Immigré, migrant… Un Homme ! querelle de mots !
A propos de l'immigration ne remplaçons pas ce qui doit être un débat de société par une querelle de mots et souvenons-nous comme le disait Pierre Dac « qu’avant de penser il faut réfléchir ».
Immigré, migrant… Un Homme !
J’avais écrit, mais en 2006 et 2008, à propos de l’immigration ; il s’agissait essentiellement d’une réaction à la problématique de ceux qu’on appelait alors « les sans-papiers ». Sans m’être désintéressé de cette question sociale tout à fait cruciale parce qu’au croisement de ce que chacun croit savoir de l’histoire du pays et de la peur qu’il a de son avenir, parce qu’au croisement de l’individu et de la société, je n’ai pas écrit de nouvel article sur cette question. Alors, bien évidemment, les évènements de Calais, entendons le démantèlement de la « Jungle », obligent à prendre la plume. Je le ferais sans doute, mais pour l’heure j’ai envie de réagir à ce que nous disaient des amis à l’occasion d’une réunion.
Là, l’un de nous se fit le panégyriste d’un de nos amis qui, maire de son village, avait accueilli des immigrés en provenance de Calais ; il le fit en citant la une du journal qui relatait cet accueil en parlant de « migrants ». Certains réagirent, non sans quelque violence oratoire, à l’usage du terme migrant dont ils tenaient qu’il ne s’appliquerait pas à ces hommes et à ces femmes ; « ce sont des immigrés ou des émigrés, parce que ce sont des hommes ; le terme migrant ne s’applique qu’aux animaux », et de nous citer quelques volatiles en exemple.
Il y avait là une erreur de lexique. Le mot migrant est tout à fait adapté à s’appliquer aux hommes comme l’indique le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (Organe d’étude de la Langue du CNRS) : (Travailleur) migrant. Individu travaillant dans un pays autre que le sien. Synon. immigré. Faciliter la circulation des travailleurs migrants en créant un passeport de travail (Pt manuel Conseil Eur., 1951, p.47). Pour la plupart, les migrants sont venus en France dans l’espoir de percevoir des salaires plus élevés que ceux auxquels ils peuvent prétendre dans leur patrie (Giraud-Pamart Nouv.1974). − P. ext., subst. Personne effectuant une migration. Ces migrants [les « vacanciers »] sont de plus en plus nombreux (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p.377).
Dans la présentation du livre Sociologie de l’immigration de Andrea Rea, Maryse Tripier (collection Repères, ed La Découverte) nous pouvons aussi lire le mot migrant caractérisant des personnes « humaines » : « L’installation des migrants et leur inclusion sociale et politique ne correspondent pas à un modèle unique, universel et intemporel. »
La présentation de l’axe 3 des recherches du laboratoire de l’université de Poitiers « Migrinter » (http://migrinter.labo.univ-poitiers.fr/) utilise aussi le mot migrant : Elles (les recherches) interrogent la relation aux territoires, au temps et les dynamiques interactionnelles qui alimentent les expériences des migrants et sont matière à apprentissage pour pratiquer la ville.
Que dire du titre de cette thèse soutenue à l’Université de Poitiers Faculté de Science Humaines et Arts « Migrants dans la ville : Une étude socioanthropologique des mobilités migrantes à Salamanque ».
Mais cela est de la « Science » diront certains, nenni le mot migrant s’emploie bien pour désigner des personnes comme l’indique, de façon plus commune et générale, les dictionnaires. Le Larousse nous dit que migrant, migrante sont soit noms soit adjectifs et qu’ils désignent « qui effectue une migration ». Le dictionnaire Le Robert opère une distinction entre les animaux et les hommes sans pour autant les dissocier. Le Robert dit : Qui participe à une migration. Les populations migrantes ; les groupes migrants. — Animaux migrants, qui, sans être obligatoirement migrateurs, effectuent une migration. Personne qui migre, ou qui a migré récemment. — Travailleur originaire (➙ Émigrant, immigrant) pour trouver du travail, ou un travail mieux rémunéré. — Par extension : Personne qui accomplit quotidiennement, entre son domicile et son lieu de travail, un trajet relativement long, en utilisant un ou plusieurs moyens de transport.
Il n’y a donc pas d’incongruité, moins encore d’erreur, à utiliser le mot migrant pour désigner une personne qui effectue une migration entre son pays d’origine et un autre pays d’accueil. Alors, qu’est-ce qui peut amener à cette réaction, vive, qui ne semble avoir comme but que de rappeler que, bien que migrants, nous parlons d’hommes qui furent des émigrés avant d’être, ici, des immigrés, comme si le mot migrant cachait ce qu’il y a d’humanité dans cette question difficile de l’accueil de personnes étrangères au territoire ? Parler de « migrant » ferait-il oublier que l’on parle d’un « être humain », d’un homme, d’une femme, d’un enfant, d’un vieillard ? Un débat autour de ce mot me renvoie à cette phrase d’un personnage de Maxime Gorki (Mes universités) : « Et bien souvent je remarquais que les gens n’étaient charitables et aimaient qu’en paroles, mais qu’en fait ils suivent sans s’en apercevoir le courant général. »
C’est ce courant général qui m’inquiète car il laisse de côté la raison, celle du sceptique qui questionne toutes choses de la vie, qui pratique un examen critique pour arriver à la solution sinon la meilleure du moins la moins mauvaise. Ce courant général sur la question de l’accueil des « immigrés » ne repose que sur l’émotion et la passion, or l’immigration est une vraie question sociale donc politique qui doit être traitée en dehors des passions et indépendamment de la mise en sécurité dans des conditions de salubrité physique et psychique des personnes. Cette position fait écho à ce qu’écrit Gorki (Mes universités) à propos du peuple et des étudiants : « Chez vous les étudiants parlent beaucoup de l’amour du peuple ; eh bien, je le leur dis : on ne peut pas aimer le peuple. Ce sont des mots, l’amour du peuple… Aimer, c’est acquiescer, condescendre, ne pas remarquer, pardonner. » Car enfin il en va des migrants comme du peuple de Gorki : « Lorsqu’on parlait du peuple, je sentais, surpris édifiant envers moi-même, que je ne pouvais pas penser sur ce sujet comme tous ces gens-là. Pour eux le peuple était l’incarnation de la sagesse, de la beauté spirituelle, de la beauté du cœur, un être presque divin et unique, dépositaire de tout ce qui était beau, juste et grand. J’ignorais ce peuple-là. Je voyais des menuisiers, des débardeurs, des maçons, je connaissais Iakov, Joseph, Grégoire, mais parler du peuple comme une entité, ils se plaçaient en quelque sorte au-dessus de lui, sous la dépendance de sa volonté. » Donc, de quoi parle-t-on : de l’objet social qui renvoie à un fait ou de l’individu sujet dans un fait, dans un système ?
Au-delà de la passion émotionnelle, pour trouver une solution c’est-à-dire une méthode de gestion, il faut poser le problème. Or, une fois de plus dans les actions présentes « en faveur » des migrants j’ai l’impression que les gouvernants ont une solution sans avoir posé le problème ; à quoi veut-on répondre ? Faute d’avoir posé le problème, au sens sociologique, on en appelle à la compassion créant ainsi un « courant général » compassionnel auquel on se doit d’appartenir sans poser quelque question que ce soit, le ferait-on qu’on serait montré du doigt par les bien-pensants. Chacun face aux migrants se doit d’être charitable, et c’est tout. Le gouvernement, suivi par les associations dites humanitaires, crée un « courant général » où la vérité ne se voit qu’en dehors de la réalité.
Dès lors s’installe un clivage social introduit par les gouvernants qui empêche de questionner un fait social difficile, ancien et récurrent. L’immigration ne date pas d’aujourd’hui et au cours de l’histoire elle prit des formes diverses, une diversité dont je dirai qu’elle pouvait être une réponse à une opportunité situationnelle. C’est par exemple cette immigration peu connue générée par la Confédération helvétique qui, craignant le surpeuplement, a envoyé, entre 1660 et 1740, entre 15000 et 20000 personnes repeupler l’Alsace et la Franche-Comté dépeuplées par la guerre. On pourrait ici s’interroger sur la politique migratoire extrême asiatique et plus particulièrement chinoise dont il n’est pas impossible que cette dernière soit, sinon organisée, du moins facilité par le gouvernement de la République de Chine Populaire.
On peut voir, par exemple, à travers les documents et les dossiers sur le site du Musée de l’Histoire de l’Immigration que l’immigration est un objet social et historique complexe et que, par conséquent, sa gestion n’est pas chose simple ; le texte suivant peut aussi témoigner de cette complexité et de cette difficulté : « Présentation en Conseil des ministres, 31 août 1983, d’un ensemble de mesures destinées à lutter contre l’immigration illégale et faciliter l’insertion des populations immigrées : contrôle systématique des clandestins et lutte contre leurs employeurs ; réduction du nombre des travailleurs saisonniers (dispositions particulières pour les ressortissants d’Algérie, de Tunisie et du Maroc) ; simplification des mesures d’obtention du titre de travail ; représentation des immigrés dans la commission nationale de la main-d’œuvre étrangère ; moyens d’action scolaire, culturelle, de formation professionnelle, d’information ; résorption de l’habitat insalubre ; lutte contre l’intolérance, le racisme, la violence. »
Alors on essaie de créer une « Vérité » quitte à la détacher de toute « Réalité », au risque de créer de l’idéologie, quasi une religion sous couvert d’humanisme. Mais l’humanisme n’est-il pas une vision du monde gravitant autour de l’homme, par opposition à une vision qui graviterait autour de Dieu ? L’humanisme, autorisons-nous d’en dire quelques mots même s’ils sont réducteurs mais pour situer le problème, l’humanisme courant philosophique qui demeure un terme équivoque de sens différents selon les auteurs ; il n’est pas envisagé de la même façon chez Nietzsche, Feuerbach ou chez Marx qui chemina de l’humanisme au communisme, via la critique lapidaire et définitive formulée dans les Thèses sur Feuerbach. Mais aucun auteur ne nie la réalité que représente la « société ». Alors, ce qu’écrivait Albert Camus dans Les Justes n’a jamais eu autant d’importance : « mal dénommer les choses c’est ajouter du malheur au monde ». Rejeter que soit utiliser le terme de migrant pour s’arc-bouter sur des mots dont voudrait qu’ils ne représentent que l’Homme en tant qu’il est un individu, c’est prendre le risque de nier l’existence d’un fait social en considérant qu’est « fait social » « toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ». Or le phénomène de la migration et surtout de l’accueil des migrants crée de la contrainte chez les habitants du pays d’accueil ; on voit alors le risque que l’on ferait prendre à une société en occultant ces contraintes qui sont cette réalité qu’on nie pour construire une vérité dite humaniste.
Ne remplaçons pas ce qui doit être un débat de société par une querelle de mots et souvenons-nous comme le disait Pierre Dac « qu’avant de penser il faut réfléchir ».
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