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Accueil du site > Actualités > Société > Insécurité linguistique, sécurité institutionnelle négative

Insécurité linguistique, sécurité institutionnelle négative

Alain Bentolila (Libération du 24 juillet 2009) nous narre un événement du tribunal (un événement au sens éthymologique, un micro-événement) pour illustrer l’insécurité linguistique qui caractérise la jeunesse et le coût qu’elle a pour eux.
En accord avec son analyse, il me semble qu’il y a aussi un problème institutionnel/politique : certes ils n’ont pas les mots qu’il faut. Mais, en plus, la parole circule et fonctionne dans des institutions et ces institutions ont aussi un rôle dans cette mauvaise circulation et mauvais fonctionnement. Le mal n’est pas que dans celui « qui n’y arrive pas ». Il est aussi dans l’institution qui « voit » d’une certaine façon le fait qu’il n’y arrive pas et a un certain type de réaction. En toute chose, il y a l’acteur (en insécurité linguistique, certes) mais aussi le système.

Pour Alain Bentolila, si nos enfants passent à l’acte plus vite et plus fort, c’est parce que nous n’avons pas su leur transmettre la capacité de mettre pacifiquement en mot leur pensée pour l’Autre. Pas la peine d’instrumentaliser une contre-violence étatique (portiques, fouilles...), le problème n’est pas là, il est dans une "insécurité linguistique". Puis, Bentolila raconte un souvenir de 2006 au tribunal. Un jeune Français en insécurité linguistique n’arrive pas à se faire entendre du tribunal et passe à l’acte, après s’être entendu dire "Expliquez-vous donc au lieu de grogner comme un animal !", se faisant sanctionner fortement par le même ministère de la justice. Bentolila déclare : Il fallait que justice passe et elle est passée. Je ne comprends pas cette phrase. Non, la justice n’est pas passée. Elle a même été violemment bafouée par celles et ceux qui avaient en charge de l’exercer.
 
La remarque de Bentolila est paradoxale. Il passe tout son article à montrer que "nos enfants", c’est son mot, sont victimes de l’insécurité linguistique, puis quand l’adolescent accomplit ce qui lui paraît inévitable (empoigner le procureur au milieu de son laïus) Bentolila réintègre "l’institué" de l’institution et trouve que le délit grave est justement puni. Ce jeune Français de 16 ans a subi 13 ans d’école qui ne lui ont pas donné les mots pour laisser une trace de lui-même sur l’intelligence des autres, il est passé à l’acte, ce qui remplit une certaine logique, (montrer cette logique, cette fatalité même, me semble être le sens de l’article), et il va subir plusieurs mois de prison ferme. Cependant, nous dit Bentolila, la justice serait passée.
 
La parole est l’institution humaine fondamentale qui sert sans doute à créer un temps de sereine négociation linguistique. Il ne faudrait pas trop rêver. La parole injurieuse est aussi envoyée, en premier même, selon le récit d’Alain Bentolila, par le procureur. Le mensonge, la calomnie, la diffamation, la moquerie, l’omission, le travestissement des propos ou des faits rapportés font partie du langage, et les fonctionnaires du ministère en sont capables tout autant que les autres. Cela peut tuer, comme on le voit par exemple dans le film de Patrice Lecomte Ridicule. Il y a des exemples de cette mise en dérision de l’Autre par les fonctionnaires dans le récit de Bentolila : des formules ampoulées, apparemment hors de saison, mais dont le fonctionnement symbolique d’exclusion ne doit sûrement pas échapper aux prévenus qui, pour être en insécurité linguistique, ne sont pas des imbéciles. Le ministère, via son personnel, leur dit assez clairement : "Vous n’êtes pas de notre monde". Et c’est quoi la République, sinon le fait que chaque citoyen est, c’est-à-dire appartient à la République ? Ce n’est pas seulement l’insécurité linguistique de ces jeunes qui est en cause dans cette histoire, c’est aussi l’usage qu’en fait une institution centrale de notre pays : elle s’en sert contre eux. Parodie de justice dit Bentolila. En effet. Alors qu’une autre institution centrale, l’école, est arrivée à les mettre dans cette situation d’insécurité. Ou n’est pas arrivée à les en sortir ? Là aussi. Chaque rentrée, les livres d’enseignants font un succès sur le thème : "ma vie d’horreur dans la banlieue". Ce dénigrement d’une certaine catégorie de Français (la plupart sont français) relève de la discrimination mais a l’assentiment général. Oui, les enseignants y sont bien malheureux et les plaindre est juste et bon. Qui s’occupe de résoudre le problème ? Alain Bentolila dresse un constat et un diagnostic : insécurité linguistique. Comment règle-t-on cette insécurité ? Qui doit le faire ? Par quels moyens ? Dans quels délais (en gros) ? Une décennie ? Deux ?
 
Il me semble que l’histoire narrée, telle qu’elle est narrée, évoque autre chose qu’une insécurité linguistique qui pèserait sur une des parties prenantes de cette affaire, et seulement sur une partie. Les jeunes les plus défavorisés sont en faiblesse langagière par rapport au langage soutenu attendu dans les institutions républicaines, en faiblesse surtout, pas en insécurité (au sens de l’incertitude, qui fait qu’on ne sait pas sûr de se sur quoi on peut compter). Au contraire, Ils peuvent être sûrs d’être en culpabilité préalable et structurelle (à l’école et au tribunal). Au tribunal : Pas un seul de ces douze jeunes n’a tenté d’articuler la moindre explication, de construire la moindre argumentation nous dit Bentolila. Le seul qui l’ait tenté n’a pas pu s’exprimer, recevant, de la part du procureur : "de quoi voulez-vous donc nous entretenir qui ne puisse attendre l’ultime fin de ma péroraison ?" Ce n’est pas une insécurité linguistique qui l’a fait passer à l’acte, c’est un mépris (il n’a pas de prix, il ne vaut rien) institutionnel a priori. Il a souffert plus que ceux qui se sont soumis à cette dévalorisation politique/institutionnelle et ont préféré ne rien tenter. L’école nous dit sensiblement la même chose : elle ne peut pas remédier aux problèmes sociaux et si la société résolvait ses problèmes, tout le monde verrait comme les enseignants sont efficaces et savent donner le succès scolaire à tout le monde ! Certes, nombre de jeunes ne savent pas bien s’exprimer, mais il faut aussi se demander quelles traces sur l’autre a laissé la parole du procureur.
 
Il faut cesser de penser à celles et ceux de la banlieue, en terme de manque, de handicap... Ils méritent toute notre considération. Ce ne peut être qu’avec notre considération pleine et entière que nous pourrons faire société avec eux. Leur mal n’est pas un manque en eux, un manque linguistique qui les mettrait en insécurité. Ils ne sont pas moins que nous. Le mal est un plein et il est en nous aussi.
 

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14 réactions à cet article    


  • Asp Explorer Asp Explorer 31 juillet 2009 10:29

    LOL... WUT ?


    • Vilain petit canard Vilain petit canard 31 juillet 2009 11:53

      Intéressant. Un compte-rendu plus précis de ce qui s’est dit dans ce tribunal aurait été encore plus intéressant.


      • Caturix 31 juillet 2009 11:53

        Bonjour,
        Cette histoire n’est pas nouvelle en soit, il y a toujours eu des problèmes linguistiques entre générations et milieux sociaux, rappelez vous par exemple la période d’immigration polonaise dans les zones minières... Sauf que dans le cas qui vous interesse, le phénomène a été accentué certains phénomènes (parcage des immigrés, mauvaise politique du bilinguisme, etc.)
        Autre chose, n’oubliez jamais que la langue permet surtout de gérer les relations sociales. Lorsque vous rencontrez quelqu’un et lui dites « bonjour, comment va ? », vous ne souhaitez pas un « bon jour » et souvent, ne souhaitez pas réellement savoir si la personne va bien. Simplement, il s’agit d’un geste social qui vous permet de pénétrer un niveau relationnel, en gros, vous le prévenez que vous rentrez dans sa sphère, qu’il n’y a pas agression. La langue est truphée de « gestes sociaux » de ce type.
        Du coup, il est normal que lorsque deux dialectes se rencontrent sans avoir les mêmes marqueurs sociaux, il y a risque de confrontation. Donc, Bentollia a raison sur ce point, mais ce qu’il semble oublier, c est que le juge est lui aussi en insécurité linguistique face au jeune. Alors que faut il faire ? Faire appel à un bilingue (un modérateur) me semble être une bonne solution. Mais il est évident qu’aucun politique n’acceptera pour cause de financement.
        Cela dit, ce qui est primordial, c est de régler avant tout l’insécurité sociale qui est à la base du phénomène.
        Ah, dernier point, vous dites "Il faut cesser de penser à celles et ceux de la banlieue, en terme de manque, de handicap... Ils méritent toute notre considération". Si, il y a handicap, dès que vous sortez de votre milieu, vous êtes en situation d’handicap. Mais en effet, cela ne veut pas dire que vous êtes inférieur.


        • Pie 3,14 31 juillet 2009 12:10

          J’ai lu l’article et suis d’accord avec vous. Le monde judiciaire se complait dans un langage ampoulé, légèrement désuet et très réthorique ( la prose exaspérante de Bigler est un bon exemple). Il s’agit de montrer où est le pouvoir et de dresser une barrière infranchissable face aux pauvres qui représentent la majorité des prévenus.

          Ce système fonctionne à plein dans les comparutions immédiates ( une boucherie selon Badinter) et la petite justice, il est peut-être moins violent dans les procès d’assises où les avocats maîtrisent ce vocable et parce que l’on dispose de plus de temps.

          L’école ne réduit pas les inégalités sociales , la justice non plus, pire elle les confirme sans cesse en condamnant plus durement le voleur de scooter que le financier peu scrupuleux.

          Les mots des magistrats masquent souvent un vide total de la pensée, il ne s’agit pas de comprendre d’écouter et de prononcer une peine circonstancée mais de sanctionner selon un barême mécanique des prévenus qui encombrent des tribunaux surchargés.

          Plus que jamais, mieux vaut être riche et avoir un bon avocat qu’être pauvre et peu loquace.



          • Massaliote 31 juillet 2009 13:34

            Je propose qu’on leur parle d’une façon simple, par exemple : « Si toi niquer ta mère, ta soeur ou ton petit frère, y en a pas bon. »


            • Gazi BORAT 31 juillet 2009 13:51



              @ l’auteur

              Bonjour,

              J’ai lu lors de sa parution l’article d’Alain Bentolila dans Libération..

              L’histoire relatée est émouvante, une sorte d’injustice qui se met en place, nous prend à témoin et aussi, à la lecture du récit une sorte d’identification à cette personne punie car elle ne parvient pas à s« ’exprimer.

              L’histoire est sans doute véridique, mais il m’a provoqué, en deuxième réaction, une sorte d’insatisfaction.

              Elle est trop parfaite.. et son rapporteur a trop à y gagner.

              En effet, Alain Bentolila, spécialiste des apprentissages linguistiques, concpteur d’excellentes méthodes d’apprentissage du Français, à l’usage des non scolarisés, migrants, illettrés.. a fait partie de ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme sur l’illettrisme en France, annonçant des pourcentages inquiétants d’illettrés dans la population : 21% dans les fourchettes hautes et jamais en dessous de 11%.

              Des politiques de lutte contre l’illettrisme ont ainsi été mises en place, tant par des gouvernements de droite que de gauche, des instances ont été mises en place, des dispositifs, des observatoires, des appels à projets pour organismes de formation, etc.. pour un résultat plutôt migre.

              Les raisons en sont extrèmement diverses, de la difficulté à repérer un public qui, en général, a honte et se cache, la difficulté à le mobiliser vers des apprentissages de base, à concilier cet apprentissage avec des horaires de travail, etc, etc..

              L’illettré fut un personnage très attendu pour de nombreux acteurs de ce petit monde de la formation.. mais qui tarda à se manifester.

              Aujourd’hui, les programmes de lutte contre l’illettrisme ont atteint de très bas niveaux de financement et l’article de Mr Bentolila, même s’il décrit une réalité, semble participer d’une sorte de »story telling".

              Le but ? Relancer cette lutte contre l’illettrisme dont il fut (et reste) un expert écouté..

              gAZi bORAt


              • Bois-Guisbert 1er août 2009 14:38

                L’histoire relatée est émouvante,
                 
                On en a les larmes aux yeux...

                une sorte d’injustice...

                On en tremble de rage impuissante...

                Dans le même registre, en catégorie « Il y en a de plus insécures que d’autres » :

                « Elle pue la merde vot’ France »

                Source : http://www.fdesouche.com/articles/58402


              • Arunah Arunah 1er août 2009 06:03

                Pour mémoire, les tranches d’âge actuellement scolarisées ont huit cents heures de français en moins du CP à la troisième que les générations précédentes...
                Nous connaissons le coût de l’éducation. Mais avons-nous évalué le coût de l’ignorance ?


                • Bois-Guisbert 1er août 2009 19:54

                  Pour mémoire, les tranches d’âge actuellement scolarisées ont huit cents heures de français en moins du CP à la troisième

                  Pour causer SMS et 9-3, c’est plus qu’amplement suffisant, non ?

                  Je me suis laissé dire que le 9-3 tourne avec 400 mots...


                  • Cotcodec 2 août 2009 00:31


                    Impayable Bois-Guibert ! A quand un voyage ethnologique dans la Seine Saint Denis pour vous faire une idée par vous-même ? Un département dont le nom inclut ce qui a été la devise de la France pendant des siècles !

                    Excellent article, les difficultés de communication sont ferment de violence physique. A ce titre, il est effectivement pitoyable que la Droite fasse preuve de tant d’acharnement pour faire reculer l’enseignement du français à l’école, quand on attendrait exactement l’inverse de gens qui se disent républicains et, même, gaullistes, quand leur toupet dépasse les bornes.

                    C’est l’ensemble du pays qui y perd lorsque l’illettrisme progresse.

                    Le recul de la mixité sociale, organisé par cette même droite prétendument républicaine, est un autre fléau qui finira bien par avoir raison de la nation française.

                    cotcodec
                    Monjoie-Saint-Denis ! (une fois n’est pas coutume...)


                    • Bois-Guisbert 2 août 2009 10:46

                      « Un département dont le nom inclut ce qui a été la devise de la France pendant des siècles ! »

                      Tout un symbole, un sacré symbole. Et emblématique avec ça : nécropole de la monarchie, puis foyer bolchevique, puis berceau du doriotisme, puis chancre stalinien et maintenant laboratoire crapoteux de la nescience multiculturelle...

                      « C’est l’ensemble du pays qui y perd lorsque l’illettrisme progresse. »

                      C’est l’ensemble d’un pays développé qui régresse quand des pans entiers du tiers monde sous-développé prennent possession de pans entiers de son territoire.

                      « ...il est effectivement pitoyable que la Droite fasse preuve de tant d’acharnement pour faire reculer l’enseignement du français... »

                      Ca ne surprend pas de la part d’un président mi-grec mi-hongrois, qu’on a surpris déplorant que les Français utilisent leur lanque maternelle lors des grands raouts internationaux.

                      « …on attendrait exactement l’inverse de gens qui se disent républicains et, même, gaullistes… »

                      On n’oublie pas que ce sont des républicains qui sont à l’origine du crime contre la France qu’est le regroupement familial et on attendrait beaucoup d’autres choses de gens qui se réclament d’un politique qui disait :

                      « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne… » (Chs De Gaulle)


                      « Le recul de la mixité sociale… »

                      Le recul de la mixité sociale, c’est en phase 1 quand les « de souche » fuient d’insupportables promiscuités d’importation, comme en témoigne ce document qui remonte aux temps de la liberté d’expression :

                      http://www.youtube.com/watch?v=8yR_1563els


                    • Bois-Guisbert 2 août 2009 11:06

                      P.S. 2. - Quand on se rendra compte que la seule solution est d’abandonner des territoires dotés d’une large autonomie interne aux ethniques altercuturels, le département de la Seine-Saint-Denis en fera naturellement partie, après rattachement de la moitié de la commune de Saint-Denis à la Seine, pour éviter les profanations d’usage de la basilique, avant sa transformation en mosquée...


                    • Bois-Guisbert 2 août 2009 11:48

                      A quand un voyage ethnologique dans la Seine Saint Denis pour vous faire une idée par vous-même ?

                      Genre colonne Voulet-Chanoine ?

                      J’adore titiller, avec des faits dont ils n’ont pas la moindre idée, les crétins, les imbéciles et les ignorants qui hantent ces discussions.


                    • Pie 3,14 4 août 2009 13:16

                      A Guibert-boit

                      Vous croyez évoquer des faits alors que vous ressassez vos habituelles obsessions haineuses .
                      Dans cette pathétique diarrhée verbale la dernière phrase sonne comme une remarque étrangement autobiographique.

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