Que le commerce soit devenu une science machiavélique, nous le savons. Qui veut une fin prospère accepte les moyens les plus bas.
Que les plus grandes écoles de commerce enseignent aux plus intelligents à séduire, à tromper, à mentir, à voler, à tuer ce n’est plus à démontrer.
Les noms les plus ronflants cachent cette misère.
Nous sommes tous les jours confrontés à cette boue contre laquelle nous devons lutter, petites chèvres de monsieur Seguin déchirées par des loups invisibles.
Veut-on s’assurer ? Il faut lire mille lignes en caractère lilliputiens où l’on apprend que l’on est en effet assuré lors d’un accident d’avion sauf s’il est dû à un attentat, une mouette, un terroriste, un pirate, un cyclone, une guerre, une panne, une soucoupe volante, un missile, une explosion, la présence à bord de Paris Hilton se faisant sauter dans les toilettes, un orage, un météore, un trou noir, un trou d’air, un trou d’eau et le triangle des Bermudes.
Il doit y avoir des gens dont le métier est : « Trouver toutes les raisons pour lesquelles quelqu’un va payer une assurance dont il ne verra jamais la couleur. »
« Plus petit que le petit » se traduit ainsi dans le Littré : caractères des polices d’assurance.
Les Etats n’interviennent pas. Les Etats sont dirigés par les valets du commerce dévoyé.
Il ne faut d’ailleurs plus dire « commerce » car cette activité quand elle est honnête, est pleinement utile à la société. Il faut dire tout simplement ruffianderie. La ruffianderie internationale. Impunie et triomphante.
Autre exemple grave, celui de l’agro-alimentaire.
Au temps jadis il arrivait qu’on vende du lait en lui mêlant de l’eau.
C’était le fait de magouilleurs qui ternissaient la profession.
A présent la magouille est générale. La question fondamentale est : « Que va-ton mettre dans nos produits, qui n’est pas cher, pour que nous gagnions davantage d’argent ? »
Il y a eu les fameux cadavres d’animaux mêles à de la nourriture pour bétail. On connaît le résultat. Le Soleil vert brille sur nos têtes !
Il y a plus gentil mais non moins nocif.
L’agro-alimentaire utilise abondamment deux produits : le lait en poudre et la farine de blé. Ils en mettent partout. Regardez les étiquettes. Le blé pour son gluten qui rend moelleuses les matières. Ainsi, les pains de mie, par exemple, sont très riches en gluten. Or, comme l’écrivait Paracelse : « Ce n’est pas le produit qui est un poison, c’est la dose. » Et à force d’en mettre partout, trop c’est trop.
C’est ainsi que le gluten, abondamment saupoudré dans tout ce que nous mangeons, finit par être, pour nos intestins, aussi râpeux que du sable. Le gluten s’attaque à la puissante membrane protectrice de nos tripes et la transforme en passoire. A partit de là, tout va n’importe où en particulier dans les articulations mais aussi dans le cerveau, où vous voulez. Notre pauvre corps si brillant, si intelligent, dont les Chinois (anciens ) disent que c’est une âme, un dieu, à juste titre, me fait penser à ces pauvres secrétaires débordées qui ne peuvent traiter tout ce qu’on leur envoie et entassent tout n’importe où . Cela pourrit et nous ronge d’arthrose, de diabète et autres bricoles.
N’allez pas demander à un médecin s’il est exact que le gluten peut se révéler nocif, il vous prendra pour un témoin de Jéhovah. D’ailleurs il n’y connaît rien et il n’a pas à s’y connaître car son métier n’est pas de prévenir la maladie (encore un coucou à nos bons chinois anciens !) mais de la guérir par des médicaments. C’est un commerce lucratif. Les médecins ignorent la médecine de base. Cette question : « Comment faire pour ne pas être malade ? » n’est pas de leur ressort. Par ailleurs, on les comprend. Les malades les nourrissent. Donc s’ils se nourrissent mal, ils les nourrissent bien.
Quand on leur dit « Que dois-je manger ? », ils vous répondent « Equilibré ». Avec ça l’obésité mondiale galope.
Bon. Mais Ikéa là-dedans…
Ikéa ! L’Ikéa de nos rêves d’antan ! Sa carte « Family », quel joli nom ! Son restaurant avec ses saumons pêchés dans les fjords ! Ses chaises hautes pour bébés ! Sa salle de jeux aux ballons multicolores ! Ses petits crayons pour noter ! Sa chaise qui depuis cinquante ans se fait enfoncer par un robot dans une cage en verre ! l
La mythologie d’Ikéa ! On ne se marie plus à l’église ! On se marie à Ikéa !
Donc, ayant besoin de changer quelques éléments de ma cuisine je choisis cette illustre enseigne.
Je me rends tout d’abord au magasin de… (Vous comprendrez tout à l’heure les raisons de ma discrétion. ) Et tout en bavardant avec un vendeur, un nouveau sans doute, qui, si je dis qui il est va devenir un ancien, j’apprends qu’il y a une promotion pendant la foire de Marseille. Qu’on a une réduction de cent euros quand on achète pour mille euros de matériel. Au rayon cuisine. Bonne nouvelle ! Mais ajoute-t-il, me le glissant au creux de l’ oreille ! « Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit ! »
What ? Une promotion secrète ? Ikéa lance des promos qui ne doivent pas être connues ? Bizarre …
Bon. La semaine d’après me voilà à Ikéa Vitrolles. Là on sait où l’on est.
Rayon cuisine. Après avoir traversé le rayon lit, salon, bureau, chambres, c’est leur méthode. Ils luttent contre l’obésité en promenant la clientèle dans un labyrinthe . Brave Ikéa.
Je choisis donc mes éléments. Je regarde les prix. Il y a là le fameux tiroir de cuisine qui a trois étiquettes. Si on l’achète, il faut payer trois fois. Pour le tiroir. Pour la façade du tiroir. Parce qu’il y a des gens qui veulent des tiroirs sans façade. Ils mettent du scotch pour les fermer. Et ensuite les amortisseurs de tiroir. Vous savez le grand luxe, ces tiroirs qui se ferment tout seuls et glissent comme des dauphins qui plongent dans l’eau bleue ! (Je devrais faire de la pub, moi ! ) Bref le dauphin ça se paie. OK.
Je fais donc l’addition de toutes les petites bricoles qui composent la fameuse cuisine, indice essentiel de condition sociale, ( « Dis-moi quelle cuisine tu as et je te dirai qui tu es. ») et j’arrive à 920 euros. Je dis alors au vendeur, sans lui dire d’où me vient le tuyau, moi aussi je protège mes indics :
-Il faut que j’arrive à 1000 euros pour avoir le bon de réduction, non ?
Vous noterez messieurs les jurés qu’à aucun moment ce n’est le vendeur qui m’informe de l’aubaine. De la fameuse promotion secrète dont il ne faut pas parler. Y a-t-il eu des directives ? Leur a-t-on dit : « Voilà, en ce moment il y a une promo mais il ne faut pas le dire parce que ça va faire baisser notre chiffre !! » Allez savoir ! Suis-je en train de commettre un délit d’initié ?
Le vendeur me confirme en effet l’existence de cette promo et je rajoute un meuble que je comptais acheter plus tard pour dépasser mille euros. Bingo ! C’est fait ! Parfait !
Mais soudain un drame se produit ! Pendant que nous commandions à la table 12, un autre vendeur à la table 14 commandait les mêmes portes que moi et me les subtilisait ! Il va donc falloir attendre une semaine pour six portes. Ceci, au demeurant, sans importance. Mais on va le voir, en fait très important !
Oh ! Fatalité ! Tes ressorts nous sautent au visage comme des tiroirs sans amortisseurs !
Bref, j’arrive en caisse après avoir traversé la fameuse zone « libre-service ».
La zone libre-service…
Après les petites pièces bien décorées de l’étage, on est dans le loft de la profusion. L’appellation même « libre-service » suggère qu’on est libre de se servir. (En payant quand même. C’est là que les notes, on ne sait pourquoi, enflent comme des montgolfières ! Trois bougies par ci, une plante en plastique par là, deux tiroirs en osier, quoi ? Cent euros de plus ?)
Je suis donc à la caisse avec mes deux caddies chargés comme éléphants morts.
Commence l’épopée, la lutte de la pauvre bichette contre les multinationales.
Moi à la caissière :
-Mais vous ne me faites pas ma réduction ?
-Pourquoi ? Quelle réduction ?
-Les cent euros de réduction puisque j’ai plus de mille euros de matériel cuisine.
-Mais comment je sais que c’est mille euros pour une cuisine ? Vous avez beaucoup d’achats en libre-service !
Et elle me montre une note avec une liste aussi longue que les conquêtes de Don Juan , une liste de noms exotiques : Wasa , Vlada, Surska, Chouka… Qui est quoi ? Dur de dur ! Heureusement je n’ai acheté que des bricoles pour ma cuisine.
-Mais ce ne sont que des objets de cuisine !
-Je n’en sais rien !
Je m’en vais te lui mettre un coup de louche sur la tête, elle va voir si c’est du matériel photo !
-Par ailleurs, continue la caissière, les achats de matériel cuisine achetés en libre-service ne comptent pas pour la réduction.
-Quoi ?
Là, je l’avoue, j’ai un comportement indigne. Je suis sur le pont d’étrangler cette pauvre caissière qui gagne trois radis par mois et n’est que le porte-parole de sa multinationale pervertie.
Elle continue.
-D’ailleurs , c’est le rayon cuisine qui doit vous donner le bon de réduction. S’ils ne vous l’ont pas donné c’est que vous n’y avez pas droit.
-Je n’y ai pas droit !!
Mon sang ne fait qu’un tour, expression curieuse : qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il fait un tour, s’arrête et compte les points ?
-Calmez-vous, madame !
Par-dessus le marché, j’ai l’air d’une folle.
-Je vais chercher ce bon !
Et je bondis vers le rayon cuisine.
Beaucoup d’entre vous savent ce que c’est, quand on est aux caisses d’Ikéa, de revenir au rayon cuisine. Il y a l’épopée d’Emile Victor pour atteindre les pôles, la marche dans les ruines du Machu Pichu où l’on respire si mal. Là, il faut aller à contre-courant. Comme un saumon du temps où les saumons étaient en liberté. Je retraverse tous les rayons. Cela me fait penser au moment où l’on meurt où , paraît-il, défile le kaléidoscope de la vie : ma vie dans les cuisines ,dans les salons , dans les chambres, avec mes bébés !
Et j’arrive au fameux rayon.
La fille du rayon cuisine a été Informée de l’incident par la fille des caisses.
Je tombe donc sur une vendeuse qui me parle lentement comme aux malades mentaux qui ne veulent pas prendre leur médicament et qui ne comprennent rien aux réalités du monde.
-Mais non, madame, vous n’avez pas droit à ce bon.
-Mais j’ai pourtant mille euros d’achat !!
-Non.
-Comment ça non ? ????????
-Mais calmez-vous, madame.
-C’est écrit, là ! Mille vingt euros !
-Et non. Parce que vous avez six portes qui ne sont pas en réserve. Et que vous devez revenir pour les chercher. Et que donc cela fait mille euros moins cent cinquante euros, le prix des portes.
-Mais je veux bien vous les payer tout de suite, moi ces portes !
-Non. Vous ne pouvez pas. Nous n’acceptons aucun paiement pour ce que nous ne vendons pas. (Logique, là.)
C’est alors que lasse de ces discussions , j’en viens aux grands moyens . Bon ! Je devais acheter une plaque chauffante. Je comptais le faire plus tard. Je vais le faire maintenant et qu’on n’en parle plus ! (Bientôt je vais payer mille euros de plus pour avoir cent euros de réduction !)
-Je prends une plaque chauffante ! Ajoutez-la sur la note ! Et donnez-moi mon bon !
-Non. Le matériel électro-ménager n’entre pas en compte pour la réduction.
C’est l’estocade. Je plie du genou comme le vaillant taureau. Je tente tout de même un dernier coup de corne.
-Mais quand pourrais-je avoir ces cent euros de réduction ?
-Quand vous viendrez chercher les portes.
-Elles coûtent cent cinquante euros. Je ne les paierai donc que cinquante ?
-Non. Ce n’est pas une réduction. C’est un bon. Vous paierez cent cinquante et ensuite vous aurez un bon de cent euros.
-Mais si vous me l’aviez dit avant, je n’aurais pas acheté aujourd’hui tout ce matériel en libre- service qui n’entre pas en compte pour la réduction, si vous m’aviez dit ce qui entrait en compte pour la réduction, d’ailleurs je vous le fais remarquer, le vendeur ne m’a pas parlé de cette réduction, c’est moi qui le savait par .. chut !!!
-Mais nous ne sommes pas des robots, madame…
Tout est dit. Ce sera le mot de la fin.
Ce qui est le pire dans cette histoire, c’est que ces multinationales qui mettent en avant des vendeurs peu payés, nous donnent, quand nous protestons, mauvaise conscience. Nous nous disons : « Arrête, ils n’y sont pour rien. Tu es mieux lotie qu’eux ! » C’est une tactique aussi. Bien joué ! En fait, acheteurs et vendeurs, mêmes victimes à se bouffer le mou !
Certes certains diront que ce n’est ni une lapidation, ni un viol, ni un attentat, que ce n’est qu’une bricole qui frappe quelqu’un qui a un toit puisqu’elle peut y mettre une cuisine.
Mais marre de ce commerce agressif, de plus en plus agressif.
Le soir, pour me détendre les nerfs et surtout parce que je n’ai pas de cuisine, je vais au resto avec ma fille et mon gendre. Un nouveau resto qui vient juste d’ouvrir dans la zone commerciale de ma ville. Vous savez ces jolies zones qu’il y a à l’entrée de toutes les villes avec les mêmes enseignes . Sympa. On se sent partout chez soi.
A l’entré une serveuse nous dit :
-Ah ! Non !On ne peut pas vous servir !
Bravo ! Quelle journée ! Le restaurant est à moitié vide…
-Attendez, je vais me renseigner…
On croirait qu’on est à Paris, à l’entrée des Bains.
Elle revient bientôt.
-Si, si, c’est possible venez.
A mon avis Ikéa a dû leur téléphoner et leur dire que je suis dangereuse. (Chiante, plutôt.) Ils se méfient.
Super décor dans ce resto mais on nous avertit : c’est le premier soir.
En effet. La César salade est faite avec un poulet qui doit être composé d’os de poulet mixés. La tarte à la crème anglaise est sans crème anglaise « parce qu’ils ne l’ont pas encor reçue », la café est mauvais. Bref, c’est la totale. On est en train de se dire qu’on ne remettra plus les pieds dans ce resto quand un serveur, au moment de l’addition, s’approche et nous dit :
-Veuillez nous excuser. En fait vous êtes nos premiers clients. Tous les gens qui sont ici sont des amis qui testent la cuisine. Voilà pourquoi, au début, nous ne voulions pas vous recevoir. Nous aimerions savoir ce que nous avons pensé de ce qui vous été servi. Mais le patron me dit de vous dire que ce soir vous êtes invités.
Je pense que le changement d’expression sur nos visages pourrait faire l’objet d’une étude dans les cours de l’Actors studio. Comment passe-t-on de ce dégoût fait de haussements de sourcils, de hochements de tête à ce ravissement soudain :
-Ah !...Mais vous êtes trop gentils !...Merci, vraiment ! Comment était-ce repas ? Hé bien…Le décor est superbe…Très jolie présentation de la salade…Heu…Le poulet…Heu…Mais le chili con carne était super ! (Ce qui était vrai.) On fait l’impasse sur les frites mal cuites. Mon gendre, ce sagouin, évoque quand même l’absence de crème anglaise mais se répand en félicitations sur le décor et fait même la conversation avec le patron qui est venu en personne nous saluer.
Car le patron est là !
Enfin un peu d’humanité !
Un patron qui est le patron !
Un patron qui veut progresser !
Un patron qui reconnaît ses torts !
Un patron qui a un visage et qui vient parler avec ses clients !
Et nous sortons de ce resto en disant : « On reviendra ! On va les suivre ! On va les aider ! »
Bon résumons les gains financiers de la journée :
Un bon de cent euros à Ikéa que j’aurai si le jour où je retire mes portes les portes sont bien là car si elles ne sont pas là avant la date de la fin de la promo secrète, que va-t-il se passer ????
Et un gain d’environ 70 euros pour le repas !
Pas mal !
Dernier point : si lors de la manif de samedi à Marseille vous voyez une fille qui brandit un drapeau « Mort à Ikéa et à la chiennerie du commerce international ! », vous saurez qui c’est !
Et si un jour, j’ai mon bon de cent euros, on le boira ensemble !
A la santé du patron du « Vegas » !