "de l’inexistence" ; ce qui revient tout simplement à remettre en cause l’interprétation de la juridiction administrative en lui préférant celle développée par monsieur le ministre.
Là aussi, on ne fait que jouer sur les mots me diront certains ;
je ne reprendrais pas mon petit couplet mais pour de nombreuses organisations, cette modification est très problématique pour au moins deux bonnes raisons :
- si le traitement existe dans le pays, rien ne garantit que l’individu puisse effectivement y avoir accès
- l’interruption du traitement peut avoir de lourdes conséquences
c’est pourquoi elles demandent aux médecins et aux parlementaires de s’y opposer ;
un message repris et amplifié par de nombreux députés au cours de la discussion sur le texte.
Dès le premier jour, le rapporteur, accessoirement auteur de cette trouvaille, a justifié son choix en refusant toute caricature. Il a en effet fait remarquer à destination de ses collègues députés qu’il avait la faiblesse de penser que la loi se décidait encore au parlement (surtout quand la traduction qui en est faite par les juges ne plaît pas diront certains) en ajoutant que, en ces temps où il faut faire des économies, il laisse le soin aux opposants de venir expliquer leur choix aux français :
"Je ne pense pas que la sécurité sociale française puisse soigner toute la misère du monde. Ou alors il faudra dire aux Français, quand on déremboursera des médicaments ou qu’on réduira certaines prestations de la sécurité sociale, que cela s’impose pour préserver l’équilibre, certaines prestations ayant été ouvertes trop largement."
De nombreux amendements de suppression ont bien entendu été déposés.
Quant au gouvernement, il proposa, en considérant que la rédaction de l’article 17 ter était trop restrictive, de remplacer "l’inexistence" par "l’indisponibilité" ; chacun appréciera la nuance...
Tant pis pour ceux qui regrettent les pauvres débats de sémantique.
Certains parlementaires ont alors fait remarquer, à juste titre selon moi, que cette formulation était encore plus malheureuse et qu’elle allait sûrement donner lieu à encore plus de difficultés s’agissant de son interprétation ; une volonté délibérée diront sans doute certains.
L’article 17 ter accompagné de la modification du gouvernement a été adopté à une très courte majorité.
Ne restes plus qu’à voir ce qu’en feront les sénateurs et, si le texte entre en vigueur en l’état, les premières décisions de justice.
Terminons-en avec quelques mots au sujet d’un débat que j’avoue avoir eu du mal à suivre jusqu’au bout.
Peut-être qu’en l’exposant maintenant j’y verrais plus clair.
Il me semble avoir entendu l’existence d’une subtilité se dégageant du texte en réponse à ceux qui soutiennent que l’article litigieux va conduire ne quasiment plus soigner les étrangers malades, qu’on va les renvoyer dans leur pays en prenant le risque qu’ils meurent ou que l’ état de santé s’aggrave...
La modification ne fait que préciser les conditions pouvant permettre à un étranger en situation irrégulière de faire valoir la dégradation de son état de santé et la nécessité d’une prise en charge médicale, à laquelle il n’aurait pas accès dans son pays d’origine, pour solliciter la délivrance d’un titre de séjour.
Ce qui ne voudrait pas forcément dire que l’étranger en question se trouve de ce fait dans l’obligation de quitter le territoire mais simplement qu’il ne peut bénéficier d’un titre de séjour et des avantages qui l’accompagnent.
C’est en tout cas ce que laisse penser la lecture des articles L. 511-4 10° (pour l’obligation de quitter le territoire et la reconduite à la frontière) et L. 521-3 5° (pour l’expulsion) qui prévoient l’interdiction de mesure d’éloignement pour "l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi."
Notons toutefois que l’article 26 du projet de loi envisage de supprimer la référence à la reconduite à la frontière de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
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