Il vaut mieux tuer un gosse qu’un vieux si l’on veut passer à la télé !
Si l’on en croit la presse et cette « opinion publique » qu’on nous sert à toutes les sauces sans véritablement savoir à qui et à quoi elle correspond, rien n’est plus insupportable, abject, inadmissible que de tuer un enfant, surtout s’il se profile derrière ce crime une forte connotation sexuelle. D’ailleurs, ce genre de fait-divers se retrouve à la une des quotidiens, des journaux télévisés et des sites d’information sur Internet et semble passionner les gens. La police qui théoriquement doit faire des investigations sur chaque crime avec le même sérieux, moyens et espoir de résultats est sous pression de l’opinion publique, des politiciens dont le président lui-même et des médias pour trouver rapidement un coupable quand la victime est un gamin. Les procès sont médiatisés et les réquisitoires se font avec des trémolos dans la voix. Les commentateurs se sentent obligés de prendre un air contrit et constipé quand ils évoquent ce thème, ils doivent prendre « un air grave », comme il se dit dans la presse. Une fois passée la compulsive « marche blanche » pour les victimes qui se généralise de plus en plus avec ses rituels ridicules, seuls les meurtres d’enfants restent en mémoire, même quand il s’agit de « bébés congelés ».
Mais pourquoi traîner une vieille par le sac à main derrière une Vespa volée ou torturer un couple de retraités au fer à souder pour leur faire donner un code de carte de crédit ou avouer l’endroit où ils cachent leurs économies serait moins grave et moralement plus supportable que de sodomiser un adolescent et lui éclater ensuite la tête au marteau ou de passer un bambin au lave-linge ?
Nous assistons à une compassion à géométrie variable. Il existe des victimes qui interpellent et d’autres dont on se fout éperdument. Certains sont pour le rétablissement de la peine de mort pour les crimes sexuels sur enfant. D’autres voudraient étendre cette sanction aux meurtriers de policiers. D’autres enfin considèrent que torturer un juif pour obtenir une rançon est nettement plus insupportable que de découper au cutter un Monsieur Martin agnostique pour lui faire donner son code de carte bleue.
De quel criminel se souvient-on après que l’intérêt éphémère de l’actualité se soit éteint ?
Quasi uniquement des meurtriers d’enfants, surtout s’ils en ont abusé sexuellement. Comme simple exemple, tout le monde ou presque sait qui est Dutroux et Fourniret, qui se souvient d’Armin Meiwes, le cannibale de Rothenburg ? Et qui peut donner le nom d’un assassin de vieux, de charcutier ou de boulanger ne serait-ce qu’un an après le crime ? Or pour la victime, le résultat est le même que lorsqu’il s’agit d’un gosse. Elle se retrouve à la morgue et la famille n’a pas droit à des interventions réitérées à la télévision, une fois éteint l’émoi des premiers jours. Bien-sûr, certains se souviennent encore de Thierry Paulin, « le tueur de vieilles dames », mais surtout parce qu’il s’agissait d’un tueur en série. Par contre, Patrick Henry, qui n’a tué qu’un seul enfant sans même en abuser sexuellement est encore dans toutes les mémoires, plus de 35ans après le crime.
L’idéal serait de sortir les faits divers des médias, mais il s’agit d’un vœu pieux. Dès le début de la presse écrite, les meurtres ont captivé les lecteurs et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Le succès du Petit Journal, puis de France Soir réside dans les faits-divers. Avec Internet, c’est l’explosion avec les commentaires en plus. La grande différence, c’est la catégorisation des victimes entre celles qui « font des ventes » et les autres. Ce qui marche, c’est avant tout le crime sexuel, puis les crimes dits racistes, les atteintes aux forces de l’ordre et à un degré moindre contre les homosexuels et les petits commerçants. L’assassiné qui n’a pas « la chance » de faire parti d’une catégorie médiatisée restera un anonyme et son meurtrier aussi. Pire, ce dernier à souvent la chance d’être condamné à une peine plus légère car il n’a pas abattu quelqu’un faisant parti d’une catégorie sanctuarisée, montée en épingle. L’égalité des chances n’existe donc pas même face à l’assassinat que l’on soit victime ou criminel.
On continue des investigations sur l’affaire du petit Grégory, on relance régulièrement les recherches concernant Estelle Mouzin et la petite Mady, rien de médiatique sur les meurtres de vieux, sur les prostituées étrangères éliminées sauvagement sauf si l’on soupçonne un tueur en série. La police d’investigation doit bien continuer les enquêtes, mais les moyens étant limités, il est évident que seules les affaires qui émeuvent les foules sont traitées en priorité pour montrer que la police fait son travail. L’opinion publique réagissant à l’émotion, il faut lui servir rapidement un « monstre » avec des détails croustillants sur son parcours, ses addictions et plus c’est scabreux, plus on arrive à vendre. Il est plus rentable pour la police, la justice, les politiques et les médias de retrouver un slip ayant appartenu à DSK au Carlton que d’identifier l’assassin d’un vulgaire péquenaud dans la Creuse.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON