Homosexualités (1)
Le plaisir sexuel quelle qu’en soit l’orientation n’est pas uniquement centré sur l’acte en lui-même. Il est un composé hybride faisant entrer en ligne la culture, une éducation, l’appartenance à une classe sociale et bien souvent se réfère à une morale ainsi qu’à une religion. Et si en apparence seuls les individus engagés dans une relation physique ou sentimentale sont concernés par celle-ci, ils s’aperçoivent très rapidement que malheureusement, l’environnement, la famille, le voisinage interviennent et interfèrent en permanence dans leur relation, souvent d’ailleurs pour la polluer, la critiquer ou la contrarier. L’homosexualité n’est pas épargnée par ces ingérences, bien au contraire. Si le terme employé ici en titre est au pluriel, c’est que cette orientation sexuelle se décline de manière si polymorphe qu’il serait difficile d’en parler de façon univoque sans tomber dans le cliché et le raccourci.
En dehors du monde grec antique, l’homosexualité est généralement réprouvée dans l’immense majorité des cultures du monde entier à l’exception de quelques rares sociétés polynésiennes et asiatiques non islamisées qui la tolèrent avec plus ou moins de bienveillance. Selon les périodes de l’histoire, elle a été acceptée à minima, franchement tolérée, bien que regardée comme contrenature ou sévèrement combattue, voire persécutée au nom de la morale ou de la religion. De nos jours, elle est de plus en plus souvent acceptée et protégée légalement dans un petit nombre de nations occidentales, au bas mot, une bonne trentaine de pays, même si l’opinion publique de ces états ne partage pas toujours l’avis des législateurs et de la presse. Il ne s’agit pas ici de faire une histoire universelle et exhaustive du plaisir homosexuel, mais plutôt d’aborder le domaine du plaisir sous cette perspective. L’histoire du plaisir, quel qu’il soit est intimement lié à celle de sa répression. Comme pour le tabac, l’alcool, les drogues et l’hétérosexualité, il est indéniable que l’homosexualité subit ou a subi elle aussi tout un arsenal de lois, de discriminations, de brimades et d’ostracisme.
De prime abord, il semble facile de définir l’homosexualité comme une orientation sexuelle dirigée préférentiellement si ce n’est exclusivement vers des individus du même sexe. Mais qu’y a-t-il de commun entre un couple stable et plan-plan qui fait ensemble ses courses au supermarché en se chamaillant comme des hétéros autour du caddy, des amateurs de back-room et de cuir, des folles hallucinées sorties tout droit de la Cage, un tapin qui fait des passes occasionnelles pour de l’argent, un père de famille avec une double vie cloisonnée et un célibataire inverti qui rase les murs dans le quartier des gares à la recherche d’un jeune roumain mineur et clandestin pour une fellation furtive ? Parler d’une homosexualité homogène et monolithique serait aussi ridicule que de mettre sous le même plan Roméo et Juliette, Madame Bovary, Othello et Desdémone, Bonny and Clyde et Monsieur et Madame Durand qui fêtent leurs noces d’or au fin fond de la Brie quand on veut parler d’hétérosexualité.
Mais la presse et la télévision ont souvent tendance à mettre en avant des personnages spectaculaires, caricaturaux et peu représentatifs. Ce qu’il est normal de traiter au niveau de la fiction littéraire et cinématographique pour donner du piquant et de l’imprévu, donne une image faussée quand elle est reprise par la presse dite d’information. Les clichés en tenues extravagantes et provocatrices des Gay Pride doivent être pris comme des images de carnaval, hélas cette représentation est répétée, hypertrophiée et fantasmée. Elle fausse la perception de ceux qui ne connaissent rien à l’homosexualité. Réduire l’homosexualité à la Cage aux folles et à la Gay Pride, c’est à peu près comme comparer tous les hétéros avec Aldo Maccione. Ainsi, la chanson de Charles Aznavour, Comme ils disent, bien que sensible et généreuse, ne reflète en rien le monde homosexuel, mais traduit les angoisses d’un travesti de cabaret, c'est-à-dire d’un ultra-minoritaire. Et au niveau sexuel, tous les homos sont loin de désirer se faire pisser dessus par un inconnu rencontré dans le quart d’heure, à la lueur blafarde d’un réverbère le long d’un quai ou d’un canal. Combien d’homosexuels en arrivent encore à tartiner une biscotte en tressautant et en poussant de petits cris aigus et ridicules ? Assurément très peu.
En dehors des « bêtes de sexe » qui existent aussi chez les hétéros, l’homosexuel ne se définit pas uniquement par sa préférence copulatoire, il a sa vie quotidienne, son travail, ses goûts, sa famille. Il ne faut pas tomber là non plus dans le travers féministe où l’on est en permanence femme, que l’on soit au bureau, au lit ou aux chiottes. Heureusement, ou malheureusement, l’être humain n’est pas en permanence en train de draguer ou de baiser. Trop d’hétérosexuels résument l’homosexualité à une caricature, hélas entretenue maladroitement par certains membres de cette « communauté » qui n’en est pas une. La vision d’une homosexualité de l’extrême, quelquefois véhiculée par certains homos, altère le regard sur des individus qui ne pratiquent pas tous le fist fucking. Une relation de couple homo ou non, surtout si elle est stable, n’est pas uniquement faite que de fornications acrobatiques ou tristement banales.
Longtemps clandestine, car réprimée, tout le monde à encore en mémoire le procès d’Oscar Wilde et son incarcération dans la geôle de Reading, les déboires judiciaires de Paul Verlaine et les plus récentes condamnations du Caire, l’homosexualité est dorénavant dépénalisée dans certains pays. Et par réaction, elle est quelquefois brandie comme un étendard arc-en-ciel à la face du monde. Le gai pied initial est malheureusement devenu un gai rite pour les nouveaux activistes homosexuels. Etre homo n’est ni une tare ni une qualité, mais un choix ou selon sa psychologie, une nécessité qui s’est imposée de soi. Il n’y a donc a priori aucune raison d’en être fier ou d’en avoir honte. L’acceptation de l’homosexualité, encore partielle, même dans la société urbaine occidentale, est encore trop récente pour qu’il ne persiste des débordements des deux côtés. Il est cependant plus facile d’exhiber son homosexualité à Paris qu’à La Courneuve, à Trappes ou dans un petit village. Mais comme pour tout ce qui est humain, ce sont toujours les plus bruyants et les plus revendicatifs qui montent au créneau tant pour encenser que pour fustiger. Etre heureux en couple ou lors d’une relation éphémère est aussi difficile pour un homo que pour un hétéro. Le bonheur n’est pas au coin de la rue, il n’est pas une évidence. L’homosexuel a une personnalité, il peut être jaloux, radin, violent, colérique, infidèle, routinier, pleurnichard ou de mauvaise foi, tous défauts qui mettent en danger chaque type de relation amoureuse ou sentimentale à un moment de son évolution quelle que soit son orientation sexuelle.
Comme en tout autre domaine, la provocation n’a de sens et d’intérêt que lorsqu’elle est de qualité, pertinente, judicieuse et drôle. Certaines manifestations d’Act Up passent à côté de leur cible et l’outing des personnalités contre leur gré est une dénonciation inadmissible. Demande-t-on à un député hétéro, à son charcutier ou au pompier de service s’il aime se faire sucer sous la douche ou s’il se masturbe sous la douche ? Comme toute minorité ayant derrière elle un lourd passif de répression, à l’instar de juifs, des noirs, des arabes, certains diraient des femmes, mais elles ne sont pas une minorité, les homosexuels sont désormais protégés instantanément par une chape morale qui en interdit dorénavant toute critique. Il faut raison garder, les homosexuels ne sont ni des punching-balls ni des porcelaines de Sèvres ou de Limoges dont il faut protéger obsessionnellement la fragilité. L’humour peut être gras et mal placé, mais il n’a jamais tué personne et l’individu ne doit pas vivre en permanence avec la victimisation comme mot d’ordre et la revendication aux lèvres, il doit accepter une part de critique et d’adversité. Il ne faut pas porter systématiquement plainte contre un commentateur qui déclare « Marvin Gaye, c’est pas de la musique de pédés » ou qui sort une vanne sur David Trezeguet et le chiffre 13, sinon les prétoires déborderont ! A l’opposé, et même chez ceux qui n’ont pas d’hostilité marquée vie à vis des homosexuels, l’homosexualité n’est souvent vue qu’au travers sa pratique sexuelle. Et de s’interroger sur la sodomie, les positions, les problèmes sanitaires et toute une histoire de sphincters, de lavements et d’hémorroïdes, bien évidemment en dehors de la présence des intéressés. Car curieusement, la plupart de ceux qui ont un discours apparemment libéré sur le sexe sont souvent très discrets sur le sujet quand il s’agit d’homos, en dehors de quelques blagues un peu salaces. Il faut avoir dépassé le niveau de la curiosité, de l’étrangeté et il faut le dire, de l’émotion suscitée, pour considérer l’homosexuel autrement que quelqu’un qui baise différemment. Très peu d’hétéros en fin de compte, ont de véritables amis homos. Amis et non vagues relations de travail ou de palier que l’on tolère par mimétisme et consensus dans un milieu bourgeois, urbain, éduqué et se voulant intellectuel et libéral. Avoir un ami homo, c’est parler aussi de sexualité avec lui, mais pas uniquement de cela.
Etre homosexuel au début de ce nouveau siècle est apparemment plus aisé qu’il y a encore quelques décennies, même si cela est loin d’être facile. Il existe encore des violences inadmissibles se finissant dans le sang, mais ce ne sont plus les procès et les condamnations de jadis. L’indignité qui frappaient les homos les plus inoffensifs est moins marquée ; Charles Trenet en fit les frais en son temps et subît des humiliations qui heureusement ne seraient plus concevables de nos jours. Ce que juges et magistrats devraient faire comprendre aux coupables d’actes homophobes graves, (pas pour de petites plaisanteries ou insultes), c’est qu’en démontant la tête au pied-de-biche d’un pédé, c’est avant tout la peur de leur propre homosexualité qu’ils ont voulu châtier. En effet, un hétéro bien dans sa peau, qui ne doute point de sa propre orientation sexuelle n’a aucune raison cohérente de ratonner un gay, ils ne boxent pas dans la même catégorie et n’empiètent pas sur le même terrain de chasse. Ceux qui draguent des homos dans les boites pour les attirer dans un traquenard sont certes motivés par l’appât du gain, mais pas plus que ceux qui agressent des vieilles à la sortie de la poste ou de la banque. Il en faut de l’abnégation criminelle pour se faire tâter les couilles dans un bar tout en restant souriant si ce n’est excité avant de faire sortir un type que l’on va ensuite dépouiller avant de le sodomiser avec un bâton ou une matraque. Les homophobes violents ont donc bien souvent une ambiguïté sexuelle qu’ils refusent d’admettre.
L’homosexualité féminine, sans être encensée par la société, est nettement plus tolérée quand elle n’est pas caricaturale. Les lesbiennes, quand elles n’adoptent pas des allures provocatrices des garçonnes, comme autrefois celles qui fumaient en costume d’homme et se coupaient court les cheveux, sont plus facilement intégrées dans la société en dehors de certaines banlieues ethniques. Elles sont nettement moins stigmatisées, probablement parce qu’elles ne sont pas et pour cause vues comme des rivales par les autres femmes et que les hommes dans leur majorité, pensent pouvoir un jour les « rééduquer ». Il en est de même au Moyen-Orient bien que cette pratique soit réprouvée par l’islam. Seules celles qui refusent obstinément le mariage de convenance sont quelquefois montrées du doigt quand elles ne sont pas obligées à convoler sous pression familiale. Le fantasme de beaucoup de mâles, véhiculé par les films pornos est de participer à leurs jeux érotiques. Ces naïfs semblent ignorer que le triolisme n’a rien à voir avec l’homosexualité féminine et se bercent d’illusion en regardant des fictions pornographiques. Malgré tout, les lesbiennes ont nettement moins de problème d’image dans la société occidentale contemporaine et s’attirent nettement moins de déboires que les gays.
Le plaisir amoureux homo doit être aussi rare qu’à l’état hétéro. Jalousie, craintes, mesquineries, coups bas guettent ces couples de la même manière et avec la même intensité que chez n’importe quels autres amants. Celui qui préfère la chaleur d’un corps, une étreinte furtive presque anonyme pour un plaisir débarrassé du sentimentalisme lénifiant choisira les saunas, les salons de massages, les back-rooms des bars interlopes avec l’éventualité encore bien réelle du sida, même si elle est moindre que dans les années 80 du fait d’une meilleure connaissance de la maladie. Les nihilistes de l’acte homosexuel se rabattront sur le bare-backing (la barbaque, la viande crue) avec la caution morale d’écrivains militants dont certains sont depuis décédés et d’autres sous trithérapie. Ces adeptes du risque absolu au hasard des rencontres veulent dépasser la simple satisfaction du rapport sans capote, il s’agit d’un choix délibéré dont les motivations sont multiples, entre autres braver la mort, chercher une forme de suicide, ou fatalisme sur un sort qui se présente comme inéluctablement tragique. Pour ces toréadors de la baise, bien que souvent non latinisants, le venin est bel et bien dans la queue ! L’intentionnalité de pénétration anale non protégée dépasse donc le cadre du simple confort sexuel et de la pure jouissance. Aux antipodes de tous les messages de prévention contre le sida, les barebackers, ceux qui chevauchent à cru, revendiquent leur choix comme une position philosophique voire métaphysique. Leur devise pourrait être « chacun pour son pied et t’avais qu’à demander avant ! ». Les aventures de ces serials baiseurs ont alimenté toute une littérature de type vériste appelée désormais autofiction, certains l’ont appliquée à la lettre et ont rejoint la cohorte des décès prématurés. Le livre contesté d’Erik Rémès, Serial Fucker, journal d’un barebacker a fait un temps scandale lors de sa parution. Quant à Guillaume Dustan, toute son œuvre est imprégnée de narrations autopornographiques selon ses mots, où la place des relations non protégées est centrale. Il n’a pu hélas continuer à alimenter la polémique qu’il avait créée face à Act Up du fait de son décès en 2005. Les plus prudents qui aiment cependant les petites orgies entre initiés s’adonneront au safer sex, moins risqué avec sa panoplie de lunettes de plongée, de gants et de masques pour se branler collectivement en évitant les projections sur la peau et les muqueuses. C’est contraignant, mais un peu plus festif que de consulter le bottin un dimanche de solitude. Notons cependant que cette sexualité précautionneuse possède surtout des adeptes aux Etats-Unis. Reste le recours à la prostitution occasionnelle. Mais tout comme pour les hétéros, les relations vénales ont aussi leur revers. Et le vieil homosexuel qui voit son compte en banque épuisé par un jeune micheton sans scrupule venu d’une banlieue défavorisée, peut regretter et ressasser ; « O rage, au désespoir, ô vieillesse ennemie, n’ai-je donc tant vécu que pour cette sodomie ! ».
L’exhibitionnisme et la revendication identitaire de certains homosexuels est une réaction à des années, des décennies et des siècles de silence, de crainte, de honte et de dissimulation. L’homosexuel cachait sa nature par nécessité, quelquefois même pour éviter la prison ou tout simplement sauver sa peau. Il était mal vu, vilipendé par la société et source de quolibets souvent même, rejeté par sa propre famille. Les récents soubresauts ne sont qu’une respiration un peu bruyante après une très longue apnée. L’homosexualité a subi la vindicte de la majorité morale, elle s’est vécue dans une hypocrisie de nécessité et a développé une culpabilité diffuse qui n’a pas encore disparue chez certains. La recherche plus ou moins consciente du châtiment se retrouve d’ailleurs dans des prises de risque vis-à-vis du sida ou la fréquentation de marginaux pouvant se montrer dangereux. Celui qui traîne dans des terrains vagues, des parcs déserts à la tombée de la nuit, des squats plus que glauques et qui fréquente des voyous sait qu’il peut se faire détrousser et molester par des individus sans scrupules. La traque de l’individu en chasse se termine quelquefois par des morpions ou une blennorragie, mais hélas aussi par le sida ou les urgences de traumatologie après une mauvaise rencontre. Celui qui recherche la compagnie des gros bras tatoués dans une zone industrielle sait consciemment que cela va mal tourner un jour. Mais le plaisir est peut-être aussi dans le hasard de ces rencontres hasardeuses. Le désir de punition de la « faute » et la pulsion de mort chez les homosexuels est de la même nature que chez toute personne en quête du plaisir extrême.
Enfin, l’homosexuel est, dans la tradition populaire, trop souvent regardé à tort comme un efféminé, un pleutre ou du moins un pusillanime. C’est rapidement oublier que les corps d’élite des armées antiques pratiquaient l’homosexualité tels les Thébains et que si Achille dont le courage est réputé sans faille pleure Patrocle à sa mort, c’est qu’ils eurent ensemble des relations plus qu’intimes. Toutes les armées ont connu des capitaines et des généraux homosexuels du règne de Louis XIV aux guerres coloniales pour ne citer que la France. Et selon le mot du général Saint-Arnaud, en Afrique nous l’étions tous, de retour certains le sont restés.
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