A l’occasion d’un coup de couteau donné à une enseignante par un élève, le ministre propose d’installer des portiques à l’entrée des lycées pour empêcher qu’on y entre avec du métal.
Isoler l’école, c’est le pire que l’on puisse faire, elle l’est déjà beaucoup trop. Le décalage entre l’école et la société est déjà bien trop grand. Ce décalage entretient les problèmes que chacun rencontre dans l’enceinte scolaire. Ce décalage entretient ces problèmes et peut-être les crée.
Dans le constat, il faudrait arriver à dégager une spécificité, quantitative ou qualitative, des violences qui se produisent à l’école, s’il y en a une. Il faudrait séparer ce qui relève d’une montée des violences dans l’école et dans l’ensemble de la société ; rapporter les actes de violence perpétrés dans l’école au niveau de violence général. Non pas pour s’en satisfaire mais pour bien savoir de quoi on parle. Il semble que le niveau des incivilités augmente partout et il ne faut peut-être pas traiter l’école comme surchargée de cette violence. Des jeunes se sont entretués dans la rue pour peu de choses. Une employée de banque a été poignardée pendant qu’elle fumait sur le trottoir par un client à qui elle avait refusé un prêt. Tout cela est terrible, mais si on veut pouvoir agir et réparer, il faut bien voir où l’on en est.
Faire un constat ne vise pas à admettre, ni à adhérer, ni à vouloir conserver ce qu’on observe. Tout au contraire, établir un constat correct et partagé permet de prendre les mesures utiles que tout le monde appliquera pour défaire l’insupportable, casser l’inadmissible. Il n’est pas souhaitable que la révolte morale commence avant le constat, car elle en brouille la pertinence. Je pense avoir assez précisé que je ne nie pas les violences qui se produisent à l’école, que je propose de bien les penser globalement pour agir localement.
La tendance lourde exprimée par le ministre, et conspuée par tous, consiste à isoler l’école du reste du monde, et à la doter d’institutions nouvelles autonomes de répression et de techniques de sélection à l’entrée.
Ces dispositions, honnies, sont pourtant un versant positif de discours négatifs qui sont, eux, parfaitement courants, répétés et admis : les enseignants n’en peuvent plus des incivilités et des violences ; ce n’est pas à eux de régler les difficultés des élèves, ces difficultés sont importées de l’extérieur, pardonnez ce pléonasme qui fait partie de l’expression ordinaire de cette idée. Autrement dit, les problèmes de l’école viennent du dehors et entrent dans l’école, qui n’en peut mais. Cette importation est indue moralement : la traiter en interne entraînerait un surcroît de travail. Elle est indue professionnellement : on ne peut pas agir sur la source, puisqu’il y a une source du mal et un courant… elle obligerait les enseignants à prendre des tâches qui ne sont pas les leurs, ils nous disent qu’ils ne sont pas des assistantes sociales, ni des animateurs… etc. Cependant, « il n’y a qu’en France que les enseignants estiment que leur métier est la transmission d’un contenu disciplinaire, à l’exclusion de toute autre mission. Il n’y a qu’en France que la convivialité est déléguée à de professionnels de la discipline. » « L’efficacité commanderait plutôt d’établir une "routine de la prévention", selon la formule du sociologue Eric Debarbieux . » (Le Monde, Violence et école 14/01/06). C’est-à-dire que chacun en prenne sa part et ne projette pas la responsabilité et la culpabilité sur les autres. A ce moment-là, suite à un coup de poignard dans un collège d’Etampes, le ministre de l’Education Nationale d’alors avait envisagé ce que l’actuel a proposé de façon plus ferme.
La violence à l’école permet à des concitoyens de réclamer de la répression tout en continuant à s’estimer de gauche. « Ainsi, tout le monde peut se retrouver unanime pour réclamer un durcissement de la règle et de la répression sans être pour autant soupçonné de s’abandonner à une idéologie répressive et sécuritaire. » François Dubet Le Monde du 26/01/00.
Ce n’est pas humain de diviser l’élève dans des fonctions qui devraient être investies chacune par des spécialistes. C’est néanmoins ce que demandent les enseignants. On peut dépenser plus pour avoir plus de personne en charge de la bonne tenue des cours de récréation et des couloirs ! Si les enseignants ne prennent pas en charge les problèmes de l’école, cette dépense risque d’être inutile rapidement. Il faut envisager la rétroaction des phénomènes et agir avec cette rétroaction. Trouver toujours qu’il y a une source et qu’on reçoit le problème sans pouvoir rien n’y faire conduit implicitement à vouloir des séparations, des murs, des gilets pare-balle, des gardes du corps... Quand le ministre propose d’instituer ces « murs », les enseignants ne reconnaissent pas leur demande implicite et tout le monde s’insurge devant cette proposition d’isoler un peu plus l’école. « Cinq plans successifs antiviolence en huit ans ont surtout montré à chaque fois l’inefficacité du précédent. » Bruni Mattéi Le Monde 27/01/00.
Une école primaire dans la banlieue lilloise, qui pratique une pédagogie Freinet a fait l’objet d’une longue étude de 5 ans de 2001 à 2006 (Une école Freinet Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire Sous la direction de Yves Reuter, Ed L’Harmattan). Cette équipe de chercheurs a étudié et comparé le climat de l’école, la construction des normes et les actes de violence. Dès la première année de création de l’école Freinet, le nombre d’actes de violence diminue. Cependant, il y a une extension du domaine des conflits au domaine de la construction des normes. Les enfants en souffrance, comme partout, sont plutôt inhibés devant la tâche (et agressifs avec l’entourage). Avec un apprentissage par le « faire », par la création, ils adoptent une attitude plus volontaire. Ils sont respectés sur la longueur du temps qu’il leur faut pour arriver à s’autoriser eux-mêmes. Ils ont les « moyens de savoir », le traitement des « pourquoi », le partage des responsabilités, et ils ne sont pas mis au centre d’un dispositif ad-hoc, ils sont avec les autres. Les relations de l’élève sont multiples (relation des élèves entre eux, relation aux groupes), ce qui diminue la dépendance à l’adulte et ouvre le champ des relations susceptibles d’éviter la rumination des événements traumatiques. Serge Boimare propose aussi une attention sérieuse et ferme aux élèves en difficulté qui organisent leur impossibilité sur deux axes contradictoires et tenus en même temps : « c’est nul ton truc ! » (inhibition) et « j’y comprends rien ! » avec les variantes « à quoi ça va nous servir ? » (agressivité).
Ce n’est certes pas de mettre des portiques, de créer une sorte de police des écoles qui peut résoudre les problèmes. Cette proposition est odieuse. Les problèmes de l’école doivent être résolus par les professionnels de l’école avec les moyens, méthodes et ressources de leur métier : la pédagogie, qui est affaire de relations humaines. Ils doivent mettre leur fierté à être plus forts que les problèmes qui se posent à eux.