Le quartier de la Villeneuve de Grenoble, lieu des récentes émeutes urbaines, a fait l’objet de deux articles descriptifs très détaillés dans Libération, articles d’ambiance, consacrés au quartier ou s’exprimant en son nom, et non simples récits d’émeutes.
Le premier est paru le 20 juillet sous la plume d ’ Alain Manach, Président de la Maison des habitants de la place des Géants à la Villeneuve. Sous le titre
"Villeneuve, la vie sous les hélicos", l’auteur y restitue involontairement une certaine ambiance délétère en reprenant à son compte le discours de victimisation qui parait à son aise dans le quartier
Le second article , signé Alice Géraud, est paru le 22 juillet 2010 et s’intitule
"A Grenoble, la cité modèle rattrapée par la précarité" ; son sous-titre en indique la ligne directrice :
"Qualité du bâti, tissu associatif... La Villeneuve, théâtre de heurts le week-end dernier, n’est pas un quartier à l’abandon. Mais le chômage et l’érosion de la mixité sociale ont sapé l’idéal originel.’"
Ce second article, volontairement ou non, met à mal l’idéologie de victimisation d’une population, dont une partie a défendu le braqueur tué. Il nous montre, non une cité à l’abandon mais un quartier modèle, construit dans les années 1970 comme une utopie de cité idéale, proche du centre ville, auquel il est relié par un tramway. Le quartier offre une architecture de qualité et il est bien entretenu. Un lac embellit les espaces verts, et sa faible profondeur permet aux enfants de barboter. Tout au plus pourrait-on lui reprocher, sous l’angle architectural, la trop grande présence de coursives qui facilitent la fuite en cas de course-poursuite avec la police.
Tous les équipements sanitaires et sociaux sont présents, y compris une maison médicale pratiquant une médecine lente, et auquel les habitants ont largement recours. Pour un oui pour un non, m’a-t-il semblé à la lecture de l’article, dont l’intention n’est cependant pas de dénoncer cet abus, mais les faits parlent d’eux-même. L’article nous montre une mère de famille qui vient consulter suite au "traumatisme" que provoquent en elle les opérations des "Robocop", c’est à dire de la police. Les jérémiades sur ce thème sont prises si au sérieux qu’une cellule d’aide psychologique a été mise en place. Quand on pense à tous les vrais malades qui sont soignés a minima, on enrage ...
D’où proviennent ce chômage et cette absence de mixité sociale qui, d’après l’auteur, ont sapé l’idéal originel ?
En réalité, rien n’explique que le chômage soit plus important qu’ailleurs dans Grenoble, puisque le quartier est relié au centre ville par un tramway.
Quant à l’absence de mixité sociale, certains l’ont vue venir peu à peu. Au départ, c’était seulement des petits indices. Par exemple, telle famille, française de souche, partait. On entendait tel de ses membres se plaindre de s’être fait traiter de "colon", mais on y prêtait peu d’attention. Le racisme anti-français, par définition, c’est peu de chose, ça ne vaut pas la peine qu’on le relève quand on l’observe, donc, ça court longtemps de façon souterraine, et au bout d’un moment, on est tout étonné de constater que le quartier est ghettoïsé.
L’article attribue à Alain Carignon les débuts d’une politique consistant à multiplier les attributions de logements à des familles nombreuses lourdes, politique dont les inconvénients finirent par être perçus avec retard, mais qu’il fut impossible de corriger, car plus personne ne voulait plus s’installer à la Villeneuve.
L’article d’Alain Manach nous montre involontairement, par l’exemple qu’il offre lui-même, comment un encadrement démagogue peut installer une ambiance de victimisation allant jusqu’à revendiquer implicitement un droit à l’impunité. L’auteur est directeur d’une maison de quartier : il assure donc un certain rôle d’encadrement, ou du moins, c’est sans doute ce que croit la municipalité qui subventionne cet équipement.
On est abasourdi de voir comment Alain Manach relate le braquage à l’origine des émeutes en rejetant la faute sur la police.
Voici comment est décrit le démarrage de l’équipée des braqueurs :
"Ya deux mecs, des bandits, des gangsters, pas des petits voyous mais des gars qui ont de l’expérience, diplômés par les séjours en prison. D’ailleurs ils sont déjà fichés pour des coups tordus, des braquages. Ils sont en manque de quelque chose, sans doute d’une raison de vivre, mais laissons cela : pour l’instant ils manquent de tunes. Comme on dit à cette époque de l’année, il faut assurer les vacances.’
Pauvres chéris à qui il manque une raison de vivre ... Les responsables des émeutes sont bien évidemment les policiers :
"Les flics savaient qu’ils étaient armés, prêts à tout, à mettre en jeu quinze ans de trou pour un braquage. Pourquoi ne pas faire plus classique, plus fin ? On piste, on suit et on interpelle, on calme le jeu. Pour 20 000 euros, prendre le risque de mettre le feu aux poudres dans un village si compliqué ? Eh bien, si. Ce mort a foutu la merde dans mon village. Pour moi les flics n’ont pas fait correctement leur travail, ce ne sont pas des bons professionnels ou alors ils ont des ordres. Ils ont réussi à faire bouger une soixantaine de jeunes, ni bandits, ni gangsters, mais qui aiment s’affronter aux flics. Les dealers, pas fous, ne veulent pas se faire piquer pour une bagnole en feu."
Manach aurait une autre solution : embaucher plein d’éducateurs. Oui mais :
"Et alors maintenant ? Comment on fait ? Les enfants du centre de loisirs de la Maison des habitants ont entendu, cette nuit encore, les hélicoptères. Ils voient les 300 mecs postés aux frontières du quartier. Les animateurs du centre de loisir, qu’on a de plus en plus de mal à embaucher, subissent la pression de leurs parents (qu’est-ce que tu fous dans ce quartier ?) et celle des gamins hyper tendus ! "
Vous avez peut-être remarqué cette phrase, que Manach dit en passant, sans qu’on sache s’il en mesure la gravité : les animateurs, que l’on suppose venus de l’extérieur, se voient demander "ce qu’il foutent dans le quartier", et ceci, d’après la structure grammaticale de la phrase, sous la pression des parents. Oui, ce sont donc, semble-t-il, les parents, et pas seulement quelques gamins mal élevés, qui entendent contrôler la composition de la population du quartier.
Qui donc est responsable de la ghettoïsation ?