Jeux vidéos : l’escalade ?
La sortie imminente du jeu Bully met plus que jamais en avant la polémique sur les jeux vidéo et les valeurs que certains d’entre eux véhiculent.
Il s’agit d’un débat difficile, car des facteurs irraisonnés sont généralement introduits dedans. Longtemps l’apanage d’un public d’adolescent, le genre a tenté une autodéfense de principe, assimilant tous ceux qui trouveraient à redire à son fonctionnement à des conservateurs ringards. De plus, les instances représentatives de cette industrie cultivent parfois une attitude hypocrite, affirmant que les jeux violents seraient minoritaires dans les ventes, tandis que le marketing de certains titres tend à valoriser des valeurs brutales, que l’on oserait difficilement imaginer dans d’autres domaines.
Bully est l’œuvre du studio Rockstar, qui a connu un immense succès avec la série GTA. Celle-ci a suscité la controverse dès sa sortie originelle vers 1998, dans la mesure où le joueur marquait des points en volant des voitures et pouvait, à des fins d’efficacité, éliminer ce qui bougeait sur sa route, y compris les passants innocents. En d’autres termes, le studio a surtout « innové » en inversant les valeurs usuellement considérées comme louables. Diffusé par Take 2 Interactive, Rockstar semble avoir pris pour parti d’aller le plus loin possible dans une telle démarche, comme si le studio voulait tester où se situent les limites. L’un des titres mis en chantier a d’ailleurs été annulé en juin dernier - le joueur devait y gérer un réseau de production et vente de drogues - probablement en raison du tollé soulevé par Bully et aussi par une extension de GTA appelée « Hot Coffee » (voir plus loin).
Dès son annonce en mai 2005, Bully a suscité l’ire de plusieurs associations de défense des enfants. Il se trouve que le terme signifie plus ou moins « brute épaisse » ou encore « la terreur de la classe ». Il désigne les individus d’un niveau intellectuel faiblard, qui ont pour passe-temps de brimer les plus faibles de leur école. Au début du jeu, un nouvel élève de quinze ans qui doit d’abord se défendre des bullies locaux, puis va en devenir un lui-même. Parmi ses accessoires pour s’imposer auprès de ses pairs figure une batte de baseball.
Si la venue d’un tel titre a soulevé une énorme controverse, c’est que les bullies sont une réalité douloureuse dans plusieurs établissements anglo-saxons, qui aurait provoqué des suicides aux USA, en Australie et en Angleterre.
« Nous recevons jusqu’à quatre appels par jour d’enfants suicidaire », a déclaré la présidente d’une association écossaise de défense contre ce fléau. « Il n’y pas là un thème approprié pour un jeu. » Et de s’inquiéter de l’influence qu’un jeu de ce type pourrait avoir sur certains enfants. Une autre entité, Peaceoholics, a organisé une manifestation devant les locaux de Take Two afin de réclamer l’abandon du projet. Diverses pétitions ont suivi. Les autorités britanniques, pour leur part, ont déclaré qu’elles pouvaient tout au plus interdire le jeu aux plus de dix-huit ans. Toutefois, dans la pratique, un pourcentage élevé d’adolescents n’ayant pas atteint cet âge parviennent à se procurer de tels jeux et la situation a donc continué d’inquiéter les intéressés.
Face à un tel tir de barrage, Rockstar a choisi le silence. Ce mutisme a mis hors de lui l’avocat Jack Thompson qui a fait le forcing, des mois durant, pour obtenir une copie du jeu afin de pouvoir en connaître le contenu avant sa sortie. Thompson a finalement intenté un procès contre Take Two auprès d’une cour de Miami.
Récemment, Take Two a comparu devant la justice américaine en raison de « Hot Coffee », un niveau caché du jeu GTA jugé pornographique. L’édition s’en est sortie à bon compte avec une menace d’amende si elle récidivait.
La sortie Bully a finalement été confirmée pour octobre, mais il a curieusement été rebaptisé Canis Canem Edit. Ceux qui l’ont testé en long et en large laissent penser qu’il serait moins litigieux que prévu. L’éditeur et le studio seraient-ils lassés de tant de polémiques ? Il faudrait peut-être aussi qu’ils assument leur responsabilité sociale et ne s’autorisent pas à traiter n’importe quel thème, à des seules fins de rentabilité. Au-delà de la violence, c’est le système de valeurs qui est en cause.
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